un programme bipartisan pour un sursaut français?

C’est aux antipodes de la tradition politique française et de l’histoire de la République, rejeté d’avance par les deux camps principaux et les professionnels de la politique surtout en période électorale, et d’ailleurs rendu impossible par les lois électorales. Et pourtant, dans la grave situation économique et politique de la France (comme de l’Europe, et même de l’Occident), comment nier qu’un accord bipartisan, dans quelques domaines clefs, pour quelques années, à condition d’être loyal, favoriserait énormément le redressement de notre pays, aussi politiquement impossible, voire choquant, que cela puisse paraître?

On vient de voir le SPD, avant l’accord du 21 juillet, proposer à Madame Merkel son soutien pour l’aide à la Grèce, bien sûr à certaines conditions. Et à contrario le parti républicain américain refuse avec une obstination fanatique les propositions plus que raisonnables de Barack Obama pour commencer à réduire l’abyssal déficit américain en supprimant certaines dépenses mais aussi en réaugmentant certains impôts systématiquement allégés depuis longtemps, pratiquant en l’espèce la politique du pire.

Quel serait le cœur de ce programme? La combinaison de l’exigence de justice sociale et de l’équité fiscale que porte la gauche, avec l’appel au travail à l’effort et à la compétitivité que revendique la droite. Cette politique sociale devrait protéger, former, redonner des chances et de l’espérance tout au long de la vie sans retomber dans le piège de l’assistanat. La réforme fiscale devrait être complète, juste, économiquement intelligente, justifiable, durable. L’appel à l’effort accru s’appliquerait aux quelques années nécessaires pour redresser les fondamentaux économiques français.

Le premier domaine sur lequel il faudrait essayer sans attendre de dépasser les postures partisanes, suite à l’accord européen du 21 juillet, porte sur la question que les 17 voudraient trancher à l’automne : qui décide dans la zone euro? Les marchés? Les agences de notations? La Banque centrale? L’Allemagne seule? La France et l’Allemagne? Ou, comme cela serait plus acceptable, les 17 gouvernements démocratiquement responsables de façon de plus en plus harmonisée et solidaire, et en leur nom un super président de l’Eurogroupe? La politique que l’on y mène (rigueur seule ou policy mix) devra elle faire l’objet d’un nouveau consensus entre l’Allemagne et les autres membres de la zone euro. L’enjeu est telle que cela devrait être préparé sans manœuvre politicienne, ou préélectorale.

D’autres domaines essentiels pour l’avenir du pays, et qui nécessitent une continuité sur des décennies, gagneraient à être abordés sur des bases les moins partisanes possibles, et durables:
– les choix énergétiques à long terme: la préparation sans démagogie de la sortie du nucléaire – quand cela sera réellement possible -, la sécurité accrue des centrales pendant la longue période de transition, la propulsion des énergies renouvelables au seuil de rentabilité (faux-départ de plusieurs bio-carburants), la sobriété énergétique, et la correction des gaspillages, le maintien de la compétitivité des grandes entreprises pétrolières et gaziers françaises, un grand compromis avec l’Allemagne sur cet ensemble (et donc sur notre politiquerusse) sans quoi il n’y aura jamais de «Communauté européenne de l’énergie».
– la politique de défense à long terme, et le programme des grands investissements ou des grandes coopérations, qui nous engagent pour des décennies
– une politique raisonnable, équilibrée, prévoyante et adaptable, de gestion des flux migratoires, mieux harmonisée et conduite au sein de la zone Schengen, cogérée avec les pays de départ et de transit
– une politique «d’écologisation» sur vingt ou trente ans, avec une planification indicative et des rendez-vous d’étapes
– une remise à niveau (qualité, efficacité compétitivité) de l’ensemble de notre système de formation

Il est bien sûr illusoire de penser qu’autant de politiques essentielles puissent faire l’objet de consensus. Il n’est pas forcément absurde de se fixer comme objectif que quelques unes le soient après des débats approfondis. L’union nationale ne se conçoit bien sûr qu’en temps de guerre (Clemenceau), encore que nous soyons entrés dans une recomposition géopolitique, une sorte de guerre économique globale et durable … Les coalitions (les vraies), fréquentes ou concevables dans la plupart des pays européens à régime plus parlementaire, ne sont pas dans nos mœurs (la présence au gouvernement de représentants des partis mineurs associés au parti majoritaire n’est pas une coalition). La cohabitation, c’est encore autre chose, une situation contre-nature imposée par les électeurs, et qu’il s’agit alors, de gérer le mieux possible.

Il ne s’agit donc pas de plaider pour des formules de fusion et de confusion politique, mais pour que le parlement et l’opposition soit très bien informés et associés en amont, et démocratiquement consultés sur ces grandes politiques, et sur des accords bipartisans pérennes, préparés par des commissions elles-mêmes bipartisanes qui pourraient en découler, comme aux États-Unis, quand l’affrontement bipartisan n’y est pas outrancier. Et qu’au moins l’opposition du moment ne vive pas dans l’obsession de l’élimination des politiques de l’autre.

Les arguments politiciens classiques, le fait que chaque camp se considère comme seul capable de traiter les problèmes du pays, quel que soit le nombre réel d’électeurs ayant assuré sa victoire (ce que les analyses par pourcentages masquent), et voit l’autre comme désastreux, ne devrait pas empêcher de réfléchir à refaire, à une autre échelle, ce que nous avons été capables de conduire pendant des décennies, d’un gouvernement à l’autre, voire d’une République à l’autre, pour la dissuasion nucléaire et l’énergie nucléaire civile, le TGV, l’aéronautique, le spatial, la politique familiale, et bien sûr pour l’euro. Mais cela ne doit pas être conçu comme une manœuvre sinon c’est voué à l’échec, et a donc plus de chance d’être compris en fin de mandat qu’au début …
Le camp qui gagnera en 2012, c’est-à-dire probablement la gauche, s’honorerait en le tentant.

un programme bipartisan pour un sursaut français?

Hubert Vedrine

un programme bipartisan pour un sursaut français?

C’est aux antipodes de la tradition politique française et de l’histoire de la République, rejeté d’avance par les deux camps principaux et les professionnels de la politique surtout en période électorale, et d’ailleurs rendu impossible par les lois électorales. Et pourtant, dans la grave situation économique et politique de la France (comme de l’Europe, et même de l’Occident), comment nier qu’un accord bipartisan, dans quelques domaines clefs, pour quelques années, à condition d’être loyal, favoriserait énormément le redressement de notre pays, aussi politiquement impossible, voire choquant, que cela puisse paraître?

On vient de voir le SPD, avant l’accord du 21 juillet, proposer à Madame Merkel son soutien pour l’aide à la Grèce, bien sûr à certaines conditions. Et à contrario le parti républicain américain refuse avec une obstination fanatique les propositions plus que raisonnables de Barack Obama pour commencer à réduire l’abyssal déficit américain en supprimant certaines dépenses mais aussi en réaugmentant certains impôts systématiquement allégés depuis longtemps, pratiquant en l’espèce la politique du pire.

Quel serait le cœur de ce programme? La combinaison de l’exigence de justice sociale et de l’équité fiscale que porte la gauche, avec l’appel au travail à l’effort et à la compétitivité que revendique la droite. Cette politique sociale devrait protéger, former, redonner des chances et de l’espérance tout au long de la vie sans retomber dans le piège de l’assistanat. La réforme fiscale devrait être complète, juste, économiquement intelligente, justifiable, durable. L’appel à l’effort accru s’appliquerait aux quelques années nécessaires pour redresser les fondamentaux économiques français.

Le premier domaine sur lequel il faudrait essayer sans attendre de dépasser les postures partisanes, suite à l’accord européen du 21 juillet, porte sur la question que les 17 voudraient trancher à l’automne : qui décide dans la zone euro? Les marchés? Les agences de notations? La Banque centrale? L’Allemagne seule? La France et l’Allemagne? Ou, comme cela serait plus acceptable, les 17 gouvernements démocratiquement responsables de façon de plus en plus harmonisée et solidaire, et en leur nom un super président de l’Eurogroupe? La politique que l’on y mène (rigueur seule ou policy mix) devra elle faire l’objet d’un nouveau consensus entre l’Allemagne et les autres membres de la zone euro. L’enjeu est telle que cela devrait être préparé sans manœuvre politicienne, ou préélectorale.

D’autres domaines essentiels pour l’avenir du pays, et qui nécessitent une continuité sur des décennies, gagneraient à être abordés sur des bases les moins partisanes possibles, et durables:
– les choix énergétiques à long terme: la préparation sans démagogie de la sortie du nucléaire – quand cela sera réellement possible -, la sécurité accrue des centrales pendant la longue période de transition, la propulsion des énergies renouvelables au seuil de rentabilité (faux-départ de plusieurs bio-carburants), la sobriété énergétique, et la correction des gaspillages, le maintien de la compétitivité des grandes entreprises pétrolières et gaziers françaises, un grand compromis avec l’Allemagne sur cet ensemble (et donc sur notre politiquerusse) sans quoi il n’y aura jamais de «Communauté européenne de l’énergie».
– la politique de défense à long terme, et le programme des grands investissements ou des grandes coopérations, qui nous engagent pour des décennies
– une politique raisonnable, équilibrée, prévoyante et adaptable, de gestion des flux migratoires, mieux harmonisée et conduite au sein de la zone Schengen, cogérée avec les pays de départ et de transit
– une politique «d’écologisation» sur vingt ou trente ans, avec une planification indicative et des rendez-vous d’étapes
– une remise à niveau (qualité, efficacité compétitivité) de l’ensemble de notre système de formation

Il est bien sûr illusoire de penser qu’autant de politiques essentielles puissent faire l’objet de consensus. Il n’est pas forcément absurde de se fixer comme objectif que quelques unes le soient après des débats approfondis. L’union nationale ne se conçoit bien sûr qu’en temps de guerre (Clemenceau), encore que nous soyons entrés dans une recomposition géopolitique, une sorte de guerre économique globale et durable … Les coalitions (les vraies), fréquentes ou concevables dans la plupart des pays européens à régime plus parlementaire, ne sont pas dans nos mœurs (la présence au gouvernement de représentants des partis mineurs associés au parti majoritaire n’est pas une coalition). La cohabitation, c’est encore autre chose, une situation contre-nature imposée par les électeurs, et qu’il s’agit alors, de gérer le mieux possible.

Il ne s’agit donc pas de plaider pour des formules de fusion et de confusion politique, mais pour que le parlement et l’opposition soit très bien informés et associés en amont, et démocratiquement consultés sur ces grandes politiques, et sur des accords bipartisans pérennes, préparés par des commissions elles-mêmes bipartisanes qui pourraient en découler, comme aux États-Unis, quand l’affrontement bipartisan n’y est pas outrancier. Et qu’au moins l’opposition du moment ne vive pas dans l’obsession de l’élimination des politiques de l’autre.

Les arguments politiciens classiques, le fait que chaque camp se considère comme seul capable de traiter les problèmes du pays, quel que soit le nombre réel d’électeurs ayant assuré sa victoire (ce que les analyses par pourcentages masquent), et voit l’autre comme désastreux, ne devrait pas empêcher de réfléchir à refaire, à une autre échelle, ce que nous avons été capables de conduire pendant des décennies, d’un gouvernement à l’autre, voire d’une République à l’autre, pour la dissuasion nucléaire et l’énergie nucléaire civile, le TGV, l’aéronautique, le spatial, la politique familiale, et bien sûr pour l’euro. Mais cela ne doit pas être conçu comme une manœuvre sinon c’est voué à l’échec, et a donc plus de chance d’être compris en fin de mandat qu’au début …
Le camp qui gagnera en 2012, c’est-à-dire probablement la gauche, s’honorerait en le tentant.

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29/08/2011