Que doit faire l’Europe après le Brexit?
Hubert Védrine : Ne pas se tromper de diagnostic ni de réaction, ni de calendrier. Soit l’on considère cet événement comme une aberration britannique, une anomalie qu’il faut circonscrire au plus vite, avec la seule préoccupation d’éviter la contagion. Soit le Brexit est le symptôme d’un mal plus général : le décrochage en cours des peuples par rapport à la construction européenne. Je m’inscris dans cette deuxième ligne. Le niveau atteint par les anti-européens à peu près partout, auxquels s’ajoutent les sceptiques, les déçus, les découragés, les désenchantés, les allergiques ne peut plus être ignoré. Il faut entendre ce message, en comprendre les causes, le dire clairement et ne pas se contenter de « relancer l’Europe «. Avant de la relancer il faut d’abord la clarifier et la repenser.
Comment?
Depuis quelques mois, j’ai proposé, dans divers articles, quel que soit le résultat du référendum britannique, un plan radical pour re-convaincre les euro-allergiques. Une séquence : message aux peuples, pause, conférence de Messine, refondation.
Aujourd’hui, on parle plutôt de relance du projet européen…
Toute relance qui ne commencera pas par une opération vérité préalable sur les compétences de l’Europe, toute relance qui consisterait à lui confier de nouvelles missions censées correspondre à ce qu’attendent aujourd’hui les Européens (sécurité, croissance, jeunesse, etc.), qui réenclencherait la machine à espérer risquerait d’être illusoire.
Que peut être concrètement le message au peuple?
Un message différent de ce que l’on entend. La peur panique d’autres référendum, les insultes envers les gens qui votent mal – les vieux, les campagnards –, « la Grande-Bretagne moisie «, les gémissements sur le «souverainisme» et le «repli sur soi», c’est exactement ce qu’il ne faut pas dire. Pour moi, le message, doit être l’inverse : « On vous a entendu. Vous voulez garder votre identité, c’est normal, et une certaine souveraineté, c’est légitime». Et on arrête de se faire peur avec le retour nauséabond des années 30. Ce message initial vise à créer un choc psychologique.
La pause?
Ensuite, pause dans l’élargissement mais aussi pause dans l’intégration. Cela veut dire : on va faire le bilan et réfléchir sérieusement avant de redémarrer.
Pas de Serbie et pas de Turquie?
En attendant un contexte meilleur il faut maintenir une espérance européenne pour les Balkans occidentaux, assurer une politique de voisinage sur mesure. Les réunir régulièrement, comme François Hollande vient de le faire à Paris, c’est très important pour la stabilité de la région.
N’est-ce pas déjà le cas du partenariat oriental de l’UE?
Ce n’est pas suffisant. Il faudrait un envoyé spécial politique dont la mission serait de maintenir le contact avec ces pays et soutenir des projets, en attendant un rendez-vous futur. La Turquie, c’est un autre sujet. Ce n’est pas vraiment d’actualité en dépit de ce que Angela Merkel a dû consentir pour s’extirper du piège dans lequel elle s’était mise.
Revenons à l’intégration : il se peut qu’il y ait une pause de fait par paralysie de la machine du fait des incertitudes issues du Brexit. Mon idée est différente : ce serait un message politique explicite.
Et la conférence?
Je parle d’une conférence de Messine par référence à celle qui a eu lieu en 1955. Elle commencerait avec les seuls gouvernements, sans les institutions européennes. Le sujet central, serait la subsidiarité. Il ne suffit plus de se plaindre depuis plus de vingt ans de l’excès d’intrusion de la Commission, de cette volonté de tout réglementer dans les moindres détails, ce que des états membres à courte vue ont d’ailleurs alimenté, et qui a rendu les peuples allergiques. La subsidiarité, que Jacques Delors jugeait nécessaire. Elle n’a jamais été vraiment mis en œuvre. Jean- Claude Juncker s’est fait accuser au Parlement européen de manquer d’ambition parce qu’il a repris cette idée! Donc une Commission qui refuse de réglementer la forme des concombres ou des pommeaux de douche manque d’ambitions? Allons! Jamais vous ne trouverez à Washington un fonctionnaire payé pour réglementer la taille des chasses d’eau dans le Wyoming! L’idée européenne, une magnifique idée s’est égarée, sous prétexte d’harmonisation dans le marché unique, dans un océan de normes ubuesques. Des idéalistes européens sincères, comme Daniel Cohn-Bendit, ou J-L. Bourlanges devraient se liguer contre ces dérives. Les tenants de la grande idée européenne n’ont aucune raison de soutenir aveuglement cette machine à normaliser devenue folle, ni de traiter tous ceux qui la critiquent d’anti-européens attardés.
Et après?
Le message, la pause, l’annonce de l’opération subsidiarité, devrait apaiser – non pas les vrais anti-Européens idéologiques comme Mme Le Pen – mais tous les autres, les simples «sceptiques». Les leaders en Europe redeviendraient plus audibles par les peuples s’ils expliquent qu’ils vont réduire telle ou telle compétence européenne abusive et imposer un changement de méthode, et donc une reconfiguration de la commission. Il faudra moins de fonctionnaires européens et que la Commission ait plus souvent de comptes à rendre, et pas que devant le Parlement Européen. Ensuite il faudra des décisions fortes. Par exemple : refaire un Schengen qui marche. Mais attention au concours Lépine qui chargerait «l’Europe» d’assurer un avenir radieux. Subsidiarité!
Comment expliquer cette absence d’attachement des populations?
Par plusieurs causes. D’abord, erreur de conception, construire l’Europe sur l’éradication, ou la négation des nations, cela ne marche pas. Mêmes ouverts, les peuples n’ont aucune raison d’abandonner leur identité et tout ce à quoi ils tiennent : leur histoire, leur langue, leurs racines au profit d’une vision purement économique de l’être humain. Ils ne sont pas uniquement des consommateurs comblés par des baisses de prix obtenues à coup de concurrence! L’Europe est tellement mal à l’aise avec les sujets identitaires qu’elle nie cette question, jusque dans son principe.. Les peuples ont décroché là-dessus, comme de l’excès de promesses intenables et de la normalisation intrusive.
A quoi doit ressembler l’Eurozone?
A terme pas forcément à un espace beaucoup plus «intégré», mais en tous cas beaucoup plus harmonisé, où la souveraineté s’exercera en commun. Relancer toujours les mêmes propositions d’intégration (un ministre des Finances de la zone euro, un budget spécifique et un trésor) ne répond pas à la question politique posée Je ne suis même pas sûr que les Allemands soient sur cette ligne. Pas de «relance» crédible sans clarification préalable.
Le principe du référendum et la souveraineté populaire sont remis en question…
Le référendum peut être une bonne formule, mais on en connaît les aléas. On sait que les peuples répondent souvent à celui qui pose la question, plus qu’à la question. Mais, aujourd’hui l’idée de référendum panique ceux qui ont défendu une conception teleologique de la construction européenne. Ils ne pardonnent pas aux électeurs britanniques d’avoir brisé ce tabou et veulent réaffirmer, contre les peuples s’il le faut, qu’elle est irréversible, et que la Grande-Bretagne va le payer cher! Le Brexit renforce la tentation – je ne dirai pas anti-démocratique, ce serait exagéré – mais… postdémocratique. Depuis Lisbonne, rejeté par le référendum, ratifié par le parlement, on n’est plus absolument dans la démocratie. Les peuples peuvent voter sur ce qu’ils veulent, sauf remettre en cause cette ligne européiste. Cet «ubris» ne tiendra pas.
La crise des migrants est-elle une des causes du désamour des peuples vis-à-vis de l’Europe?
Une cause supplémentaire, car l’exaspération des peuples est antérieure. Je me souviens d’entretiens dans lesquels le chancelier Kohl, plus tard le chancelier Schröder, se plaignaient de l’intrusion abusive de la commission et de la complicité commission/cour de justice (de l’Union européenne, ndlr). Le pourcentage d’abstention aux élections européennes n’a cessé de monter depuis le début, jusqu’à se stabiliser autour de 60%. Faut-il rappeler aussi que Maastricht est passé à un pourcent en dépit du poids de Mitterrand et du soutien des élites? Que le TCE de 2005 a été rejeté à 55%? Que les Néerlandais avaient voté contre, plus encore que les Français? C’est un phénomène qui a plus de vingt ans. Je trouve consternant l’aveuglement de ces élites qui ne veulent jamais se remettre en cause et acceptent de voir dépérir leur lien avec la démocratie. Après quoi, condamner le populisme ne sert à rien. C’est comme condamner la fièvre. Le populisme, c’est un résultat, le sous-produit de quelque chose. Les peuples sont en convulsion parce qu’ils se sentent abandonnés, délaissés, et méprisés. Condamner le populisme sans traiter ses causes n’est pas plus efficace que d’asperger des vampires avec de l’eau bénite.
Est-ce que la gestion de la crise migratoire par le duo Merkel/Juncker a toutefois eu un impact?
Certainement. La gestion des flux migratoires n’était pas, à priori, dans les compétences de l’Union européenne mais Schengen en était devenu un des symboles les plus positifs. Schengen a été élaboré et élargi dans un esprit de sans-frontiérisme, sans frontière extérieure fixe assez contrôlable, et contrôlée. Quand est arrivé la vraie crise – les réfugiés qui s’ajoutent en masse aux migrants économiques – le système européen a disjoncté. Les européens pensaient vivre dans une communauté internationale, ils sont retombés dans le monde réel, sorte de Jurassic Park. Madame Merkel a eu raison sur le plan humain mais elle n’aurait pas dû encourager le mouvement. Les autres – y compris nous – ont été trop égoïstes (il y avait le droit d’asile dans les Eglises au Moyen-Âge). Entre ceux qui ne veulent personne et l’appel d’air allemand, il n’y a pas eu à temps de voie médiane. Résultat, on doit faire dans l’urgence ce qui n’a pas été fait avant (notre ministre de l’Intérieur est remarquable sur ces sujets). Mais les opinions ne rentrent pas dans le détail, elles ont simplement l’impression que rien n’est géré, et donc tout cela a aggravé le désarroi européen.
Que faire?
Distinguer les demandeurs d’asile des migrants économiques. La réponse n’est pas la même. Un jour ou l’autre, il faudra cogérer les mouvements migratoires avec les pays de départ et de transit, qu’ils le veuillent ou non. Pas seulement dans des discours sur le co-développement, mais le faire réellement. En revanche, l’asile exige une autre approche. On ne va pas se concerter avec le régime d’Assad ou avec les dirigeants de l’Erythrée! Il y a un meilleur accueil à organiser, en changeant Dublin. Tout cela n’est pas insoluble mais nous avons vingt ans de retard à rattraper.
L’Europe a déçu…
Aussi parce que l’on a trop promis au nom de «l’Europe»! Tout cela remonte à la suite de la grande relance Kohl-Mitterrand-Delors. On parlait alors d’Europe sociale, d’Europe des citoyens, d’Europe politique, d’Europe de la défense, etc. On a répandu l’idée que «l’Europe « avait réponse à tout, allait s’occuper de tout. Grave erreur. Dix ans plus tard, certains ont commencé à dire : c’est ce qui ne va pas, donc c’est la faute de l’Europe, et cela a choqué! Le niveau européen a une valeur irremplaçable – nous sommes plus forts ensemble- mais il ne peut pas et ne doit pas tout traiter. Les gens veulent plus de démocratie proche et identifiable, et moins de ces institutions qui se veulent omnipotentes et omniscientes. L’urgence est de ne pas laisser passer cette occasion, peut-être la dernière, que nous fournit le choc du Brexit, de repenser l’Union européenne en profondeur.
Que doit faire l’Europe après le Brexit?
Hubert Védrine : Ne pas se tromper de diagnostic ni de réaction, ni de calendrier. Soit l’on considère cet événement comme une aberration britannique, une anomalie qu’il faut circonscrire au plus vite, avec la seule préoccupation d’éviter la contagion. Soit le Brexit est le symptôme d’un mal plus général : le décrochage en cours des peuples par rapport à la construction européenne. Je m’inscris dans cette deuxième ligne. Le niveau atteint par les anti-européens à peu près partout, auxquels s’ajoutent les sceptiques, les déçus, les découragés, les désenchantés, les allergiques ne peut plus être ignoré. Il faut entendre ce message, en comprendre les causes, le dire clairement et ne pas se contenter de « relancer l’Europe «. Avant de la relancer il faut d’abord la clarifier et la repenser.
Comment?
Depuis quelques mois, j’ai proposé, dans divers articles, quel que soit le résultat du référendum britannique, un plan radical pour re-convaincre les euro-allergiques. Une séquence : message aux peuples, pause, conférence de Messine, refondation.
Aujourd’hui, on parle plutôt de relance du projet européen…
Toute relance qui ne commencera pas par une opération vérité préalable sur les compétences de l’Europe, toute relance qui consisterait à lui confier de nouvelles missions censées correspondre à ce qu’attendent aujourd’hui les Européens (sécurité, croissance, jeunesse, etc.), qui réenclencherait la machine à espérer risquerait d’être illusoire.
Que peut être concrètement le message au peuple?
Un message différent de ce que l’on entend. La peur panique d’autres référendum, les insultes envers les gens qui votent mal – les vieux, les campagnards –, « la Grande-Bretagne moisie «, les gémissements sur le «souverainisme» et le «repli sur soi», c’est exactement ce qu’il ne faut pas dire. Pour moi, le message, doit être l’inverse : « On vous a entendu. Vous voulez garder votre identité, c’est normal, et une certaine souveraineté, c’est légitime». Et on arrête de se faire peur avec le retour nauséabond des années 30. Ce message initial vise à créer un choc psychologique.
La pause?
Ensuite, pause dans l’élargissement mais aussi pause dans l’intégration. Cela veut dire : on va faire le bilan et réfléchir sérieusement avant de redémarrer.
Pas de Serbie et pas de Turquie?
En attendant un contexte meilleur il faut maintenir une espérance européenne pour les Balkans occidentaux, assurer une politique de voisinage sur mesure. Les réunir régulièrement, comme François Hollande vient de le faire à Paris, c’est très important pour la stabilité de la région.
N’est-ce pas déjà le cas du partenariat oriental de l’UE?
Ce n’est pas suffisant. Il faudrait un envoyé spécial politique dont la mission serait de maintenir le contact avec ces pays et soutenir des projets, en attendant un rendez-vous futur. La Turquie, c’est un autre sujet. Ce n’est pas vraiment d’actualité en dépit de ce que Angela Merkel a dû consentir pour s’extirper du piège dans lequel elle s’était mise.
Revenons à l’intégration : il se peut qu’il y ait une pause de fait par paralysie de la machine du fait des incertitudes issues du Brexit. Mon idée est différente : ce serait un message politique explicite.
Et la conférence?
Je parle d’une conférence de Messine par référence à celle qui a eu lieu en 1955. Elle commencerait avec les seuls gouvernements, sans les institutions européennes. Le sujet central, serait la subsidiarité. Il ne suffit plus de se plaindre depuis plus de vingt ans de l’excès d’intrusion de la Commission, de cette volonté de tout réglementer dans les moindres détails, ce que des états membres à courte vue ont d’ailleurs alimenté, et qui a rendu les peuples allergiques. La subsidiarité, que Jacques Delors jugeait nécessaire. Elle n’a jamais été vraiment mis en œuvre. Jean- Claude Juncker s’est fait accuser au Parlement européen de manquer d’ambition parce qu’il a repris cette idée! Donc une Commission qui refuse de réglementer la forme des concombres ou des pommeaux de douche manque d’ambitions? Allons! Jamais vous ne trouverez à Washington un fonctionnaire payé pour réglementer la taille des chasses d’eau dans le Wyoming! L’idée européenne, une magnifique idée s’est égarée, sous prétexte d’harmonisation dans le marché unique, dans un océan de normes ubuesques. Des idéalistes européens sincères, comme Daniel Cohn-Bendit, ou J-L. Bourlanges devraient se liguer contre ces dérives. Les tenants de la grande idée européenne n’ont aucune raison de soutenir aveuglement cette machine à normaliser devenue folle, ni de traiter tous ceux qui la critiquent d’anti-européens attardés.
Et après?
Le message, la pause, l’annonce de l’opération subsidiarité, devrait apaiser – non pas les vrais anti-Européens idéologiques comme Mme Le Pen – mais tous les autres, les simples «sceptiques». Les leaders en Europe redeviendraient plus audibles par les peuples s’ils expliquent qu’ils vont réduire telle ou telle compétence européenne abusive et imposer un changement de méthode, et donc une reconfiguration de la commission. Il faudra moins de fonctionnaires européens et que la Commission ait plus souvent de comptes à rendre, et pas que devant le Parlement Européen. Ensuite il faudra des décisions fortes. Par exemple : refaire un Schengen qui marche. Mais attention au concours Lépine qui chargerait «l’Europe» d’assurer un avenir radieux. Subsidiarité!
Comment expliquer cette absence d’attachement des populations?
Par plusieurs causes. D’abord, erreur de conception, construire l’Europe sur l’éradication, ou la négation des nations, cela ne marche pas. Mêmes ouverts, les peuples n’ont aucune raison d’abandonner leur identité et tout ce à quoi ils tiennent : leur histoire, leur langue, leurs racines au profit d’une vision purement économique de l’être humain. Ils ne sont pas uniquement des consommateurs comblés par des baisses de prix obtenues à coup de concurrence! L’Europe est tellement mal à l’aise avec les sujets identitaires qu’elle nie cette question, jusque dans son principe.. Les peuples ont décroché là-dessus, comme de l’excès de promesses intenables et de la normalisation intrusive.
A quoi doit ressembler l’Eurozone?
A terme pas forcément à un espace beaucoup plus «intégré», mais en tous cas beaucoup plus harmonisé, où la souveraineté s’exercera en commun. Relancer toujours les mêmes propositions d’intégration (un ministre des Finances de la zone euro, un budget spécifique et un trésor) ne répond pas à la question politique posée Je ne suis même pas sûr que les Allemands soient sur cette ligne. Pas de «relance» crédible sans clarification préalable.
Le principe du référendum et la souveraineté populaire sont remis en question…
Le référendum peut être une bonne formule, mais on en connaît les aléas. On sait que les peuples répondent souvent à celui qui pose la question, plus qu’à la question. Mais, aujourd’hui l’idée de référendum panique ceux qui ont défendu une conception teleologique de la construction européenne. Ils ne pardonnent pas aux électeurs britanniques d’avoir brisé ce tabou et veulent réaffirmer, contre les peuples s’il le faut, qu’elle est irréversible, et que la Grande-Bretagne va le payer cher! Le Brexit renforce la tentation – je ne dirai pas anti-démocratique, ce serait exagéré – mais… postdémocratique. Depuis Lisbonne, rejeté par le référendum, ratifié par le parlement, on n’est plus absolument dans la démocratie. Les peuples peuvent voter sur ce qu’ils veulent, sauf remettre en cause cette ligne européiste. Cet «ubris» ne tiendra pas.
La crise des migrants est-elle une des causes du désamour des peuples vis-à-vis de l’Europe?
Une cause supplémentaire, car l’exaspération des peuples est antérieure. Je me souviens d’entretiens dans lesquels le chancelier Kohl, plus tard le chancelier Schröder, se plaignaient de l’intrusion abusive de la commission et de la complicité commission/cour de justice (de l’Union européenne, ndlr). Le pourcentage d’abstention aux élections européennes n’a cessé de monter depuis le début, jusqu’à se stabiliser autour de 60%. Faut-il rappeler aussi que Maastricht est passé à un pourcent en dépit du poids de Mitterrand et du soutien des élites? Que le TCE de 2005 a été rejeté à 55%? Que les Néerlandais avaient voté contre, plus encore que les Français? C’est un phénomène qui a plus de vingt ans. Je trouve consternant l’aveuglement de ces élites qui ne veulent jamais se remettre en cause et acceptent de voir dépérir leur lien avec la démocratie. Après quoi, condamner le populisme ne sert à rien. C’est comme condamner la fièvre. Le populisme, c’est un résultat, le sous-produit de quelque chose. Les peuples sont en convulsion parce qu’ils se sentent abandonnés, délaissés, et méprisés. Condamner le populisme sans traiter ses causes n’est pas plus efficace que d’asperger des vampires avec de l’eau bénite.
Est-ce que la gestion de la crise migratoire par le duo Merkel/Juncker a toutefois eu un impact?
Certainement. La gestion des flux migratoires n’était pas, à priori, dans les compétences de l’Union européenne mais Schengen en était devenu un des symboles les plus positifs. Schengen a été élaboré et élargi dans un esprit de sans-frontiérisme, sans frontière extérieure fixe assez contrôlable, et contrôlée. Quand est arrivé la vraie crise – les réfugiés qui s’ajoutent en masse aux migrants économiques – le système européen a disjoncté. Les européens pensaient vivre dans une communauté internationale, ils sont retombés dans le monde réel, sorte de Jurassic Park. Madame Merkel a eu raison sur le plan humain mais elle n’aurait pas dû encourager le mouvement. Les autres – y compris nous – ont été trop égoïstes (il y avait le droit d’asile dans les Eglises au Moyen-Âge). Entre ceux qui ne veulent personne et l’appel d’air allemand, il n’y a pas eu à temps de voie médiane. Résultat, on doit faire dans l’urgence ce qui n’a pas été fait avant (notre ministre de l’Intérieur est remarquable sur ces sujets). Mais les opinions ne rentrent pas dans le détail, elles ont simplement l’impression que rien n’est géré, et donc tout cela a aggravé le désarroi européen.
Que faire?
Distinguer les demandeurs d’asile des migrants économiques. La réponse n’est pas la même. Un jour ou l’autre, il faudra cogérer les mouvements migratoires avec les pays de départ et de transit, qu’ils le veuillent ou non. Pas seulement dans des discours sur le co-développement, mais le faire réellement. En revanche, l’asile exige une autre approche. On ne va pas se concerter avec le régime d’Assad ou avec les dirigeants de l’Erythrée! Il y a un meilleur accueil à organiser, en changeant Dublin. Tout cela n’est pas insoluble mais nous avons vingt ans de retard à rattraper.
L’Europe a déçu…
Aussi parce que l’on a trop promis au nom de «l’Europe»! Tout cela remonte à la suite de la grande relance Kohl-Mitterrand-Delors. On parlait alors d’Europe sociale, d’Europe des citoyens, d’Europe politique, d’Europe de la défense, etc. On a répandu l’idée que «l’Europe « avait réponse à tout, allait s’occuper de tout. Grave erreur. Dix ans plus tard, certains ont commencé à dire : c’est ce qui ne va pas, donc c’est la faute de l’Europe, et cela a choqué! Le niveau européen a une valeur irremplaçable – nous sommes plus forts ensemble- mais il ne peut pas et ne doit pas tout traiter. Les gens veulent plus de démocratie proche et identifiable, et moins de ces institutions qui se veulent omnipotentes et omniscientes. L’urgence est de ne pas laisser passer cette occasion, peut-être la dernière, que nous fournit le choc du Brexit, de repenser l’Union européenne en profondeur.