Comment analysez-vous le discours d’un JD Vance dont les propos ressemblent à une nouvelle feuille de route imposée au reste du monde ?
Le discours de JD Vance n’est pas qu’un tremblement de terre passager. Il est l’expression d’une lame de fond qui, avec l’élection de Donald Trump, a traversé les États-Unis pour donner un coup d’arrêt à la mondialisation dérégulatrice des 30 dernières années, et pour stopper le progressisme des soixante dernières années, dont le mouvement woke est la caricature. Ce qui est sidérant pour les Européens, c’est que cette réaction vienne d’outre-Atlantique où ces mêmes politiques sont nées avant d’être exportées partout sur la planète. De ce point de vue, l’arrivée de Trump traduit une véritable contre-révolution culturelle.
Les Européens de l’Ouest sont les moins bien préparés à affronter ces chocs. Ils ont vraiment cru et croient encore dans le multilatéralisme, dans la « communauté » internationale et dans l’universalité de leurs valeurs. Or, les États-Unis viennent de leur envoyer le message inverse : à savoir que la règle du jeu post seconde guerre mondiale, basée sur un mélange de démocratie et de libéralisme économique, est obsolète. Et ce qui était vécu par les Européens comme une véritable religion est aujourd’hui défié frontalement. Trump est donc une sorte d’hérétique venu mettre le chaos dans le « temple » européen. Et l’avènement de cet « antéchrist » est vécu comme un traumatisme géant. Le vice-président Vance a osé tenir ces propos schismatiques à une des grand-messes occidentales à Munich …
Tout cela met un terme à la notion fantasmée d’un Occident homogène. Le mot Occident signifiait l’idée de valeurs partagées avec les Etats-Unis. Je le dis d’ailleurs depuis longtemps : avec les Américains, nous ne sommes plus que des cousins issus de germains. Reste la relation transatlantique à travers l’Alliance, elle-même fragilisée par Trump.
Mais pour les Européens, comment répondre à cette révolution culturelle made in USA ?
En ne tombant pas dans le piège d’une réaction pavlovienne aux attaques de Vance, et ne défendant pas automatiquement et aveuglément tout ce qu’il a attaqué. Ainsi, l’équipe Trump veut éradiquer le wokisme. Ce sujet n’est pas secondaire. Je vous renvoie au livre de Jean-François Braunstein, La religion woke, qui démontre comment les courants écologistes, féministes, LGBT+, décoloniaux et multiculturalistes aux Etats-Unis se sont ultra-radicalisés ces vingt dernières années, et comment cette idéologie est devenue progressivement dominante dans les universités américaines, dans de nombreux médias, dans le milieu de la comm’, de la mode ou celui du cinéma… La France n’est d’ailleurs pas étrangère à ce mouvement d’idées. Je rappelle que l’une des égéries de cette mouvance woke est l’universitaire américaine Judith Butler, célèbre théoricienne du genre et de l’intersectionnalité qui s’est beaucoup inspiré, en les trahissant un peu, de Michel Foucaut, Jacques Derrida, ou Jacques Lacan …
Il faut maintenant aider chacun de ces courants à se débarrasser de l’emprise de leurs leaders ultra-radicaux – en 1793 on aurait parlé « d’enragés » – qui les ont conduit dans une impasse.
Et sur un plan diplomatique et géopolitique, comment faire face à la nouvelle donne qu’impose Donald Trump dans la cadre russo-ukrainien ?
Si Donald Trump impose un cessez-le-feu comme il l’a annoncé, se défaussera-t-il sur les quelques pays européens qui ont des armées capables pour le garantir et dissuader Poutine de recommencer ? Avec quel mandat ? La Grande-Bretagne, la France, la Pologne et l’Allemagne y participeront-ils ? C’est la question la plus épineuse et la plus urgente. Les gouvernements de ces pays européens (et peut-être d’autres) auront du mal à convaincre leurs opinions – ou leurs parlements – sans aucune garantie américaine, sous une forme ou sous une autre.
Et la France dans tout cela, a-t-elle encore une voix à porter dans ce nouveau concert des Nations dirigé par Donald Trump ?
Emmanuel Macron a eu tout à fait raison de s’imposer dans le bureau ovale, en concertation avec le Premier Ministre britannique. Parce que, précisément, dans le monde de Trump, il n’y a pas de « concert des nations ». Il faut s’y prendre autrement. Et de toute façon, la France ne doit pas faire un complexe de vieille actrice recherchant un « rôle ».
Notre pays doit trouver, dans la pétaudière que Trump a créée, des méthodes pour défendre ses intérêts vitaux en matière de défense, d’écologie, d’économie, d’immigration, etc. Sans complexe inutile. Nous sommes une puissance moyenne d’influence mondiale. Ce qui n’est pas rien. Il y a 200 pays à l’ONU dont 180 ne sont pas des puissances. Nous avons des atouts que les autres n’ont pas. Nous avons l’arme atomique, nous siégeons au Conseil de sécurité, nous avons un réseau diplomatique mondial qui reste influent ; la francophonie et la francophilie restent des réalités. Ce sont des atouts majeurs pour notre pays et notre économie. Mais bien sûr cela ne nous dispense pas d’un énorme effort de redressement : il faut travailler mieux, bien sûr, mais surtout travailler plus.
En ce qui concerne la sécurité nationale, il faut préserver la crédibilité de notre dissuasion, redévelopper nos capacités d’armement et investir dans les nouvelles technologies, travailler à l’élaboration d’un pilier européen de l’Alliance Atlantique, ce qui nécessitera des restructurations industrielles, des regroupements et des fusions en Europe. En matière d’écologisation, il faut évidemment poursuivre l’effort malgré Trump, continuer les COP, et dans ce domaine il y aura des coopérations à trouver avec la Chine. En ce qui concerne la maîtrise des flux migratoires, il faut accroître une immigration légale très bien choisie, casser les réseaux de l’immigration illégale, préserver l’asile pour les gens vraiment en danger. L’exemple de la gauche danoise mérite d’être méditée.
Et il est impératif de préciser les politiques qui doivent continuer d’être menées au niveau national, ou au niveau européen, et comment on combine les deux, car c’est devenu très confus.
Propos recueillis par Stéphane Aubouard
Comment analysez-vous le discours d’un JD Vance dont les propos ressemblent à une nouvelle feuille de route imposée au reste du monde ?
Le discours de JD Vance n’est pas qu’un tremblement de terre passager. Il est l’expression d’une lame de fond qui, avec l’élection de Donald Trump, a traversé les États-Unis pour donner un coup d’arrêt à la mondialisation dérégulatrice des 30 dernières années, et pour stopper le progressisme des soixante dernières années, dont le mouvement woke est la caricature. Ce qui est sidérant pour les Européens, c’est que cette réaction vienne d’outre-Atlantique où ces mêmes politiques sont nées avant d’être exportées partout sur la planète. De ce point de vue, l’arrivée de Trump traduit une véritable contre-révolution culturelle.
Les Européens de l’Ouest sont les moins bien préparés à affronter ces chocs. Ils ont vraiment cru et croient encore dans le multilatéralisme, dans la « communauté » internationale et dans l’universalité de leurs valeurs. Or, les États-Unis viennent de leur envoyer le message inverse : à savoir que la règle du jeu post seconde guerre mondiale, basée sur un mélange de démocratie et de libéralisme économique, est obsolète. Et ce qui était vécu par les Européens comme une véritable religion est aujourd’hui défié frontalement. Trump est donc une sorte d’hérétique venu mettre le chaos dans le « temple » européen. Et l’avènement de cet « antéchrist » est vécu comme un traumatisme géant. Le vice-président Vance a osé tenir ces propos schismatiques à une des grand-messes occidentales à Munich …
Tout cela met un terme à la notion fantasmée d’un Occident homogène. Le mot Occident signifiait l’idée de valeurs partagées avec les Etats-Unis. Je le dis d’ailleurs depuis longtemps : avec les Américains, nous ne sommes plus que des cousins issus de germains. Reste la relation transatlantique à travers l’Alliance, elle-même fragilisée par Trump.
Mais pour les Européens, comment répondre à cette révolution culturelle made in USA ?
En ne tombant pas dans le piège d’une réaction pavlovienne aux attaques de Vance, et ne défendant pas automatiquement et aveuglément tout ce qu’il a attaqué. Ainsi, l’équipe Trump veut éradiquer le wokisme. Ce sujet n’est pas secondaire. Je vous renvoie au livre de Jean-François Braunstein, La religion woke, qui démontre comment les courants écologistes, féministes, LGBT+, décoloniaux et multiculturalistes aux Etats-Unis se sont ultra-radicalisés ces vingt dernières années, et comment cette idéologie est devenue progressivement dominante dans les universités américaines, dans de nombreux médias, dans le milieu de la comm’, de la mode ou celui du cinéma… La France n’est d’ailleurs pas étrangère à ce mouvement d’idées. Je rappelle que l’une des égéries de cette mouvance woke est l’universitaire américaine Judith Butler, célèbre théoricienne du genre et de l’intersectionnalité qui s’est beaucoup inspiré, en les trahissant un peu, de Michel Foucaut, Jacques Derrida, ou Jacques Lacan …
Il faut maintenant aider chacun de ces courants à se débarrasser de l’emprise de leurs leaders ultra-radicaux – en 1793 on aurait parlé « d’enragés » – qui les ont conduit dans une impasse.
Et sur un plan diplomatique et géopolitique, comment faire face à la nouvelle donne qu’impose Donald Trump dans la cadre russo-ukrainien ?
Si Donald Trump impose un cessez-le-feu comme il l’a annoncé, se défaussera-t-il sur les quelques pays européens qui ont des armées capables pour le garantir et dissuader Poutine de recommencer ? Avec quel mandat ? La Grande-Bretagne, la France, la Pologne et l’Allemagne y participeront-ils ? C’est la question la plus épineuse et la plus urgente. Les gouvernements de ces pays européens (et peut-être d’autres) auront du mal à convaincre leurs opinions – ou leurs parlements – sans aucune garantie américaine, sous une forme ou sous une autre.
Et la France dans tout cela, a-t-elle encore une voix à porter dans ce nouveau concert des Nations dirigé par Donald Trump ?
Emmanuel Macron a eu tout à fait raison de s’imposer dans le bureau ovale, en concertation avec le Premier Ministre britannique. Parce que, précisément, dans le monde de Trump, il n’y a pas de « concert des nations ». Il faut s’y prendre autrement. Et de toute façon, la France ne doit pas faire un complexe de vieille actrice recherchant un « rôle ».
Notre pays doit trouver, dans la pétaudière que Trump a créée, des méthodes pour défendre ses intérêts vitaux en matière de défense, d’écologie, d’économie, d’immigration, etc. Sans complexe inutile. Nous sommes une puissance moyenne d’influence mondiale. Ce qui n’est pas rien. Il y a 200 pays à l’ONU dont 180 ne sont pas des puissances. Nous avons des atouts que les autres n’ont pas. Nous avons l’arme atomique, nous siégeons au Conseil de sécurité, nous avons un réseau diplomatique mondial qui reste influent ; la francophonie et la francophilie restent des réalités. Ce sont des atouts majeurs pour notre pays et notre économie. Mais bien sûr cela ne nous dispense pas d’un énorme effort de redressement : il faut travailler mieux, bien sûr, mais surtout travailler plus.
En ce qui concerne la sécurité nationale, il faut préserver la crédibilité de notre dissuasion, redévelopper nos capacités d’armement et investir dans les nouvelles technologies, travailler à l’élaboration d’un pilier européen de l’Alliance Atlantique, ce qui nécessitera des restructurations industrielles, des regroupements et des fusions en Europe. En matière d’écologisation, il faut évidemment poursuivre l’effort malgré Trump, continuer les COP, et dans ce domaine il y aura des coopérations à trouver avec la Chine. En ce qui concerne la maîtrise des flux migratoires, il faut accroître une immigration légale très bien choisie, casser les réseaux de l’immigration illégale, préserver l’asile pour les gens vraiment en danger. L’exemple de la gauche danoise mérite d’être méditée.
Et il est impératif de préciser les politiques qui doivent continuer d’être menées au niveau national, ou au niveau européen, et comment on combine les deux, car c’est devenu très confus.
Propos recueillis par Stéphane Aubouard