Préface à Guerres d’Aujourd’hui – Pourquoi ces conflits? Peut on les résoudre?, sous la direction de Sara Daniel

«Guerres d’aujourd’hui» élaboré sous la direction de Sara Daniel et que publient les éditions Delavilla arrive à point nommé. Pour plusieurs raisons.
D’abord parce qu’il y a dans le monde actuel un nombre suffisant de crises, hélas, pour justifier un tel travail. Le dictionnaire en traite neuf, les plus importantes: Israël-Palestine, Liban, Irak, Iran, – elles sont d’ailleurs liées -, Afghanistan, Darfour, Tibet, Colombie, Géorgie.

Ensuite parce que les années 2008-2009 marquent l’effondrement des croyances à la fois triomphalistes et optimistes qui ont dominé l’Occident – Etats-Unis et Europe – depuis la disparition de l’URSS, et qui nous dispensaient, croyait-on, de comprendre un monde qui nous était acquis. Fin de l’histoire. Avènement d’une «communauté» internationale unifiée autour de l’économie de marché, de la démocratie et des droits de l’Homme, mise à part quelques dictatures anachroniques condamnées par l’évolution. Affirmation de «nouveaux acteurs» supplantant les Etats: ONG, société civile internationale, justice internationale, etc. Gouvernance mondiale. Ingérence. Objectifs du millénaire, etc. Cela fait une vingtaine d’années que les européens baignent dans cette ambiance «post-tragique». Ils ont été choqués par G. W. Bush, sa propension à recourir unilatéralement à la force, sans voir qu’ils partageaient avec lui la croyance dans la mission prosélyte de l’Occident, tout en ne prétendant voir dans le «choc des civilisations» qu’une théorie erronée au lieu d’un risque réel.

Or, ils se réveillent dans un monde très différent où les rapports de force, les Etats, les stratégies de puissance ont retrouvé (gardé?) toute leur importance. Où la mondialisation, activement poussée depuis des décennies par les Etats-Unis et les entreprises globales occidentales, a libéré l’énergie colossale de puissances qui émergent ou réémergent et vont prendre sur ce terrain leur revanche sur les quatre ou cinq siècles écoulés. Il ne s’agit pas seulement de la Chine, de l’Inde ou de la Russie, mais aussi de dizaines d’autres moins importantes mais aussi dynamiques et ambitieuses. Les Européens et les Américains doivent constater que ces derniers temps, ils n’ont pas réussi à fléchir les Birmans, ni à impressionner la Chine, ni à dissuader les Russes, ni à convaincre les Iraniens, ni à contraindre les Soudanais ou à maîtriser les Afghans, ni même sur un tout autre plan, à ce que l’Inde accepte le compromis final à l’OMC. En plus, pour régler un conflit, la coopération de tel ou tel pays est indispensable aux occidentaux, alors même qu’il est la cible de pressions ou de sanctions par les mêmes occidentaux dans un autre conflit, et ainsi de suite. Cela ne peut pas marcher. Il n’y a pas encore de «nouvel ordre international»

Les crises traitées par le dictionnaire ne résultent pas toutes de ce nouveau jeu des puissances. Elles ont leur spécificité, ici bien mise en valeur. Mais elles sont au minimum entretenues et envenimées par lui et leur solution en tout cas en dépend.

C’est là où ce travail, qui sera complété et remis à jour régulièrement, est essentiel: il permet de redécouvrir la complexité du monde, au moment où celle-ci se réimpose à nous, cette complexité qui a été niée par un manichéisme occidental à courte vue («the West and the rest») mais aussi, paradoxalement, par un certain universalisme bien intentionné. Des spécialistes de premier plan: diplomates, universitaires, chercheurs, experts, anciens responsables, permettront au lecteur du dictionnaire de comprendre les mécanismes de ces crises. Pierre-Jean Luizard, Robert Malley, Barnett Rubin, Henry Laurens, Andrew Fisher, Bernard Hourcade, Ghassan Salamé, Laghdar Brahimi, Jean-Jacques Kourliandsky, Roland Marchal, Joseph Bahout, Pierre Hassner, Laure Delcour, International Crisis Group, New York University, divers think-tanks, tous ces noms de personnes ou d’organismes parlent d’eux-mêmes.

Pour chaque crise est proposée une solution. Il s’agit là d’une innovation majeure dans un ouvrage de ce type. Les crises ne sont pas seulement analysées. Des propositions sont faites, dans chaque cas. Elles anticipent sur la question: que faire? Elles sont naturellement discutables. C’est leur fonction. Mais par leur présence elles évitent à l’ensemble de ces analyses d’alimenter perplexité et pessimisme et elles pourront inspirer les responsables actuellement aux manettes.

N’oublions pas enfin que le monde dans lequel ces crises s’inscrivent est entré dans une méga crise globale: celle d’une humanité en expansion démographique (9 milliards d’habitants en 2050), lancée dans une croissance économique forte et prédatrice dont les risques vitaux sont maintenant évidents dans un monde fini où la compétition va s’accroître autour des ressources rares. Ces menaces systémiques amèneront peut-être les responsables des deux cent pays du monde et les institutions internationales qui en sont l’expression à mettre sur pied une raisonnable gouvernance globale qui n’existe pas encore, et finalement, à résorber les crises géopolitiques classiques dont ce livre vous donne les clefs.

Hubert Védrine

Préface à Guerres d’Aujourd’hui – Pourquoi ces conflits? Peut on les résoudre?, sous la direction de Sara Daniel

Hubert Vedrine

Préface au Dictionnaire des conflits «Guerres d’aujourd’hui»

«Guerres d’aujourd’hui» élaboré sous la direction de Sara Daniel et que publient les éditions Delavilla arrive à point nommé. Pour plusieurs raisons.
D’abord parce qu’il y a dans le monde actuel un nombre suffisant de crises, hélas, pour justifier un tel travail. Le dictionnaire en traite neuf, les plus importantes: Israël-Palestine, Liban, Irak, Iran, – elles sont d’ailleurs liées -, Afghanistan, Darfour, Tibet, Colombie, Géorgie.

Ensuite parce que les années 2008-2009 marquent l’effondrement des croyances à la fois triomphalistes et optimistes qui ont dominé l’Occident – Etats-Unis et Europe – depuis la disparition de l’URSS, et qui nous dispensaient, croyait-on, de comprendre un monde qui nous était acquis. Fin de l’histoire. Avènement d’une «communauté» internationale unifiée autour de l’économie de marché, de la démocratie et des droits de l’Homme, mise à part quelques dictatures anachroniques condamnées par l’évolution. Affirmation de «nouveaux acteurs» supplantant les Etats: ONG, société civile internationale, justice internationale, etc. Gouvernance mondiale. Ingérence. Objectifs du millénaire, etc. Cela fait une vingtaine d’années que les européens baignent dans cette ambiance «post-tragique». Ils ont été choqués par G. W. Bush, sa propension à recourir unilatéralement à la force, sans voir qu’ils partageaient avec lui la croyance dans la mission prosélyte de l’Occident, tout en ne prétendant voir dans le «choc des civilisations» qu’une théorie erronée au lieu d’un risque réel.

Or, ils se réveillent dans un monde très différent où les rapports de force, les Etats, les stratégies de puissance ont retrouvé (gardé?) toute leur importance. Où la mondialisation, activement poussée depuis des décennies par les Etats-Unis et les entreprises globales occidentales, a libéré l’énergie colossale de puissances qui émergent ou réémergent et vont prendre sur ce terrain leur revanche sur les quatre ou cinq siècles écoulés. Il ne s’agit pas seulement de la Chine, de l’Inde ou de la Russie, mais aussi de dizaines d’autres moins importantes mais aussi dynamiques et ambitieuses. Les Européens et les Américains doivent constater que ces derniers temps, ils n’ont pas réussi à fléchir les Birmans, ni à impressionner la Chine, ni à dissuader les Russes, ni à convaincre les Iraniens, ni à contraindre les Soudanais ou à maîtriser les Afghans, ni même sur un tout autre plan, à ce que l’Inde accepte le compromis final à l’OMC. En plus, pour régler un conflit, la coopération de tel ou tel pays est indispensable aux occidentaux, alors même qu’il est la cible de pressions ou de sanctions par les mêmes occidentaux dans un autre conflit, et ainsi de suite. Cela ne peut pas marcher. Il n’y a pas encore de «nouvel ordre international»

Les crises traitées par le dictionnaire ne résultent pas toutes de ce nouveau jeu des puissances. Elles ont leur spécificité, ici bien mise en valeur. Mais elles sont au minimum entretenues et envenimées par lui et leur solution en tout cas en dépend.

C’est là où ce travail, qui sera complété et remis à jour régulièrement, est essentiel: il permet de redécouvrir la complexité du monde, au moment où celle-ci se réimpose à nous, cette complexité qui a été niée par un manichéisme occidental à courte vue («the West and the rest») mais aussi, paradoxalement, par un certain universalisme bien intentionné. Des spécialistes de premier plan: diplomates, universitaires, chercheurs, experts, anciens responsables, permettront au lecteur du dictionnaire de comprendre les mécanismes de ces crises. Pierre-Jean Luizard, Robert Malley, Barnett Rubin, Henry Laurens, Andrew Fisher, Bernard Hourcade, Ghassan Salamé, Laghdar Brahimi, Jean-Jacques Kourliandsky, Roland Marchal, Joseph Bahout, Pierre Hassner, Laure Delcour, International Crisis Group, New York University, divers think-tanks, tous ces noms de personnes ou d’organismes parlent d’eux-mêmes.

Pour chaque crise est proposée une solution. Il s’agit là d’une innovation majeure dans un ouvrage de ce type. Les crises ne sont pas seulement analysées. Des propositions sont faites, dans chaque cas. Elles anticipent sur la question: que faire? Elles sont naturellement discutables. C’est leur fonction. Mais par leur présence elles évitent à l’ensemble de ces analyses d’alimenter perplexité et pessimisme et elles pourront inspirer les responsables actuellement aux manettes.

N’oublions pas enfin que le monde dans lequel ces crises s’inscrivent est entré dans une méga crise globale: celle d’une humanité en expansion démographique (9 milliards d’habitants en 2050), lancée dans une croissance économique forte et prédatrice dont les risques vitaux sont maintenant évidents dans un monde fini où la compétition va s’accroître autour des ressources rares. Ces menaces systémiques amèneront peut-être les responsables des deux cent pays du monde et les institutions internationales qui en sont l’expression à mettre sur pied une raisonnable gouvernance globale qui n’existe pas encore, et finalement, à résorber les crises géopolitiques classiques dont ce livre vous donne les clefs.

Hubert Védrine

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31/12/2008