Le Nouvel Observateur: Vous venez de remettre à François Hollande le rapport qu’il vous a commandé en juillet sur le retour de la France dans le commandement de l’Otan. Quel bilan tirez-vous, trois ans après?
Hubert Védrine: Nous manquons de recul, mais le bilan est mitigé. La France a obtenu plusieurs postes importants au sein de l’Otan, dont l’un des deux commandements «suprêmes», celui chargé de la transformation. Elle a aussi joué un rôle utile dans la réduction drastique de la bureaucratie de l’organisation. Elle a obtenu, contre l’avis de l’Allemagne, que la stratégie de l’Alliance reste fondée sur la dissuasion nucléaire. En revanche, la France n’a que gagné du temps sur la compatibilité dissuasion/défense. Elle n’a pas pu à influencer la stratégie générale de l’Otan en Afghanistan; les pays émergents s’interrogent désormais sur l’autonomie diplomatique de Paris; enfin, ce retour n’a pas stimulé l’Europe de la Défense.
C’était pourtant l’une des principales raisons invoquées par Nicolas Sarkozy.
H. Védrine: Oui. Et il est vrai que, jusqu’à cette réintégration, nos partenaires de l’UE prétendaient redouter que Paris veuille substituer l’Europe de la Défense à l’Otan! Mais on voit que le retour de la France ne leur a pas suffit, il y avait d’autres causes à ce piétinement.
Au total, jugez-vous toujours, comme en 2009, que Nicolas Sarkozy n’aurait pas dû faire le choix de la réintégration?
H. Védrine: Il aurait pu ne pas le faire. Pour nous la situation antérieure était diplomatiquement et politiquement confortable, mais un peu compliquée sur le plan militaire. Mais peu importe ce qui est fait est fait: ressortir n’est pas une option. Pour deux raisons. D’abord la situation internationale n’a aucun rapport avec celle qui, en 1966, a conduit De Gaulle à sortir – à juste titre – de l’organisation militaire intégrée. Ensuite, un nouveau retrait ouvrirait une crise grave et inutile avec l’administration Obama et anéantirait toute chance d’avancée de la Défense européenne. Bref, cela ne nous donnerait aucun levier aucune carte nouvelle. Agissons plutôt pour que les avantages de cette réintégration soient supérieurs à ses inconvénients.
Quels sont les risques?
H. Védrine:, Celui d’être phagocytés si nous demeurons passifs ou défensifs, et analysons la géopolitique mondiale à travers la lunette de l’Otan, celui de ratifier des décisions qui saperaient la dissuasion nucléaire, et celui de ne pas endiguer la dynamique de la «smart defence» qui étoufferait les quelques projets industriels européens. Pour prévenir ces risques, nous devons être plus allants. Nous devons cesser de penser que l’Otan est un corps étranger. C’est notre alliance et nous devons y prendre toute notre part. Il ne faut pas attendre le prochain sommet pour réagir aux propositions américaines, nous devons avancer les nôtres sans complexe, être vigilants et exigeant sur le plan industriel et stratégique, être prêts à nous opposer à des plans qui ne tiendraient pas assez compte des projets européens déjà en cours.
Etre prêts aussi à engager un bras de fer sur la défense anti-missile?
H. Védrine: Si les Américains veulent aller jusqu’aux phases trois et quatre de leur projet, la question se posera, car ces développements risquent de rendre les forces de dissuasion inopérantes.
Vous ne proposez pas la création d’un «pilier européen» au sein de l’Otan, pourquoi?
H. Védrine: parce que beaucoup de pays européens, très attachés au lien transatlantique et trop inquiets du recentrage de Washington vers l’Asie, redoutent qu’une telle proposition précipite un désengagement américain de l’Europe. Agissons mais sans proclamation
Pourtant vous continuez à penser que la France doit continuer à plaider en faveur d’une Europe de la défense.
H. Védrine: Oui, c’est logique pour plusieurs raisons: cela fait partie du projet politique à long terme de l’Union Européenne; il faut défendre l’industrie européenne de l’armement; et les Etats-Unis semblent désormais, dans une certaine mesure, ouverts à cette perspective et être capable de mener certaines opérations extérieures. Mais : il faut cesser les incantations vides de contenu. La France devrait mettre ses quelques partenaires clefs au pied du mur, leur demander de prendre des engagements précis. Nous pourrions par exemple inciter les Allemands à reprendre les discussions sur la fusion BAE-Eads, après leurs élections législatives.
Pourquoi ne proposez vous pas non plus la création d’un état major européende planification?
H. Védrine: parce que ce serait bloqué par plusieurs de nos partenaires, les Britanniques. Commençons par un centre européen d’analyse et de prévision stratégique, un projet plus réaliste.
Le Nouvel Observateur: Vous venez de remettre à François Hollande le rapport qu’il vous a commandé en juillet sur le retour de la France dans le commandement de l’Otan. Quel bilan tirez-vous, trois ans après?
Hubert Védrine: Nous manquons de recul, mais le bilan est mitigé. La France a obtenu plusieurs postes importants au sein de l’Otan, dont l’un des deux commandements «suprêmes», celui chargé de la transformation. Elle a aussi joué un rôle utile dans la réduction drastique de la bureaucratie de l’organisation. Elle a obtenu, contre l’avis de l’Allemagne, que la stratégie de l’Alliance reste fondée sur la dissuasion nucléaire. En revanche, la France n’a que gagné du temps sur la compatibilité dissuasion/défense. Elle n’a pas pu à influencer la stratégie générale de l’Otan en Afghanistan; les pays émergents s’interrogent désormais sur l’autonomie diplomatique de Paris; enfin, ce retour n’a pas stimulé l’Europe de la Défense.
C’était pourtant l’une des principales raisons invoquées par Nicolas Sarkozy.
H. Védrine: Oui. Et il est vrai que, jusqu’à cette réintégration, nos partenaires de l’UE prétendaient redouter que Paris veuille substituer l’Europe de la Défense à l’Otan! Mais on voit que le retour de la France ne leur a pas suffit, il y avait d’autres causes à ce piétinement.
Au total, jugez-vous toujours, comme en 2009, que Nicolas Sarkozy n’aurait pas dû faire le choix de la réintégration?
H. Védrine: Il aurait pu ne pas le faire. Pour nous la situation antérieure était diplomatiquement et politiquement confortable, mais un peu compliquée sur le plan militaire. Mais peu importe ce qui est fait est fait: ressortir n’est pas une option. Pour deux raisons. D’abord la situation internationale n’a aucun rapport avec celle qui, en 1966, a conduit De Gaulle à sortir – à juste titre – de l’organisation militaire intégrée. Ensuite, un nouveau retrait ouvrirait une crise grave et inutile avec l’administration Obama et anéantirait toute chance d’avancée de la Défense européenne. Bref, cela ne nous donnerait aucun levier aucune carte nouvelle. Agissons plutôt pour que les avantages de cette réintégration soient supérieurs à ses inconvénients.
Quels sont les risques?
H. Védrine:, Celui d’être phagocytés si nous demeurons passifs ou défensifs, et analysons la géopolitique mondiale à travers la lunette de l’Otan, celui de ratifier des décisions qui saperaient la dissuasion nucléaire, et celui de ne pas endiguer la dynamique de la «smart defence» qui étoufferait les quelques projets industriels européens. Pour prévenir ces risques, nous devons être plus allants. Nous devons cesser de penser que l’Otan est un corps étranger. C’est notre alliance et nous devons y prendre toute notre part. Il ne faut pas attendre le prochain sommet pour réagir aux propositions américaines, nous devons avancer les nôtres sans complexe, être vigilants et exigeant sur le plan industriel et stratégique, être prêts à nous opposer à des plans qui ne tiendraient pas assez compte des projets européens déjà en cours.
Etre prêts aussi à engager un bras de fer sur la défense anti-missile?
H. Védrine: Si les Américains veulent aller jusqu’aux phases trois et quatre de leur projet, la question se posera, car ces développements risquent de rendre les forces de dissuasion inopérantes.
Vous ne proposez pas la création d’un «pilier européen» au sein de l’Otan, pourquoi?
H. Védrine: parce que beaucoup de pays européens, très attachés au lien transatlantique et trop inquiets du recentrage de Washington vers l’Asie, redoutent qu’une telle proposition précipite un désengagement américain de l’Europe. Agissons mais sans proclamation
Pourtant vous continuez à penser que la France doit continuer à plaider en faveur d’une Europe de la défense.
H. Védrine: Oui, c’est logique pour plusieurs raisons: cela fait partie du projet politique à long terme de l’Union Européenne; il faut défendre l’industrie européenne de l’armement; et les Etats-Unis semblent désormais, dans une certaine mesure, ouverts à cette perspective et être capable de mener certaines opérations extérieures. Mais : il faut cesser les incantations vides de contenu. La France devrait mettre ses quelques partenaires clefs au pied du mur, leur demander de prendre des engagements précis. Nous pourrions par exemple inciter les Allemands à reprendre les discussions sur la fusion BAE-Eads, après leurs élections législatives.
Pourquoi ne proposez vous pas non plus la création d’un état major européende planification?
H. Védrine: parce que ce serait bloqué par plusieurs de nos partenaires, les Britanniques. Commençons par un centre européen d’analyse et de prévision stratégique, un projet plus réaliste.