L’Opinion – Tribune Libre – 6 septembre 2018

« Il faut «écologiser» toutes les activités humaines »


Beaucoup de personnalités remarquables se sont employées – et usées – depuis des années à faire avancer la cause écologique. La dernière en date, Nicolas Hulot avec panache et conviction. Mais sans succès suffisants. En tout cas, pas à la hauteur de l’enjeu. L’urgence est maintenant de convaincre l’opinion – toute l’opinion – de la réalité, de la gravité de la dégradation écologique (et pas seulement du climat) et des risques énormes que cela entraîne et de construire un consensus large et puissant sur la nécessité absolue d’une écologisation systématique de toutes les activités humaines. Ce n’est pas le sort de « la Planète » dont il est question, mais bien plus grave, du maintien de la vie sur la terre à quelques générations de distance. Cela peut paraître outrancier, cela ne l’est pas selon les scientifiques. Cette écologisation doit être menée dans tous les domaines. C’est stérile d’opposer de façon statique et binaire l’écologie à l’économie ou, à l’inverse, les écologistes aux entreprises, etc… Il faut adopter une approche dynamique et en perspective, dans la durée. La question n’est pas : peut-on écologiser ou non ? Mais à quel rythme va-t-on, doit-on le faire ! Pour l’énergie, l’industrie (chimique et autre), l’agriculture, les transports, la construction, les finances, les communications, etc… En fait, toutes les activités sociales et économiques. Et le calcul économique lui-même qui devrait évaluer les patrimoines et pas seulement mesurer les flux.

Sur l’énergie, l’objectif est que les énergies renouvelables deviennent normalement rentables grâce à des percées technologiques et pas seulement des incitations fiscales. Il faut arrêter les affrontements idéologiques et politiciens sur le nucléaire. C’est cela qui a conduit l’Allemagne à relancer le charbon, et donc le CO2 !. L’urgence mondiale est d’abord de réduire le charbon, et on est loin du compte du fait des émergents. On se passera du nucléaire dès que ce sera économiquement et écologiquement possible, ce qu’il faut préparer sérieusement, sans fixer des dates artificielles et prématurées pour des raisons politiques. Et d’ici là il faut maintenir notre remarquable savoir-faire dans ce domaine pour ne pas dépendre demain des Chinois ou des Russes. Donc écologiser, avancer sans relâcher le rythme, malgré les « lobbies » qui ne sont, par leur action retardataire, que la forme la plus organisée de la résistance des sociétés, c’est-à-dire des gens, au changement, gens qu’il faut convaincre, au lieu de s’indigner.  Et le faire sans s’enfermer non plus dans les « lubies » des écologistes politiques.

La reconversion de l’agro-alimentaire mondial, absolument indispensable, sera plus longue et difficile, et entrecoupée de nombreuses crises car elle obligera des centaines de millions de gens à pratiquer une agriculture raisonnée avec moins de pesticides et les entreprises concernées à de vraies révolutions. Mais au bout du compte, l’exigence des consommateurs l’emportera (par exemple sur le bio).

L’industrie nouvelle sera plus facile à moderniser, à rendre moins polluante, ses performances en matière d’économie d’énergie ou de recyclage sont déjà remarquables, mais diffuser partout ces nouveaux modes de production sera long… Notamment dans l’industrie chimique (qui est néanmoins indispensable et a un bel avenir devant elle avec les batteries).

La construction : on sait déjà faire des immeubles à énergie positive ! Etc.

Cela ne sert à rien d’interdire des activités pour des raisons d’affichage politique ou de dogme si on ne sait pas par quoi les remplacer tout de suite. Ces psychodrames font perdre du temps. Les gens se rebellent, on hurle contre les lobbies, tout se bloque, c’est l’impasse ! Il faut découvrir et inventer sans relâche. Il faut alerter, alarmer l’opinion, sans la paniquer, et proposer en même temps aux gens des alternatives qui deviendront dominantes puis irrésistibles.

En revanche, à tous ceux, individus, métiers, organisations, entreprises, voire administrations qui résistent et disent que pour des raisons techniques, d’emploi, de concurrence internationale, c’est impossible ! il faut répliquer : alors que proposez-vous ? Quel est votre calendrier ? Que pouvez-vous faire en trois ans, en cinq ans ? Les mettre sous pression. Il ne devrait plus y avoir une seule réunion professionnelle annuelle (genre Medef, FNSEA, ou autre…) qui ne commence par un point sur l’état d’avancement de la transition dans leur domaine. Un « conseil des générations futures » composé de scientifiques aiderait à mesurer les avancées, les stagnations, voire les reculs et à faire des propositions. Les progrès, les avancées scientifiques (il y en a sans arrêt), les bonnes pratiques encourageantes, devraient systématiquement être mises en valeur.

Il ne s’agit pas d’établir une nouvelle religion (le vrai, le faux ; le bien, le mal ; les bons, les méchants) ni de traquer les hérétiques mais d’aider, de pousser (parfois de forcer), l’ensemble du corps social à avancer plus vite en gardant en permanence le soutien d’une majorité de la population, qui pourra varier selon les sujets. De garder obstinément le cap, jour après jour, tout en développant une pédagogie d’accompagnement.

Si la France, qui n’est responsable de quasiment rien dans le détraquage écologique du monde, forgeait ce consensus ambitieux et exemplaire, elle serait bien placée pour réclamer une mobilisation internationale accrue sur une mise en œuvre renforcée de la COP, (ce qui est fait est insuffisant), un équivalent pour enrayer l’effondrement de la biodiversité, préserver les océans et les forêts, etc. Il faut trouver des leviers, des effets d’entraînement. Le vrai problème ce sont les émergents, la Russie et les Etats-Unis en passe de devenir sous Trump un Etats écologiquement « voyou ». L’opinion française (et européenne) est en tout cas prête à ces avancées si on fixe des calendriers réalistes.

Bonne chance et soutien au nouveau ministre, François de Rugy !

 

Hubert Védrine

L’Opinion – Tribune Libre – 6 septembre 2018

Hubert Vedrine

« Il faut «écologiser» toutes les activités humaines »


Beaucoup de personnalités remarquables se sont employées – et usées – depuis des années à faire avancer la cause écologique. La dernière en date, Nicolas Hulot avec panache et conviction. Mais sans succès suffisants. En tout cas, pas à la hauteur de l’enjeu. L’urgence est maintenant de convaincre l’opinion – toute l’opinion – de la réalité, de la gravité de la dégradation écologique (et pas seulement du climat) et des risques énormes que cela entraîne et de construire un consensus large et puissant sur la nécessité absolue d’une écologisation systématique de toutes les activités humaines. Ce n’est pas le sort de « la Planète » dont il est question, mais bien plus grave, du maintien de la vie sur la terre à quelques générations de distance. Cela peut paraître outrancier, cela ne l’est pas selon les scientifiques. Cette écologisation doit être menée dans tous les domaines. C’est stérile d’opposer de façon statique et binaire l’écologie à l’économie ou, à l’inverse, les écologistes aux entreprises, etc… Il faut adopter une approche dynamique et en perspective, dans la durée. La question n’est pas : peut-on écologiser ou non ? Mais à quel rythme va-t-on, doit-on le faire ! Pour l’énergie, l’industrie (chimique et autre), l’agriculture, les transports, la construction, les finances, les communications, etc… En fait, toutes les activités sociales et économiques. Et le calcul économique lui-même qui devrait évaluer les patrimoines et pas seulement mesurer les flux.

Sur l’énergie, l’objectif est que les énergies renouvelables deviennent normalement rentables grâce à des percées technologiques et pas seulement des incitations fiscales. Il faut arrêter les affrontements idéologiques et politiciens sur le nucléaire. C’est cela qui a conduit l’Allemagne à relancer le charbon, et donc le CO2 !. L’urgence mondiale est d’abord de réduire le charbon, et on est loin du compte du fait des émergents. On se passera du nucléaire dès que ce sera économiquement et écologiquement possible, ce qu’il faut préparer sérieusement, sans fixer des dates artificielles et prématurées pour des raisons politiques. Et d’ici là il faut maintenir notre remarquable savoir-faire dans ce domaine pour ne pas dépendre demain des Chinois ou des Russes. Donc écologiser, avancer sans relâcher le rythme, malgré les « lobbies » qui ne sont, par leur action retardataire, que la forme la plus organisée de la résistance des sociétés, c’est-à-dire des gens, au changement, gens qu’il faut convaincre, au lieu de s’indigner.  Et le faire sans s’enfermer non plus dans les « lubies » des écologistes politiques.

La reconversion de l’agro-alimentaire mondial, absolument indispensable, sera plus longue et difficile, et entrecoupée de nombreuses crises car elle obligera des centaines de millions de gens à pratiquer une agriculture raisonnée avec moins de pesticides et les entreprises concernées à de vraies révolutions. Mais au bout du compte, l’exigence des consommateurs l’emportera (par exemple sur le bio).

L’industrie nouvelle sera plus facile à moderniser, à rendre moins polluante, ses performances en matière d’économie d’énergie ou de recyclage sont déjà remarquables, mais diffuser partout ces nouveaux modes de production sera long… Notamment dans l’industrie chimique (qui est néanmoins indispensable et a un bel avenir devant elle avec les batteries).

La construction : on sait déjà faire des immeubles à énergie positive ! Etc.

Cela ne sert à rien d’interdire des activités pour des raisons d’affichage politique ou de dogme si on ne sait pas par quoi les remplacer tout de suite. Ces psychodrames font perdre du temps. Les gens se rebellent, on hurle contre les lobbies, tout se bloque, c’est l’impasse ! Il faut découvrir et inventer sans relâche. Il faut alerter, alarmer l’opinion, sans la paniquer, et proposer en même temps aux gens des alternatives qui deviendront dominantes puis irrésistibles.

En revanche, à tous ceux, individus, métiers, organisations, entreprises, voire administrations qui résistent et disent que pour des raisons techniques, d’emploi, de concurrence internationale, c’est impossible ! il faut répliquer : alors que proposez-vous ? Quel est votre calendrier ? Que pouvez-vous faire en trois ans, en cinq ans ? Les mettre sous pression. Il ne devrait plus y avoir une seule réunion professionnelle annuelle (genre Medef, FNSEA, ou autre…) qui ne commence par un point sur l’état d’avancement de la transition dans leur domaine. Un « conseil des générations futures » composé de scientifiques aiderait à mesurer les avancées, les stagnations, voire les reculs et à faire des propositions. Les progrès, les avancées scientifiques (il y en a sans arrêt), les bonnes pratiques encourageantes, devraient systématiquement être mises en valeur.

Il ne s’agit pas d’établir une nouvelle religion (le vrai, le faux ; le bien, le mal ; les bons, les méchants) ni de traquer les hérétiques mais d’aider, de pousser (parfois de forcer), l’ensemble du corps social à avancer plus vite en gardant en permanence le soutien d’une majorité de la population, qui pourra varier selon les sujets. De garder obstinément le cap, jour après jour, tout en développant une pédagogie d’accompagnement.

Si la France, qui n’est responsable de quasiment rien dans le détraquage écologique du monde, forgeait ce consensus ambitieux et exemplaire, elle serait bien placée pour réclamer une mobilisation internationale accrue sur une mise en œuvre renforcée de la COP, (ce qui est fait est insuffisant), un équivalent pour enrayer l’effondrement de la biodiversité, préserver les océans et les forêts, etc. Il faut trouver des leviers, des effets d’entraînement. Le vrai problème ce sont les émergents, la Russie et les Etats-Unis en passe de devenir sous Trump un Etats écologiquement « voyou ». L’opinion française (et européenne) est en tout cas prête à ces avancées si on fixe des calendriers réalistes.

Bonne chance et soutien au nouveau ministre, François de Rugy !

 

Hubert Védrine

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28/09/2018