Les débuts d’Obama en politique étrangère

Comment reconstruire, à partir d’un fiasco conceptuel et pratique, une vraie politique étrangère pour la première puissance mondiale? C’est le défi de Barak Obama. N’oublions pas ce qu’a redit Georges W. Bush dans sa farewell adress: «il y a dans le monde un combat entre le bien et le mal et avec le mal il n’y a pas de compromis possible».

Manichéisme qui est la négation même des relations internationales et de la diplomatie, qui n’a pas été inventée pour converser avec des amis.
Barak Obama incarne d’emblée la rupture avec cette conception et avec la politique étrangère inepte qui en a découlé. Il a trouvé des mots justes pour parler de l’Amérique et du reste du monde. Il a nommé des personnalités fortes et talentueuses aux postes clefs (Hillary Clinton, le Général Jones, les envoyés spéciaux Mitchell – très bon choix – et Holbrooke, sans oublier le vice président Biden). Ils ont déjà fait le plus facile, qui n’est pas le moins important: changer de ton, ne plus s’interdire de parler à quelque acteur des relations internationales que ce soit, (ce qui ne veut pas dire parler à n’importe qui n’importe comment), être à l’écoute de leurs alliés, se réinsérer dans le jeu multilatéral, ou à tout le moins, de la coopération internationale, commencer à libérer l’Amérique – la plus grande puissance de tous les temps – de sa peur obsessionnelle et paradoxale.

Des signaux nouveaux et importants ont déjà été adressés par le président, ou par Hillary Clinton, aux responsables russes, iraniens, arabes, israéliens, afghans, pakistanais, chinois, cubains, etc. et subsidiairement aux européens. Avec déjà des effets sensibles.

Mais les choses sérieuses, et les difficultés, commencent maintenant. Ce n’est pas une surprise qu’Hillary Clinton ait été chargée de redéfinir en priorité sur une base réaliste ce qui sera la relation bilatérale la plus stratégique des prochaines années: la relation sino-américaine. Avec la Russie, que l’administration Bush avait traité avec désinvolture et maladresse, cela ne devrait pas être impossible à l’administration Obama de bâtir en un an ou deux un partenariat vigilant, fondé sur une interdépendance évidente, et auquel les européens doivent évidemment contribuer.
Avec «l’arc de crise» c’est une autre affaire. Obama doit absolument enrayer l’engrenage du clash Islam-Occident et il a déjà commencé, remarquablement, avec l’Iran. Mais réussira t’il à retirer les troupes combattantes d’Irak sans que la guerre civile ne se réveille? à mener à bien une nouvelle politique iranienne qui en modifiant le rapport de force interne à Téhéran obligerait le régime des Mollahs à un compromis raisonnable? à trouver en Afghanistan une solution sécuritaire et politiquement viable ce qui ne se fera pas sans impliquer le Pakistan et donc sans obtenir de l’Inde sur un plan ou sur un autre un geste envers le Pakistan? et last but not least à imposer enfin au Proche Orient la solution des deux états, ce qui exigera à la fois de donner à Israël encore plus de garanties de sécurité tout en neutralisant ceux des Israéliens qui sont acharnés à empêcher toute concession et d’oser réintégrer toutes les forces palestiniennes dans un processus responsabilisant? Et tout cela en conservant pendant tous ces processus le soutien du peuple américain. Vaste, périlleux et indispensable programme! Sur certains points (Irak, Iran), Obama est assez clair voir audacieux, et il avance ses pions. Sur l’Afghanistan il semble découvrir l’imbroglio régional. Sur le Proche Orient il semble attendre les propositions de Georges Mitchell et un moment opportun.

Il a raison de s’attaquer à tous ces chantiers en même temps. Il pourra jouer ainsi de leurs interactions. Pourtant, à l’extérieur des Etats-Unis, beaucoup de forces sont hostiles à cette réorientation: de la droite israélienne extrême aux nationalistes hindous en passant par Ahmadinedjad et les extrémistes musulmans qui ont prospéré sous Bush. Aux Etats-Unis mêmes les nationalistes, évangélistes, néo-conservateurs et autres «likoudniks» qui avaient inspiré la politique précédente, attendent Obama au tournant. Ils feront tout, séparément ou en s’alliant objectivement pour le faire échouer. Il faudra à Obama plus encore que son intelligence éclatante et son charisme, un sens kissingérien de la stratégie et beaucoup d’habileté tactique pour résister aux provocations, garder son cap, conserver l’initiative. Sa réussite est cruciale pour l’Occident tout entier qui a besoin pour défendre ses intérêts vitaux et ses valeurs dans l’âge multipolaire instable qui va être le nôtre, d’une real politik moderne qui le libère de ses chimères d’un autre temps, d’une compréhension du monde nouveau et d’un rayonnement retrouvé. L’occident doit être moins occidental, et plus universel.

Les Européens, qui on été si complaisants et si peu courageux pendant la longue régression Bush, mis à part Chirac et Shroeder, peuvent trouver l’occasion grâce au «moment Obama» de se repositionner comme des partenaires à la fois amicaux, exigeants et constructifs.

Leurs positions, semble t’il unifiées dans la préparation du G20 (régulation et pas seulement relance), sont justifiées et ils devront les maintenir pendant tout le processus de mise en œuvre des conclusions du G20. Et en ce qui concerne la politique étrangère ils devraient soutenir activement, et enrichir, la redéfinition ambitieuse et vitale que Obama a entrepris.

Hubert Védrine

Les débuts d’Obama en politique étrangère

Hubert Vedrine

Les débuts d’Obama en politique étrangère

Comment reconstruire, à partir d’un fiasco conceptuel et pratique, une vraie politique étrangère pour la première puissance mondiale? C’est le défi de Barak Obama. N’oublions pas ce qu’a redit Georges W. Bush dans sa farewell adress: «il y a dans le monde un combat entre le bien et le mal et avec le mal il n’y a pas de compromis possible».

Manichéisme qui est la négation même des relations internationales et de la diplomatie, qui n’a pas été inventée pour converser avec des amis.
Barak Obama incarne d’emblée la rupture avec cette conception et avec la politique étrangère inepte qui en a découlé. Il a trouvé des mots justes pour parler de l’Amérique et du reste du monde. Il a nommé des personnalités fortes et talentueuses aux postes clefs (Hillary Clinton, le Général Jones, les envoyés spéciaux Mitchell – très bon choix – et Holbrooke, sans oublier le vice président Biden). Ils ont déjà fait le plus facile, qui n’est pas le moins important: changer de ton, ne plus s’interdire de parler à quelque acteur des relations internationales que ce soit, (ce qui ne veut pas dire parler à n’importe qui n’importe comment), être à l’écoute de leurs alliés, se réinsérer dans le jeu multilatéral, ou à tout le moins, de la coopération internationale, commencer à libérer l’Amérique – la plus grande puissance de tous les temps – de sa peur obsessionnelle et paradoxale.

Des signaux nouveaux et importants ont déjà été adressés par le président, ou par Hillary Clinton, aux responsables russes, iraniens, arabes, israéliens, afghans, pakistanais, chinois, cubains, etc. et subsidiairement aux européens. Avec déjà des effets sensibles.

Mais les choses sérieuses, et les difficultés, commencent maintenant. Ce n’est pas une surprise qu’Hillary Clinton ait été chargée de redéfinir en priorité sur une base réaliste ce qui sera la relation bilatérale la plus stratégique des prochaines années: la relation sino-américaine. Avec la Russie, que l’administration Bush avait traité avec désinvolture et maladresse, cela ne devrait pas être impossible à l’administration Obama de bâtir en un an ou deux un partenariat vigilant, fondé sur une interdépendance évidente, et auquel les européens doivent évidemment contribuer.
Avec «l’arc de crise» c’est une autre affaire. Obama doit absolument enrayer l’engrenage du clash Islam-Occident et il a déjà commencé, remarquablement, avec l’Iran. Mais réussira t’il à retirer les troupes combattantes d’Irak sans que la guerre civile ne se réveille? à mener à bien une nouvelle politique iranienne qui en modifiant le rapport de force interne à Téhéran obligerait le régime des Mollahs à un compromis raisonnable? à trouver en Afghanistan une solution sécuritaire et politiquement viable ce qui ne se fera pas sans impliquer le Pakistan et donc sans obtenir de l’Inde sur un plan ou sur un autre un geste envers le Pakistan? et last but not least à imposer enfin au Proche Orient la solution des deux états, ce qui exigera à la fois de donner à Israël encore plus de garanties de sécurité tout en neutralisant ceux des Israéliens qui sont acharnés à empêcher toute concession et d’oser réintégrer toutes les forces palestiniennes dans un processus responsabilisant? Et tout cela en conservant pendant tous ces processus le soutien du peuple américain. Vaste, périlleux et indispensable programme! Sur certains points (Irak, Iran), Obama est assez clair voir audacieux, et il avance ses pions. Sur l’Afghanistan il semble découvrir l’imbroglio régional. Sur le Proche Orient il semble attendre les propositions de Georges Mitchell et un moment opportun.

Il a raison de s’attaquer à tous ces chantiers en même temps. Il pourra jouer ainsi de leurs interactions. Pourtant, à l’extérieur des Etats-Unis, beaucoup de forces sont hostiles à cette réorientation: de la droite israélienne extrême aux nationalistes hindous en passant par Ahmadinedjad et les extrémistes musulmans qui ont prospéré sous Bush. Aux Etats-Unis mêmes les nationalistes, évangélistes, néo-conservateurs et autres «likoudniks» qui avaient inspiré la politique précédente, attendent Obama au tournant. Ils feront tout, séparément ou en s’alliant objectivement pour le faire échouer. Il faudra à Obama plus encore que son intelligence éclatante et son charisme, un sens kissingérien de la stratégie et beaucoup d’habileté tactique pour résister aux provocations, garder son cap, conserver l’initiative. Sa réussite est cruciale pour l’Occident tout entier qui a besoin pour défendre ses intérêts vitaux et ses valeurs dans l’âge multipolaire instable qui va être le nôtre, d’une real politik moderne qui le libère de ses chimères d’un autre temps, d’une compréhension du monde nouveau et d’un rayonnement retrouvé. L’occident doit être moins occidental, et plus universel.

Les Européens, qui on été si complaisants et si peu courageux pendant la longue régression Bush, mis à part Chirac et Shroeder, peuvent trouver l’occasion grâce au «moment Obama» de se repositionner comme des partenaires à la fois amicaux, exigeants et constructifs.

Leurs positions, semble t’il unifiées dans la préparation du G20 (régulation et pas seulement relance), sont justifiées et ils devront les maintenir pendant tout le processus de mise en œuvre des conclusions du G20. Et en ce qui concerne la politique étrangère ils devraient soutenir activement, et enrichir, la redéfinition ambitieuse et vitale que Obama a entrepris.

Hubert Védrine

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06/04/2009