ENTRETIEN – Donald Trump a présenté ce lundi soir à Washington son plan de paix à Gaza. L’ancien ministre des Affaires étrangères estime que la France doit s’engouffrer dans la dynamique américaine. Il n’y a, selon lui, dans l’état actuel du rapport de force, pas d’option autre que l’horreur sans fin.
LE FIGARO. – Le 22 septembre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a reconnu l’existence d’un État palestinien, créant un vif débat en France. Quel regard portez-vous sur cette décision ?
Hubert VÉDRINE. – Emmanuel Macron a eu totalement raison. Et à temps ! Tout d’abord car cette reconnaissance s’inscrit dans une continuité historique qu’il ne faudrait pas oublier. C’est-à-dire : le vote en 1947 de la résolution 181 qui crée deux États ; les remarques prémonitoires du général de Gaulle en 1967 sur ce qu’allait entraîner la colonisation ; le discours de François Mitterrand, un vieil ami d’Israël, en mars 1982, devant la Knesset où il envisageait un État palestinien ; l’invitation par Mitterrand de Yasser Arafat en 1989 qui avait permis d’obtenir, via le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, qu’Arafat annonce la fin de la charte de l’OLP (charte qui affirmait que « la lutte armée est la seule voie pour la libération de la Palestine », NDLR). Et puis, il y a eu tous les grands dirigeants israéliens, à commencer par Yitzhak Rabin, leur grand homme, mais également Shimon Peres, Olmert, Ehud Barak et même Ariel Sharon qui s’étaient résignés au compromis territorial qui est le cœur du sujet.
Il est vrai que la question palestinienne avait ensuite été abandonnée par les pays arabes comme par les pays européens. De ce point de vue, la stratégie menée depuis quinze ans par Benyamin Netanyahou avait d’ailleurs été franche et efficace. Il avait déclaré à plusieurs reprises qu’avec lui il n’y aurait jamais d’État palestinien. Ce qui est horrible à dire aujourd’hui, c’est que cette stratégie a très bien fonctionné jusqu’aux atrocités du 7 Octobre. Elles auraient dû éliminer l’idée d’un État palestinien, mais cela a eu plus tard l’effet inverse… Car si au début tout le monde a admis la légitimité de la réaction d’Israël, les abominations de Gaza ont par la suite fait basculer beaucoup de pays dans le monde, y compris de vieux amis d’Israël. Ce sont maintenant 157 États qui reconnaissent l’État palestinien.
Que répondez-vous à ceux qui contestent cette décision car les conditions de reconnaissance de l’État palestinien par la France – comme le départ du Hamas de la bande de Gaza ou l’organisation d’élections libres – n’ont pas été respectées ?
Ils se trompent gravement. Mais il faut distinguer différents points de vue. Certaines personnes, y compris en France, sont d’accord avec Netanyahou et ont toujours été contre la solution à deux États : ces derniers sont en fait pour le grand Israël. Ceux-là trouveront toujours que ce n’est pas le bon moment, que les conditions ne seront jamais réunies. Ils sont, d’une certaine façon, logiques. En revanche, je comprends moins ceux qui prétendent depuis longtemps être pour la solution à deux États et qui s’abritent aujourd’hui derrière l’idée que ça serait trop tôt. Qu’est-ce que veut dire « trop tôt » ? La question se pose depuis des décennies. Et que proposent-ils ? Rien.
N’affirment-ils pas justement qu’il faut attendre le départ du Hamas ?
Vouloir un État palestinien n’est pas un cadeau fait au Hamas, bien au contraire, car le Hamas veut un ensemble islamique ! Ainsi, proclamer l’existence d’un État palestinien, même s’il y a tout un chemin pour le reconstituer, c’est être à la fois contre le Hamas ET contre la politique de Netanyahou. D’autant que Mahmoud Abbas – président de la vieille Autorité palestinienne méthodiquement affaiblie par le premier ministre israélien qui souhaitait ne pas avoir de vrais interlocuteurs – s’est engagé à accomplir de nombreuses choses s’il en a les moyens. L’idée que cette décision ferait le jeu du Hamas est un contresens absolu, c’est au contraire soutenir aveuglément Netanyahou et refuser de critiquer Israël qui fait le jeu des islamistes.
Quant à ceux qui prétendent que ça n’a pas de sens de reconnaître un État qui n’existe pas jouent sur les mots. C’est évident qu’il ne s’agit pas de reconnaître un État déjà existant mais d’affirmer la nécessité de le créer.
Beaucoup ont surtout critiqué le moment de l’annonce. Le président, jugé très sévèrement par les Français concernant la gestion des questions intérieures, a-t-il voulu obtenir une victoire en politique extérieure ?
Un président français est d’office présent sur le plan international. Populaire ou impopulaire, il est membre permanent de l’ONU et président d’un pays clé de l’Europe. Il y a quelques mois, Emmanuel Macron a essayé d’organiser un mouvement en Europe de pays prêts à donner des garanties sur l’Ukraine dans l’hypothèse où il y aurait un cessez-le-feu. À ce moment-là, personne n’a demandé pourquoi il s’engageait sur cette question. Plus globalement, le débat franco-français, notamment entre les propalestiniens radicaux islamistes anti-israéliens et les pro-Netanyahou aveugles, est accablant. Les accusations croisées d’antisémitisme et d’islamophobie sont par ailleurs stériles.
En plus le président est loin d’être le seul à avoir fait ce choix-là. Que dire de la Grande-Bretagne ? De l’Australie, du Canada ou encore du Portugal ? C’est un mouvement général auxquels beaucoup d’amis d’Israël participent. Des analyses d’opinion montrent que, même en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis, il y a un clivage de générations. Il y a beaucoup de jeunes viscéralement attachés à l’existence d’Israël et à sa sécurité qui insistent sur le fait qu’il ne faut pas tout cautionner de la part de l’État hébreu. Et si Macron n’avait pas résisté aux mises en garde, ne serions-nous pas ridicules après l’annonce du plan Trump ?
Précisément, est-ce que le plan Trump peut être un motif d’espoir ?
En tout cas, il n’y en a pas d’autre. Le plan Trump avant c’était : carte blanche à Netanyahou ! Ce n’est plus le cas. On peut invoquer ses fragilités, comme la question du droit international, mais il prévoit un « comité technique palestinien », embryon d’un début de nouvelle autorité (qui devrait à mon avis adopter un nouveau drapeau) ; le retrait des troupes israéliennes (même si aucune date n’a été donnée) ; ou encore le fait que la Maison-Blanche, dans le communiqué, ait reconnu que l’État palestinien est « une aspiration » des Palestiniens. Tout cela est inédit ! Il ne faut être ni maximaliste, ni formaliste, ni utopiste mais s’engouffrer derrière ce plan.
Trump a même affirmé qu’il n’y aurait pas d’annexion de la Cisjordanie, alors que c’est ce que veulent Netanyahou et ses alliés suprémacistes. Il faut donc jouer la dynamique sans faire la fine bouche, avec une coalition de pays de bonne volonté sous l’impulsion de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Arabie saoudite, mêlant des pays arabes et des pays occidentaux pro-Israël qui ont reconnu la Palestine. Le fil est ténu mais il faut le tirer. Il n’y a, dans l’état actuel du rapport de force, pas d’option autre que l’horreur sans fin.
Par Eugénie Boilait
ENTRETIEN – Donald Trump a présenté ce lundi soir à Washington son plan de paix à Gaza. L’ancien ministre des Affaires étrangères estime que la France doit s’engouffrer dans la dynamique américaine. Il n’y a, selon lui, dans l’état actuel du rapport de force, pas d’option autre que l’horreur sans fin.
LE FIGARO. – Le 22 septembre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a reconnu l’existence d’un État palestinien, créant un vif débat en France. Quel regard portez-vous sur cette décision ?
Hubert VÉDRINE. – Emmanuel Macron a eu totalement raison. Et à temps ! Tout d’abord car cette reconnaissance s’inscrit dans une continuité historique qu’il ne faudrait pas oublier. C’est-à-dire : le vote en 1947 de la résolution 181 qui crée deux États ; les remarques prémonitoires du général de Gaulle en 1967 sur ce qu’allait entraîner la colonisation ; le discours de François Mitterrand, un vieil ami d’Israël, en mars 1982, devant la Knesset où il envisageait un État palestinien ; l’invitation par Mitterrand de Yasser Arafat en 1989 qui avait permis d’obtenir, via le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, qu’Arafat annonce la fin de la charte de l’OLP (charte qui affirmait que « la lutte armée est la seule voie pour la libération de la Palestine », NDLR). Et puis, il y a eu tous les grands dirigeants israéliens, à commencer par Yitzhak Rabin, leur grand homme, mais également Shimon Peres, Olmert, Ehud Barak et même Ariel Sharon qui s’étaient résignés au compromis territorial qui est le cœur du sujet.
Il est vrai que la question palestinienne avait ensuite été abandonnée par les pays arabes comme par les pays européens. De ce point de vue, la stratégie menée depuis quinze ans par Benyamin Netanyahou avait d’ailleurs été franche et efficace. Il avait déclaré à plusieurs reprises qu’avec lui il n’y aurait jamais d’État palestinien. Ce qui est horrible à dire aujourd’hui, c’est que cette stratégie a très bien fonctionné jusqu’aux atrocités du 7 Octobre. Elles auraient dû éliminer l’idée d’un État palestinien, mais cela a eu plus tard l’effet inverse… Car si au début tout le monde a admis la légitimité de la réaction d’Israël, les abominations de Gaza ont par la suite fait basculer beaucoup de pays dans le monde, y compris de vieux amis d’Israël. Ce sont maintenant 157 États qui reconnaissent l’État palestinien.
Que répondez-vous à ceux qui contestent cette décision car les conditions de reconnaissance de l’État palestinien par la France – comme le départ du Hamas de la bande de Gaza ou l’organisation d’élections libres – n’ont pas été respectées ?
Ils se trompent gravement. Mais il faut distinguer différents points de vue. Certaines personnes, y compris en France, sont d’accord avec Netanyahou et ont toujours été contre la solution à deux États : ces derniers sont en fait pour le grand Israël. Ceux-là trouveront toujours que ce n’est pas le bon moment, que les conditions ne seront jamais réunies. Ils sont, d’une certaine façon, logiques. En revanche, je comprends moins ceux qui prétendent depuis longtemps être pour la solution à deux États et qui s’abritent aujourd’hui derrière l’idée que ça serait trop tôt. Qu’est-ce que veut dire « trop tôt » ? La question se pose depuis des décennies. Et que proposent-ils ? Rien.
N’affirment-ils pas justement qu’il faut attendre le départ du Hamas ?
Vouloir un État palestinien n’est pas un cadeau fait au Hamas, bien au contraire, car le Hamas veut un ensemble islamique ! Ainsi, proclamer l’existence d’un État palestinien, même s’il y a tout un chemin pour le reconstituer, c’est être à la fois contre le Hamas ET contre la politique de Netanyahou. D’autant que Mahmoud Abbas – président de la vieille Autorité palestinienne méthodiquement affaiblie par le premier ministre israélien qui souhaitait ne pas avoir de vrais interlocuteurs – s’est engagé à accomplir de nombreuses choses s’il en a les moyens. L’idée que cette décision ferait le jeu du Hamas est un contresens absolu, c’est au contraire soutenir aveuglément Netanyahou et refuser de critiquer Israël qui fait le jeu des islamistes.
Quant à ceux qui prétendent que ça n’a pas de sens de reconnaître un État qui n’existe pas jouent sur les mots. C’est évident qu’il ne s’agit pas de reconnaître un État déjà existant mais d’affirmer la nécessité de le créer.
Beaucoup ont surtout critiqué le moment de l’annonce. Le président, jugé très sévèrement par les Français concernant la gestion des questions intérieures, a-t-il voulu obtenir une victoire en politique extérieure ?
Un président français est d’office présent sur le plan international. Populaire ou impopulaire, il est membre permanent de l’ONU et président d’un pays clé de l’Europe. Il y a quelques mois, Emmanuel Macron a essayé d’organiser un mouvement en Europe de pays prêts à donner des garanties sur l’Ukraine dans l’hypothèse où il y aurait un cessez-le-feu. À ce moment-là, personne n’a demandé pourquoi il s’engageait sur cette question. Plus globalement, le débat franco-français, notamment entre les propalestiniens radicaux islamistes anti-israéliens et les pro-Netanyahou aveugles, est accablant. Les accusations croisées d’antisémitisme et d’islamophobie sont par ailleurs stériles.
En plus le président est loin d’être le seul à avoir fait ce choix-là. Que dire de la Grande-Bretagne ? De l’Australie, du Canada ou encore du Portugal ? C’est un mouvement général auxquels beaucoup d’amis d’Israël participent. Des analyses d’opinion montrent que, même en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis, il y a un clivage de générations. Il y a beaucoup de jeunes viscéralement attachés à l’existence d’Israël et à sa sécurité qui insistent sur le fait qu’il ne faut pas tout cautionner de la part de l’État hébreu. Et si Macron n’avait pas résisté aux mises en garde, ne serions-nous pas ridicules après l’annonce du plan Trump ?
Précisément, est-ce que le plan Trump peut être un motif d’espoir ?
En tout cas, il n’y en a pas d’autre. Le plan Trump avant c’était : carte blanche à Netanyahou ! Ce n’est plus le cas. On peut invoquer ses fragilités, comme la question du droit international, mais il prévoit un « comité technique palestinien », embryon d’un début de nouvelle autorité (qui devrait à mon avis adopter un nouveau drapeau) ; le retrait des troupes israéliennes (même si aucune date n’a été donnée) ; ou encore le fait que la Maison-Blanche, dans le communiqué, ait reconnu que l’État palestinien est « une aspiration » des Palestiniens. Tout cela est inédit ! Il ne faut être ni maximaliste, ni formaliste, ni utopiste mais s’engouffrer derrière ce plan.
Trump a même affirmé qu’il n’y aurait pas d’annexion de la Cisjordanie, alors que c’est ce que veulent Netanyahou et ses alliés suprémacistes. Il faut donc jouer la dynamique sans faire la fine bouche, avec une coalition de pays de bonne volonté sous l’impulsion de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Arabie saoudite, mêlant des pays arabes et des pays occidentaux pro-Israël qui ont reconnu la Palestine. Le fil est ténu mais il faut le tirer. Il n’y a, dans l’état actuel du rapport de force, pas d’option autre que l’horreur sans fin.
Par Eugénie Boilait
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25/11/2025