Le grand désarroi du monde

Si l’on excepte le chaos stratégique pronostiqué par Pierre Hassner – en tout cas l’instabilité et l’imprévisibilité stratégiques –, le monde ne se laisse pas ramener à quelques formules simples. Monde unipolaire? cela n’a duré que le temps de la décennie de l’hyperpuissance. Multipolaire? mais quels pôles? Multilatéral? les 200 nations pas tellement « unies « des Nations unies? La « communauté « internationale? Sympathique, mais à l’évidence plus un vœu qu’une réalité. Les BRICS? la Russie n’a rien à faire dans cette liste qui avait lancé entre économistes de banques et experts un concours Lépine d’acronymes pour dénommer les émergents (pré-émergents, émergents, émergés). Un G2? labellisation symétrique Chine/États-Unis, à la mode un temps. G20? l’efficacité de cette enceinte dépend des alliances qui s’y nouent (ou non) entre les 20 à 25 puissances qui le composent. D’où, par élimination, la thèse du monde « zéro polaire «, à l’évidence exagérée. Ce n’est pas la fin de l’Histoire, mais vivons-nous pour autant un « clash des civilisations «? Non plus, même si bien des tensions s’y rattachent, mais davantage au sein des civilisations qu’entre elles.

Tout s’explique-t-il alors par la mondialisation technologique, la puissance des mondialisateurs économiques, l’inéluctable adaptation des mondialisés? Ou par le compte à rebours écologique? Ou par le tsunami des technologies de l’information et de la communication, qui rend exponentiel l’individualisme et dissout l’autorité? Ou par le nivellement par une culture américano-globale et la dissolution de toute expression dans le globish? En fait, on le voit, ces phénomènes suscitent de vives réactions, identitaires, collectives, communautaristes ou individuelles. Aucune théorie (évitons ici le pédant paradigme) n’embrasse l’ensemble de ces phénomènes qui se combinent et inter-réagissent à l’infini depuis que le carcan simplificateur de la guerre froide a sauté.

En Occident, l’évocation obsessionnelle de la première moitié du XXe siècle est révélatrice d’un vide conceptuel et analytique. Car nous ne revivons pas les années trente : il n’y a pas de nouvel Hitler ni de nouveau Staline à arrêter; il n’y a pas à craindre un nouveau Yalta (où il n’y a pas eu partage du monde), etc. Les défis sont nouveaux.
Ce moment bouleverse les Occidentaux, qui conduisirent depuis cinq siècles, pour le meilleur et pour le pire, les affaires du monde depuis la mondialisation ibérique, puis européenne, puis britannique, puis américano-globale, et qui ont désormais perdu non pas la puissance ni la richesse (par tête), mais, par exemple, le monopole de nommer les lieux (Amérique; Russie d’Europe et d’Asie; Proche, Moyen, Extrême-Orient, Bombay, Rangoon, etc.) ou de définir les époques (la durée des siècles : ainsi 1914-1989/1991), les tendances (« mondialisation «comme une évidence; « le « terrorisme…), et de prétendre s’exprimer – à l’instar d’un ventriloque – au nom de la « communauté « internationale.

Pour un Occident issu d’une chrétienté « prosélyte « (ne restons pas une secte juive, allons « évangéliser toutes les nations «, soyons « universels «, katholicos) qui, de sa foi d’origine jusqu’aux droits de l’homme, estime avoir reçu mission de convertir le monde, c’est là une remise en cause radicale, d’ordre ontologique. Un Occident uniquement préoccupé de ses (légitimes) intérêts : cette perspective est difficilement concevable sans traumatisme. Pourtant, les interventions extérieures sont de moins en moins soutenues, et chacun sent monter un isolationnisme de fatigue…

Dans ce contexte, quel tableau géopolitique présente le monde au printemps 2014?
Que veulent les États-Unis? Les Américains ont élu Barack Obama pour solder les guerres de W. Bush. Mais au-delà? Le semi-repliement ou l’engagement parcimonieux et distancié dans les affaires du monde qui est le sien, malgré le « pivotement « en direction de l’Asie, est-il personnel ou collectif? conjoncturel (dix ans) ou durable? Après Obama, assisterons-nous de nouveau à « America is back! « (si elle le peut) et au rétablissement d’un budget militaire équivalent à la moitié des dépenses militaires mondiales? Les pays qu’un tel tableau inquiète comme ceux qu’il réjouit commencent à réfléchir à s’en prémunir ou à en profiter.
Ce serait miracle que les efforts de John Kerry aboutissent sur la Palestine (le pouvoir de blocage de la droite israélienne reste intact). Le seul résultat important que pourrait encore obtenir B. Obama serait un accord sur l’Iran à condition que ni les pasdarans à Téhéran, ni les républicains au Congrès de Washington, ni le Likoud, ni les Saoudiens, ni Abu Dhabi, entre autres, ne parviennent à les torpiller. Poutine oblige les États-Unis à en revenir, au moins pour un temps, à un schéma apparemment bipolaire Occident/Russie et à une vigilance accrue en Europe. Mais ce n’est là qu’une diversion.
L’Europe? Elle reste un mot valise où chacun apporte ce qu’il veut, à commencer par des attentes irréalisables. Entre les velléités françaises déclinantes et celles de quelques élites en faveur d’une « Europe puissance « (?), et l’aspiration des 500 millions d’Européens à une sorte d’Europe suisse (allemande), ce sont ces derniers qui l’emportent. L’Europe actuelle n’est plus à même de penser en termes de rapports de forces qu’elle voudrait croire périmés (hormis, dans une certaine mesure, en économie et dans les technologies). Les élections de mai auront confirmé que les eurosceptiques (eurosceptiques au sens premier, à ne pas confondre, contrairement à ce que font les militants européistes et les médias, avec les vrais euro-hostiles) sont majoritaires : ce sont les abstentionnistes, auxquels il faut ajouter un certain nombre d’électeurs habituels de la gauche de gouvernement, déçus ou découragés par l’» Europe «. Les vrais européistes doivent récolter à peine quelques pourcents, et les vrais anti-européens ou europhobes, 20 à 25 pour cent. Cette lente déréliction ne sera interrompue, et le fossé élite/population ne sera comblé, que si une triple clarification est apportée :
1. sur une répartition des pouvoirs en Europe qui préserve les États-nations, tout en précisant qui fait quoi au niveau européen – à commencer par le Parlement –, pour tarir les attentes disproportionnées comme les reproches infondés;
2. sur la géographie de l’Europe : dire jusqu’où elle a encore vocation à s’élargir, après quoi le commissaire à l’élargissement sera supprimé;
3. sur le rôle de l’Europe dans le monde : puissance ou grosse ONG?
Et qu’on n’oppose plus assainissement nécessaire des finances publiques et croissance saine et durable!
En outre, inutile d’ajouter que dénoncer le vote extrémiste ne sert à rien, puisque les protestataires votent précisément pour choquer et se faire entendre.
La question russe s’est réimposée dans ce tableau. Poutine est très critiquable. Il doit être dissuadé d’aller plus loin. Il n’a rien fait pour se rendre aimable (euphémisme!). Il n’empêche que, depuis vingt ans, la politique occidentale envers la Russie a été inintelligente et qu’on en paie le prix. De la thérapie de choc économique de 1992/1993 (le choc sans la thérapie, a-t-on dit) jusqu’aux velléités d’élargissement de l’OTAN de B. Clinton et G. W. Bush aux « GUAM « (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie), proclamées mais non réalisées, en passant par les déploiements aux frontières russes de systèmes antimissiles présentés comme devant intercepter des missiles… iraniens, et aux projets d’accord d’association européens conçus sans concertation avec Moscou, les Occidentaux se sont montrés tour à tour méprisants, arrogants et désinvoltes. À un moment donné, ils ont cru pouvoir compter sur la bonne volonté de Medvedev et se sont trouvés sans politique russe avec le retour de Poutine, hormis celle de parier sur l’incapacité de la Russie à contester les faits accomplis. On ne peut qu’être frappés de l’absence de pilotage politique de l’accord d’association UE/Ukraine alors qu’il aurait fallu faire un « pont « de ce pays fragile et divisé, et ne pas le mettre en demeure de choisir entre l’Europe et Moscou. La paranoïa russe paraît absurde, mais même les paranoïaques ont des ennemis, dixit Woody Allen! Résultat : les coups de poker de Poutine en mars/avril 2014 trouvent les Occidentaux déterminés en paroles, mais divisés et hésitants, en pratique, entre ceux qui veulent traiter la Russie comme l’URSS (aubaine pour l’OTAN!) et ceux qui pensent qu’il faudra, d’une façon ou d’une autre, que l’Europe reconstruise une relation de voisinage et de travail avec la Russie.
Il aurait fallu à la fois se montrer plus constructifs au cours des vingt dernières années et que les mises en garde des derniers mois se révèlent plus dissuasives. La relation avec Moscou sera à reconstruire après la conclusion de l’affaire ukrainienne, dans l’idéal par l’Allemagne et la France conjointement.

De leur côté, les « émergents « connaissent – ce n’est pas une surprise – de sérieux problèmes de maturité. Ils sont en concurrence ou en dépendance (les « émergents « de second rang tirés par la croissance chinoise) et ne s’unissent que pour émettre des dénonciations rhétoriques de l’Occident. La Chine a devant elle un sérieux problème de gouvernabilité, mais il n’y aura pas retour à un monde sans « émergents «.
Les pays arabes ne connaissent pas un « printemps « (qui a pu le croire?), mais des évolutions contrastées qui vont connaître des hauts et des bas pendant des années, moyennant au bout du compte une modernisation – le cas de la Tunisie (et, d’une certaine façon, du Maroc) étant le plus encourageant.

Quant à l’Afrique, il est heureux que son gigantesque potentiel soit enfin reconnu et son élan actuel – l’énergie de ses nouvelles élites et de ses peuples – pris en compte. Il est sain que la France cesse de ressasser des interrogations stériles (mis à part la controverse franco-française et France/Kagamé, à la fois violente et insensée, sur le Rwanda) sur « avoir ou non une politique africaine « (quand toutes les puissances au monde en ont une). Il n’en reste pas moins que les richesses du sous-sol ne suffisent pas et qu’il y a encore un long chemin à accomplir pour une meilleure gouvernance et une vraie croissance économique de ce continent. Il appartient aux Africains de faire savoir à leurs partenaires anciens et nouveaux ce dont ils estiment avoir besoin et qu’ils attendent d’eux.

Le grand désarroi du monde

Hubert Vedrine

Le grand désarroi du monde

Si l’on excepte le chaos stratégique pronostiqué par Pierre Hassner – en tout cas l’instabilité et l’imprévisibilité stratégiques –, le monde ne se laisse pas ramener à quelques formules simples. Monde unipolaire? cela n’a duré que le temps de la décennie de l’hyperpuissance. Multipolaire? mais quels pôles? Multilatéral? les 200 nations pas tellement « unies « des Nations unies? La « communauté « internationale? Sympathique, mais à l’évidence plus un vœu qu’une réalité. Les BRICS? la Russie n’a rien à faire dans cette liste qui avait lancé entre économistes de banques et experts un concours Lépine d’acronymes pour dénommer les émergents (pré-émergents, émergents, émergés). Un G2? labellisation symétrique Chine/États-Unis, à la mode un temps. G20? l’efficacité de cette enceinte dépend des alliances qui s’y nouent (ou non) entre les 20 à 25 puissances qui le composent. D’où, par élimination, la thèse du monde « zéro polaire «, à l’évidence exagérée. Ce n’est pas la fin de l’Histoire, mais vivons-nous pour autant un « clash des civilisations «? Non plus, même si bien des tensions s’y rattachent, mais davantage au sein des civilisations qu’entre elles.

Tout s’explique-t-il alors par la mondialisation technologique, la puissance des mondialisateurs économiques, l’inéluctable adaptation des mondialisés? Ou par le compte à rebours écologique? Ou par le tsunami des technologies de l’information et de la communication, qui rend exponentiel l’individualisme et dissout l’autorité? Ou par le nivellement par une culture américano-globale et la dissolution de toute expression dans le globish? En fait, on le voit, ces phénomènes suscitent de vives réactions, identitaires, collectives, communautaristes ou individuelles. Aucune théorie (évitons ici le pédant paradigme) n’embrasse l’ensemble de ces phénomènes qui se combinent et inter-réagissent à l’infini depuis que le carcan simplificateur de la guerre froide a sauté.

En Occident, l’évocation obsessionnelle de la première moitié du XXe siècle est révélatrice d’un vide conceptuel et analytique. Car nous ne revivons pas les années trente : il n’y a pas de nouvel Hitler ni de nouveau Staline à arrêter; il n’y a pas à craindre un nouveau Yalta (où il n’y a pas eu partage du monde), etc. Les défis sont nouveaux.
Ce moment bouleverse les Occidentaux, qui conduisirent depuis cinq siècles, pour le meilleur et pour le pire, les affaires du monde depuis la mondialisation ibérique, puis européenne, puis britannique, puis américano-globale, et qui ont désormais perdu non pas la puissance ni la richesse (par tête), mais, par exemple, le monopole de nommer les lieux (Amérique; Russie d’Europe et d’Asie; Proche, Moyen, Extrême-Orient, Bombay, Rangoon, etc.) ou de définir les époques (la durée des siècles : ainsi 1914-1989/1991), les tendances (« mondialisation «comme une évidence; « le « terrorisme…), et de prétendre s’exprimer – à l’instar d’un ventriloque – au nom de la « communauté « internationale.

Pour un Occident issu d’une chrétienté « prosélyte « (ne restons pas une secte juive, allons « évangéliser toutes les nations «, soyons « universels «, katholicos) qui, de sa foi d’origine jusqu’aux droits de l’homme, estime avoir reçu mission de convertir le monde, c’est là une remise en cause radicale, d’ordre ontologique. Un Occident uniquement préoccupé de ses (légitimes) intérêts : cette perspective est difficilement concevable sans traumatisme. Pourtant, les interventions extérieures sont de moins en moins soutenues, et chacun sent monter un isolationnisme de fatigue…

Dans ce contexte, quel tableau géopolitique présente le monde au printemps 2014?
Que veulent les États-Unis? Les Américains ont élu Barack Obama pour solder les guerres de W. Bush. Mais au-delà? Le semi-repliement ou l’engagement parcimonieux et distancié dans les affaires du monde qui est le sien, malgré le « pivotement « en direction de l’Asie, est-il personnel ou collectif? conjoncturel (dix ans) ou durable? Après Obama, assisterons-nous de nouveau à « America is back! « (si elle le peut) et au rétablissement d’un budget militaire équivalent à la moitié des dépenses militaires mondiales? Les pays qu’un tel tableau inquiète comme ceux qu’il réjouit commencent à réfléchir à s’en prémunir ou à en profiter.
Ce serait miracle que les efforts de John Kerry aboutissent sur la Palestine (le pouvoir de blocage de la droite israélienne reste intact). Le seul résultat important que pourrait encore obtenir B. Obama serait un accord sur l’Iran à condition que ni les pasdarans à Téhéran, ni les républicains au Congrès de Washington, ni le Likoud, ni les Saoudiens, ni Abu Dhabi, entre autres, ne parviennent à les torpiller. Poutine oblige les États-Unis à en revenir, au moins pour un temps, à un schéma apparemment bipolaire Occident/Russie et à une vigilance accrue en Europe. Mais ce n’est là qu’une diversion.
L’Europe? Elle reste un mot valise où chacun apporte ce qu’il veut, à commencer par des attentes irréalisables. Entre les velléités françaises déclinantes et celles de quelques élites en faveur d’une « Europe puissance « (?), et l’aspiration des 500 millions d’Européens à une sorte d’Europe suisse (allemande), ce sont ces derniers qui l’emportent. L’Europe actuelle n’est plus à même de penser en termes de rapports de forces qu’elle voudrait croire périmés (hormis, dans une certaine mesure, en économie et dans les technologies). Les élections de mai auront confirmé que les eurosceptiques (eurosceptiques au sens premier, à ne pas confondre, contrairement à ce que font les militants européistes et les médias, avec les vrais euro-hostiles) sont majoritaires : ce sont les abstentionnistes, auxquels il faut ajouter un certain nombre d’électeurs habituels de la gauche de gouvernement, déçus ou découragés par l’» Europe «. Les vrais européistes doivent récolter à peine quelques pourcents, et les vrais anti-européens ou europhobes, 20 à 25 pour cent. Cette lente déréliction ne sera interrompue, et le fossé élite/population ne sera comblé, que si une triple clarification est apportée :
1. sur une répartition des pouvoirs en Europe qui préserve les États-nations, tout en précisant qui fait quoi au niveau européen – à commencer par le Parlement –, pour tarir les attentes disproportionnées comme les reproches infondés;
2. sur la géographie de l’Europe : dire jusqu’où elle a encore vocation à s’élargir, après quoi le commissaire à l’élargissement sera supprimé;
3. sur le rôle de l’Europe dans le monde : puissance ou grosse ONG?
Et qu’on n’oppose plus assainissement nécessaire des finances publiques et croissance saine et durable!
En outre, inutile d’ajouter que dénoncer le vote extrémiste ne sert à rien, puisque les protestataires votent précisément pour choquer et se faire entendre.
La question russe s’est réimposée dans ce tableau. Poutine est très critiquable. Il doit être dissuadé d’aller plus loin. Il n’a rien fait pour se rendre aimable (euphémisme!). Il n’empêche que, depuis vingt ans, la politique occidentale envers la Russie a été inintelligente et qu’on en paie le prix. De la thérapie de choc économique de 1992/1993 (le choc sans la thérapie, a-t-on dit) jusqu’aux velléités d’élargissement de l’OTAN de B. Clinton et G. W. Bush aux « GUAM « (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie), proclamées mais non réalisées, en passant par les déploiements aux frontières russes de systèmes antimissiles présentés comme devant intercepter des missiles… iraniens, et aux projets d’accord d’association européens conçus sans concertation avec Moscou, les Occidentaux se sont montrés tour à tour méprisants, arrogants et désinvoltes. À un moment donné, ils ont cru pouvoir compter sur la bonne volonté de Medvedev et se sont trouvés sans politique russe avec le retour de Poutine, hormis celle de parier sur l’incapacité de la Russie à contester les faits accomplis. On ne peut qu’être frappés de l’absence de pilotage politique de l’accord d’association UE/Ukraine alors qu’il aurait fallu faire un « pont « de ce pays fragile et divisé, et ne pas le mettre en demeure de choisir entre l’Europe et Moscou. La paranoïa russe paraît absurde, mais même les paranoïaques ont des ennemis, dixit Woody Allen! Résultat : les coups de poker de Poutine en mars/avril 2014 trouvent les Occidentaux déterminés en paroles, mais divisés et hésitants, en pratique, entre ceux qui veulent traiter la Russie comme l’URSS (aubaine pour l’OTAN!) et ceux qui pensent qu’il faudra, d’une façon ou d’une autre, que l’Europe reconstruise une relation de voisinage et de travail avec la Russie.
Il aurait fallu à la fois se montrer plus constructifs au cours des vingt dernières années et que les mises en garde des derniers mois se révèlent plus dissuasives. La relation avec Moscou sera à reconstruire après la conclusion de l’affaire ukrainienne, dans l’idéal par l’Allemagne et la France conjointement.

De leur côté, les « émergents « connaissent – ce n’est pas une surprise – de sérieux problèmes de maturité. Ils sont en concurrence ou en dépendance (les « émergents « de second rang tirés par la croissance chinoise) et ne s’unissent que pour émettre des dénonciations rhétoriques de l’Occident. La Chine a devant elle un sérieux problème de gouvernabilité, mais il n’y aura pas retour à un monde sans « émergents «.
Les pays arabes ne connaissent pas un « printemps « (qui a pu le croire?), mais des évolutions contrastées qui vont connaître des hauts et des bas pendant des années, moyennant au bout du compte une modernisation – le cas de la Tunisie (et, d’une certaine façon, du Maroc) étant le plus encourageant.

Quant à l’Afrique, il est heureux que son gigantesque potentiel soit enfin reconnu et son élan actuel – l’énergie de ses nouvelles élites et de ses peuples – pris en compte. Il est sain que la France cesse de ressasser des interrogations stériles (mis à part la controverse franco-française et France/Kagamé, à la fois violente et insensée, sur le Rwanda) sur « avoir ou non une politique africaine « (quand toutes les puissances au monde en ont une). Il n’en reste pas moins que les richesses du sous-sol ne suffisent pas et qu’il y a encore un long chemin à accomplir pour une meilleure gouvernance et une vraie croissance économique de ce continent. Il appartient aux Africains de faire savoir à leurs partenaires anciens et nouveaux ce dont ils estiment avoir besoin et qu’ils attendent d’eux.

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10/06/2014