Le choc du coronavirus est en train de pulvériser des croyances très enracinées

Pointant du doigt un mode de vie qui se traduit par «une mobilité permanente, sans limite ni entraves» et un tourisme de masse, Hubert Védrine évoque les leçons à tirer et les changements à opérer après cette crise sanitaire inédite.

LE FIGARO. – Selon vous que révèle la crise du coronavirus sur le plan international ? 

Hubert VÉDRINE. -Cette crise globale, sans précédent depuis les guerres, révèle ou confirme qu’il n’existe pas encore de réelle communauté internationale ou qu’elle n’est pas préparée à faire face à une pandémie mondiale. Bill Gates et des stratèges militaires le disent depuis Ebola. Et on savait déjà que la mondialisation a été essentiellement, jusqu’ici, ces dernières décennies, une déréglementation financière et une localisation des productions industrielles là où les coûts salariaux étaient les plus faibles, en Chine, et dans les autres pays émergents (la fameuse «chaîne de valeur»), à l’exclusion de toute autre considération. On redécouvre que les dépendances stratégiques que cela a généré ont été jugées secondaires. On voit qu’il n’y a pas de système multilatéral (ONU, OMS, G7, G20…) suffisamment opérationnel. Et on a la confirmation que l’Union européenne, le marché unique, et la politique de la concurrence ont été conçues pour un monde sans tragédie. Par ailleurs, les mouvements de population sont devenus permanents, massifs et problématiques. On le savait mais là, c’est éclatant.

 

L’Europe aux abonnés absents, la Chine qui vient au secours de l’Italie en livrant du matériel médical… n’est-ce pas tout de même le signe d’un basculement?

Tout à fait, mais il est en cours depuis longtemps même si les puissances établies, les Occidentaux, tentent d’y résister et ils ont beaucoup de cartes en mains. La Chine est numéro un bis et ne s’en cache plus. Voyez le gigantisme et l’ambition des routes de la soie. Mais aussi sa communication paternaliste, comme la nôtre. Il n’y a pas à reprocher aux Chinois d’avoir tiré parti de la mondialisation. C’est à nous, Européens, de nous interroger sur notre stratégie, sur notre naïveté. C’est très dur pour les Européens qui se voyaient encore comme l’avant-garde civilisationnelle du monde. Cela dit, concernant l’Europe, la Banque centrale européenne vient quand même de mettre sur la table plus de 1000 milliards d’euros (9% du PIB) et la Commission de décider «la suspension générale» des règles budgétaires! C’est potentiellement une Europe nouvelle!

 

Cette crise met aussi à jour une vulnérabilité sous-estimée ou non perçue jusqu’alors: la dépendance économique de la France concernant certains produits stratégiques, comme les médicaments…

C’est vrai et cela ne concerne pas que la France. Dans le monde de l’économie globale de marché, et pas seulement par «idéologie OMC», presque plus rien n’était considéré comme stratégique, à part le militaire stricto sensu. Cela allait de pair avec la décrédibilisation tonitruante, exagérée et déraisonnable de la souveraineté des États et de leur rôle.

 

Une certaine idée de la mondialisation ne risque-t-elle pas d’être sérieusement remise en cause?

Beaucoup de ces aveuglements, exagérations, dérives devraient être remis en cause. Même si certains vont essayer de l’empêcher. Cela concerne évidemment, l’idée de la mondialisation heureuse qui avait déjà du plomb dans l’aile. Heureuse? Elle l’a été, un certain temps, selon la formule, pour les pauvres des pays pauvres et pour les riches des pays riches. Jusqu’à ce que la déception des classes populaires et moyennes des pays développés se mue en frustration et en populisme. Mais au-delà, n’est-ce pas tout un mode de vie insouciant, hédoniste, individualiste et festif, qui semble devenu le premier des droits de l’homme (bien avant, pour certains, la liberté de la presse) et qui est mis en cause? Ce mode de vie se traduit, pour tout ou partie de l’humanité, par une mobilité permanente sans limite ni entraves, type mouvement brownien. Ajouté aux voyages économiques incessants et au tourisme de masse (1,4 milliard de touristes en 2019), cela donne 4 milliards de passagers aériens en 2017, 8 milliards «espérés» en 2035 (avant la pandémie)! Il faudrait également remettre en cause aussi «l’économie casino» financièrement sans borne (ce qu’Obama avait commencé à faire et que Trump a détruit) et ces «chaînes de valeur», qui ne tiennent aucun compte des coûts écologiques externalisés. Si on ne s’aveugle pas délibérément, tout cela ne remet pas seulement en cause un mode de vie mais toute une civilisation. La nôtre, sauf parade absolue. C’est vertigineux.

 

Parmi les dogmes qui ont explosé avec cette crise, il y a celui, jusqu’alors intangible et lié à l’Europe, de l’ouverture des frontières?

Ce dogme a déjà été sérieusement remis en cause au sein de Schengen face à la vague migratoire des dernières années, consécutive à la guerre de Syrie. Mais le choc du coronavirus est en train de pulvériser un certain nombre de réflexes, d’idéologies et de croyances très enracinées. Il est curieux que la libre circulation au sein de l’Europe soit devenue son symbole absolu. Les accords de Schengen n’ont démarré qu’en 1985 (alors que le traité de Rome date de 1957). Au départ, ce n’était d’ailleurs qu’une modeste – et intelligente – initiative de secrétaires d’État chargés des Affaires européennes. C’est devenu, petit à petit, au fil du temps, un élément central, mais aussi marqué, hélas, d’une négligence coupable en ce qui concerne les frontières extérieures, par idéologie, par «sans-frontiérisme», puisqu’à l’époque on pensait que ces accords humanistes et économiques allaient s’étendre sans fin. Comme on avait autrefois évangélisé, colonisé, civilisé, on a pensé qu’on allait ouvrir le monde. Démarche émouvante, sympathique, naïve, prétentieuse et dangereuse tout à la fois. Les accords de Schengen, la libre circulation, sont donc devenus rétroactivement le symbole même de l’Europe. Le refus des frontières était devenu comme une sorte de religion que l’on ne pouvait pas remettre en cause. Sylvain Tesson a totalement raison quand il déclare (dans Le Figaro du 20 mars dernier, NDLR): «Qui s’opposera intellectuellement à la religion du flux est un chien. Le mur devient la forme du mal.». Tout cela va cependant être ébranlé par ce qui se passe. On devrait pouvoir redevenir pragmatique. Il faudrait créer un système opérationnel de coopération internationale pour détecter, alerter, organiser les mesures de précaution et les traitements face aux inévitables futures pandémies

 

Quelles leçons tirer de tout cela? Peut-on espérer l’émergence d’un «nouveau monde» après cette crise?

Il y aura beaucoup de leçons à tirer et de changements à opérer. Bien sûr, de puissantes forces d’inertie économiques, commerciales et sociétales vont exiger le retour à la «normale», surtout si le traitement des Coréens et du Dr Raoult s’avère efficace. Il ne faudrait pas leur céder, en commençant par essayer de conserver les gestes barrières de précaution, après la sortie du confinement. Au-delà, il faut procéder à une évaluation implacable de tout ce qui doit être corrigé ou abandonné aux niveaux international, européen, national, scientifique, administratif, collectif et personnel. Il faudrait créer un système opérationnel de coopération internationale entre gouvernements – plus sûr qu’une fumeuse «gouvernance mondiale» – pour détecter immédiatement, alerter, organiser les mesures de précaution et les traitements face aux inévitables futures pandémies. Il faudrait aussi tirer au clair les conditions de déclenchement des maladies passant de l’animal à l’homme. Passer au crible tout le système ONU-Bretton Woods- G7-G20, etc.  Il faudra aussi tout écologiser : agriculture, agro-industries, industries (y compris chimiques), transports, construction, énergie, modes de calculs macroéconomiques (type PIB). Cela conduira à rerégionaliser davantage les courants économiques. À rendre la production et l’économie circulaires (plus de recyclage, moins de déchets). Cela mènera à une mutation en dix ou quinze ans de l’agriculture et de l’agro-industrie. À une révolution dans les transports, et dans d’autres domaines. Tout cela a commencé, dans les pays les plus avancés, mais va devoir être accéléré et généralisé.

 

Toutes ces pistes que vous tracez impliquent un changement radical de notre mode de vie?

Ah! Sans aller jusqu’à Pascal, il faudrait en effet réduire cette bougeotte permanente! Mais qui le pourra? Les 7 milliards actuels de Sapiens ne vont pas redevenir chasseurs-cueilleurs dans la vallée du Rift. C’est la façon d’être de l’humanité au XXIe siècle. Ceux qui en sont encore exclus n’ont qu’une idée: y accéder. Néanmoins, on prendra peut-être conscience des ravages du tourisme de masse (à ne pas confondre avec le voyage): Dubrovnik, Santorin, Angkor sont des victimes précoces, bientôt Venise. Et faut-il vraiment atteindre 100 millions de touristes en France? «Quoi qu’il en coûte?» Cette formule peut signifier qu’il y aura des manques à gagner qu’il faudra assumer. L’urgence est de stopper la pandémie et d’éviter le collapse économique. Mais on attend d’Emmanuel Macron qu’il orchestre « l’après », à tous les niveaux. C’est une occasion historique Certains, déjà, prônent une démondialisation énergétique… Parlons plutôt de «décarbonation». Je rappelle d’ailleurs que la France bénéficie de l’énergie la plus décarbonée de tous les pays développés. Cela suppose d’abord la réduction régulière du charbon (Comment en convaincre les Chinois, les Indiens, les Polonais, les Allemands?) et la poursuite du nucléaire – qui n’émet pas de CO2 – jusqu’à ce que l’on dispose des moyens de stocker l’électricité produite par les énergies renouvelables à des coûts raisonnables. Et l’Europe? Peut-elle tirer elle aussi des leçons de cette crise? Elle va continuer et peut-être trouver avec cette crise exceptionnelle les moyens de se libérer de certaines œillères et handicaps constitutifs: en combinant mieux – par la subsidiarité – les souverainetés nationales, à préserver, et la souveraineté européenne, à concrétiser. Que pensez-vous de la manière dont Emmanuel Macron gère cette crise? De son vocabulaire guerrier, de son injonction à lire? La guerre? Oui! Lire? Si seulement il était entendu! Mais il a dit que «plus rien ne serait comme avant». Plus largement, la crise redonne des moyens d’agir aux «mondialisés» du pouvoir face aux «mondialisateurs», et aux régulateurs face aux dérégulateurs irresponsables. L’urgence est bien sûr de stopper la pandémie et d’éviter le collapse économique (et donc social). Mais on attend d’Emmanuel Macron qu’il orchestre «l’après», à tous les niveaux. C’est une occasion historique.

 

Propos recueillis par Anna Fulda

Le choc du coronavirus est en train de pulvériser des croyances très enracinées

Hubert Vedrine

Entretien avec Anna Fulda

Pointant du doigt un mode de vie qui se traduit par «une mobilité permanente, sans limite ni entraves» et un tourisme de masse, Hubert Védrine évoque les leçons à tirer et les changements à opérer après cette crise sanitaire inédite.

LE FIGARO. – Selon vous que révèle la crise du coronavirus sur le plan international ? 

Hubert VÉDRINE. -Cette crise globale, sans précédent depuis les guerres, révèle ou confirme qu’il n’existe pas encore de réelle communauté internationale ou qu’elle n’est pas préparée à faire face à une pandémie mondiale. Bill Gates et des stratèges militaires le disent depuis Ebola. Et on savait déjà que la mondialisation a été essentiellement, jusqu’ici, ces dernières décennies, une déréglementation financière et une localisation des productions industrielles là où les coûts salariaux étaient les plus faibles, en Chine, et dans les autres pays émergents (la fameuse «chaîne de valeur»), à l’exclusion de toute autre considération. On redécouvre que les dépendances stratégiques que cela a généré ont été jugées secondaires. On voit qu’il n’y a pas de système multilatéral (ONU, OMS, G7, G20…) suffisamment opérationnel. Et on a la confirmation que l’Union européenne, le marché unique, et la politique de la concurrence ont été conçues pour un monde sans tragédie. Par ailleurs, les mouvements de population sont devenus permanents, massifs et problématiques. On le savait mais là, c’est éclatant.

 

L’Europe aux abonnés absents, la Chine qui vient au secours de l’Italie en livrant du matériel médical… n’est-ce pas tout de même le signe d’un basculement?

Tout à fait, mais il est en cours depuis longtemps même si les puissances établies, les Occidentaux, tentent d’y résister et ils ont beaucoup de cartes en mains. La Chine est numéro un bis et ne s’en cache plus. Voyez le gigantisme et l’ambition des routes de la soie. Mais aussi sa communication paternaliste, comme la nôtre. Il n’y a pas à reprocher aux Chinois d’avoir tiré parti de la mondialisation. C’est à nous, Européens, de nous interroger sur notre stratégie, sur notre naïveté. C’est très dur pour les Européens qui se voyaient encore comme l’avant-garde civilisationnelle du monde. Cela dit, concernant l’Europe, la Banque centrale européenne vient quand même de mettre sur la table plus de 1000 milliards d’euros (9% du PIB) et la Commission de décider «la suspension générale» des règles budgétaires! C’est potentiellement une Europe nouvelle!

 

Cette crise met aussi à jour une vulnérabilité sous-estimée ou non perçue jusqu’alors: la dépendance économique de la France concernant certains produits stratégiques, comme les médicaments…

C’est vrai et cela ne concerne pas que la France. Dans le monde de l’économie globale de marché, et pas seulement par «idéologie OMC», presque plus rien n’était considéré comme stratégique, à part le militaire stricto sensu. Cela allait de pair avec la décrédibilisation tonitruante, exagérée et déraisonnable de la souveraineté des États et de leur rôle.

 

Une certaine idée de la mondialisation ne risque-t-elle pas d’être sérieusement remise en cause?

Beaucoup de ces aveuglements, exagérations, dérives devraient être remis en cause. Même si certains vont essayer de l’empêcher. Cela concerne évidemment, l’idée de la mondialisation heureuse qui avait déjà du plomb dans l’aile. Heureuse? Elle l’a été, un certain temps, selon la formule, pour les pauvres des pays pauvres et pour les riches des pays riches. Jusqu’à ce que la déception des classes populaires et moyennes des pays développés se mue en frustration et en populisme. Mais au-delà, n’est-ce pas tout un mode de vie insouciant, hédoniste, individualiste et festif, qui semble devenu le premier des droits de l’homme (bien avant, pour certains, la liberté de la presse) et qui est mis en cause? Ce mode de vie se traduit, pour tout ou partie de l’humanité, par une mobilité permanente sans limite ni entraves, type mouvement brownien. Ajouté aux voyages économiques incessants et au tourisme de masse (1,4 milliard de touristes en 2019), cela donne 4 milliards de passagers aériens en 2017, 8 milliards «espérés» en 2035 (avant la pandémie)! Il faudrait également remettre en cause aussi «l’économie casino» financièrement sans borne (ce qu’Obama avait commencé à faire et que Trump a détruit) et ces «chaînes de valeur», qui ne tiennent aucun compte des coûts écologiques externalisés. Si on ne s’aveugle pas délibérément, tout cela ne remet pas seulement en cause un mode de vie mais toute une civilisation. La nôtre, sauf parade absolue. C’est vertigineux.

 

Parmi les dogmes qui ont explosé avec cette crise, il y a celui, jusqu’alors intangible et lié à l’Europe, de l’ouverture des frontières?

Ce dogme a déjà été sérieusement remis en cause au sein de Schengen face à la vague migratoire des dernières années, consécutive à la guerre de Syrie. Mais le choc du coronavirus est en train de pulvériser un certain nombre de réflexes, d’idéologies et de croyances très enracinées. Il est curieux que la libre circulation au sein de l’Europe soit devenue son symbole absolu. Les accords de Schengen n’ont démarré qu’en 1985 (alors que le traité de Rome date de 1957). Au départ, ce n’était d’ailleurs qu’une modeste – et intelligente – initiative de secrétaires d’État chargés des Affaires européennes. C’est devenu, petit à petit, au fil du temps, un élément central, mais aussi marqué, hélas, d’une négligence coupable en ce qui concerne les frontières extérieures, par idéologie, par «sans-frontiérisme», puisqu’à l’époque on pensait que ces accords humanistes et économiques allaient s’étendre sans fin. Comme on avait autrefois évangélisé, colonisé, civilisé, on a pensé qu’on allait ouvrir le monde. Démarche émouvante, sympathique, naïve, prétentieuse et dangereuse tout à la fois. Les accords de Schengen, la libre circulation, sont donc devenus rétroactivement le symbole même de l’Europe. Le refus des frontières était devenu comme une sorte de religion que l’on ne pouvait pas remettre en cause. Sylvain Tesson a totalement raison quand il déclare (dans Le Figaro du 20 mars dernier, NDLR): «Qui s’opposera intellectuellement à la religion du flux est un chien. Le mur devient la forme du mal.». Tout cela va cependant être ébranlé par ce qui se passe. On devrait pouvoir redevenir pragmatique. Il faudrait créer un système opérationnel de coopération internationale pour détecter, alerter, organiser les mesures de précaution et les traitements face aux inévitables futures pandémies

 

Quelles leçons tirer de tout cela? Peut-on espérer l’émergence d’un «nouveau monde» après cette crise?

Il y aura beaucoup de leçons à tirer et de changements à opérer. Bien sûr, de puissantes forces d’inertie économiques, commerciales et sociétales vont exiger le retour à la «normale», surtout si le traitement des Coréens et du Dr Raoult s’avère efficace. Il ne faudrait pas leur céder, en commençant par essayer de conserver les gestes barrières de précaution, après la sortie du confinement. Au-delà, il faut procéder à une évaluation implacable de tout ce qui doit être corrigé ou abandonné aux niveaux international, européen, national, scientifique, administratif, collectif et personnel. Il faudrait créer un système opérationnel de coopération internationale entre gouvernements – plus sûr qu’une fumeuse «gouvernance mondiale» – pour détecter immédiatement, alerter, organiser les mesures de précaution et les traitements face aux inévitables futures pandémies. Il faudrait aussi tirer au clair les conditions de déclenchement des maladies passant de l’animal à l’homme. Passer au crible tout le système ONU-Bretton Woods- G7-G20, etc.  Il faudra aussi tout écologiser : agriculture, agro-industries, industries (y compris chimiques), transports, construction, énergie, modes de calculs macroéconomiques (type PIB). Cela conduira à rerégionaliser davantage les courants économiques. À rendre la production et l’économie circulaires (plus de recyclage, moins de déchets). Cela mènera à une mutation en dix ou quinze ans de l’agriculture et de l’agro-industrie. À une révolution dans les transports, et dans d’autres domaines. Tout cela a commencé, dans les pays les plus avancés, mais va devoir être accéléré et généralisé.

 

Toutes ces pistes que vous tracez impliquent un changement radical de notre mode de vie?

Ah! Sans aller jusqu’à Pascal, il faudrait en effet réduire cette bougeotte permanente! Mais qui le pourra? Les 7 milliards actuels de Sapiens ne vont pas redevenir chasseurs-cueilleurs dans la vallée du Rift. C’est la façon d’être de l’humanité au XXIe siècle. Ceux qui en sont encore exclus n’ont qu’une idée: y accéder. Néanmoins, on prendra peut-être conscience des ravages du tourisme de masse (à ne pas confondre avec le voyage): Dubrovnik, Santorin, Angkor sont des victimes précoces, bientôt Venise. Et faut-il vraiment atteindre 100 millions de touristes en France? «Quoi qu’il en coûte?» Cette formule peut signifier qu’il y aura des manques à gagner qu’il faudra assumer. L’urgence est de stopper la pandémie et d’éviter le collapse économique. Mais on attend d’Emmanuel Macron qu’il orchestre « l’après », à tous les niveaux. C’est une occasion historique Certains, déjà, prônent une démondialisation énergétique… Parlons plutôt de «décarbonation». Je rappelle d’ailleurs que la France bénéficie de l’énergie la plus décarbonée de tous les pays développés. Cela suppose d’abord la réduction régulière du charbon (Comment en convaincre les Chinois, les Indiens, les Polonais, les Allemands?) et la poursuite du nucléaire – qui n’émet pas de CO2 – jusqu’à ce que l’on dispose des moyens de stocker l’électricité produite par les énergies renouvelables à des coûts raisonnables. Et l’Europe? Peut-elle tirer elle aussi des leçons de cette crise? Elle va continuer et peut-être trouver avec cette crise exceptionnelle les moyens de se libérer de certaines œillères et handicaps constitutifs: en combinant mieux – par la subsidiarité – les souverainetés nationales, à préserver, et la souveraineté européenne, à concrétiser. Que pensez-vous de la manière dont Emmanuel Macron gère cette crise? De son vocabulaire guerrier, de son injonction à lire? La guerre? Oui! Lire? Si seulement il était entendu! Mais il a dit que «plus rien ne serait comme avant». Plus largement, la crise redonne des moyens d’agir aux «mondialisés» du pouvoir face aux «mondialisateurs», et aux régulateurs face aux dérégulateurs irresponsables. L’urgence est bien sûr de stopper la pandémie et d’éviter le collapse économique (et donc social). Mais on attend d’Emmanuel Macron qu’il orchestre «l’après», à tous les niveaux. C’est une occasion historique.

 

Propos recueillis par Anna Fulda

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01/07/2020