La tragédie israélo-palestinienne

Il y a vingt ans, le premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, était assassiné par Yigal Amir, un juif ultrareligieux poussé au meurtre par des rabbins extrémistes opposés à toute restitution de la Cisjordanie aux palestiniens. Car l’ancien général Yitzhak Rabin, devenu premier ministre, après avoir très durement réprimé les palestiniens, notamment pendant la première Intifada en 1987, était arrivé à la conclusion qu’Israël ne resterait un État juif et démocratique que s’il acceptait que soit créé, sur les territoires occupés par Israël depuis 1967, et à quelques rectifications de frontières près, un État palestinien. En conséquence de quoi il avait fait abroger la loi pénalisant les contacts avec l’OLP et il avait accepté de traiter avec Arafat, qu’il avait même reçu chez lui. Avant sa mort il avait prononcé des discours impressionnants ou il disait par exemple à ses compatriotes «Arrêtons de croire que le monde entier est contre nous!» et mieux encore «Je combattrai le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, mais je poursuivrai le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme». Phrase essentielle par laquelle il retirait aux terroristes le pouvoir de décision, alors que le Likoud disait, et a fait, l’inverse.
On l’a donc fait tuer parce qu’il s’apprêtait à rendre aux palestiniens, dans l’intérêt même d’Israël, une partie de leurs territoires, qui avaient été occupés.
Aucun autre assassinat politique à notre époque n’a eu de conséquences aussi grandes, aussi durables, et aussi néfastes. Car il n’y a plus jamais eu depuis de vrai processus de paix, même en 2000, à la fin du second mandat de Bill Clinton, tentative à laquelle j’avais participé comme ministre des affaires étrangères de la France. Aucun leader israélien n’a eu depuis sa clairvoyance, sa volonté, son courage. Ce conflit irrésolu n’a cessé de pourrir une relation Islam/Occident déjà difficile. La colonisation s’est poursuivie, inexorable : en 1977 il y avait 4400 colons. Quand Rabin a été tué, 150 000. Aujourd’hui, 600 000, dont 400 000 en Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem-Est! C’est la seule colonisation au monde, peut être avec celles du Tibet et du Sinkiang où la proportion de chinois Hans n’a cessé de croître depuis quelques décennies, la seule qui se poursuit, au su et au vu du monde, dans l’impunité la plus totale.
C’est l’honneur d’Israël qu’il y ait eu, après l’assassinat, une vraie commission d’enquête, qu’il y ait des cinéastes comme Amos Gitaï pour faire des films comme «Rabin, the Last Day» qui démonte bien le mécanisme de l’assassinat télécommandé, et qu’il y ait un camp de la paix avec des gens extraordinaires comme Elie Barnavi, l’ancien ambassadeur à Paris, comme la plupart des anciens chef d’état-major et des services, des ONG, des journaux comme Haaretz, des grands écrivains comme Amos Oz, l’auteur du «Aidez-nous à divorcer! : Israël Palestine, deux états maintenant», ou David Grossman.
En même temps, alors que ce crime aurait dû disqualifier la droite et l’extrême droite religieuse israélienne et le parti des colons, c’est paradoxalement l’inverse qui s’est produit! Rien n’a semblé pouvoir arrêter l’évolution d’Israël vers la droite et l’extrême droite, ni réduire le poids des colons extrémistes et fanatiques, au contraire.
Alors qu’ils auraient dû prendre le relais de Rabin, la gauche et le camp de la paix ne se sont pas remis de ce drame. Aujourd’hui à la Knesset, le centre gauche ne dispose que de 24 sièges sur 120 alors que le Likoud, qui a 30 sièges, gouverne avec le soutien de quatre autres partis, dont trois d’extrême droite nationaliste ou religieuse.
Bien que 55% des israéliens pensent encore que la situation internationale de leur pays dépend du processus de paix, au pouvoir l’essentiel du temps depuis trente ans, seul ou en coalition, le Likoud a réussi à torpiller la solution à deux États, et à faire oublier des plans de paix arabe, comme celui de l’Arabie en 2002 qui l’avait gêné tellement il était acceptable. Il a réussi à créer ce que Rabin voulait éviter à tout prix : une situation où les juifs sont minoritaires dans un grand Israël de facto. Tout cela avec une certaine passivité, pour ne pas dire plus, de la prétendue communauté internationale qui s’est laissée volontairement ou involontairement endormir.
Le moment approche où les palestiniens, impuissants, désespérés, mal gérés, mal gouvernés, et qui n’ont plus aucune perspective, finiront par constater officiellement que la solution à deux États, avec donc un État palestinien, est caduque. Ils revendiqueront alors des droits égaux dans un seul État, où ils seront majoritaires, sauf apartheid.
C’est une tragédie.

La tragédie israélo-palestinienne

Hubert Vedrine

La tragédie israélo-palestinienne

Il y a vingt ans, le premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, était assassiné par Yigal Amir, un juif ultrareligieux poussé au meurtre par des rabbins extrémistes opposés à toute restitution de la Cisjordanie aux palestiniens. Car l’ancien général Yitzhak Rabin, devenu premier ministre, après avoir très durement réprimé les palestiniens, notamment pendant la première Intifada en 1987, était arrivé à la conclusion qu’Israël ne resterait un État juif et démocratique que s’il acceptait que soit créé, sur les territoires occupés par Israël depuis 1967, et à quelques rectifications de frontières près, un État palestinien. En conséquence de quoi il avait fait abroger la loi pénalisant les contacts avec l’OLP et il avait accepté de traiter avec Arafat, qu’il avait même reçu chez lui. Avant sa mort il avait prononcé des discours impressionnants ou il disait par exemple à ses compatriotes «Arrêtons de croire que le monde entier est contre nous!» et mieux encore «Je combattrai le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, mais je poursuivrai le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme». Phrase essentielle par laquelle il retirait aux terroristes le pouvoir de décision, alors que le Likoud disait, et a fait, l’inverse.
On l’a donc fait tuer parce qu’il s’apprêtait à rendre aux palestiniens, dans l’intérêt même d’Israël, une partie de leurs territoires, qui avaient été occupés.
Aucun autre assassinat politique à notre époque n’a eu de conséquences aussi grandes, aussi durables, et aussi néfastes. Car il n’y a plus jamais eu depuis de vrai processus de paix, même en 2000, à la fin du second mandat de Bill Clinton, tentative à laquelle j’avais participé comme ministre des affaires étrangères de la France. Aucun leader israélien n’a eu depuis sa clairvoyance, sa volonté, son courage. Ce conflit irrésolu n’a cessé de pourrir une relation Islam/Occident déjà difficile. La colonisation s’est poursuivie, inexorable : en 1977 il y avait 4400 colons. Quand Rabin a été tué, 150 000. Aujourd’hui, 600 000, dont 400 000 en Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem-Est! C’est la seule colonisation au monde, peut être avec celles du Tibet et du Sinkiang où la proportion de chinois Hans n’a cessé de croître depuis quelques décennies, la seule qui se poursuit, au su et au vu du monde, dans l’impunité la plus totale.
C’est l’honneur d’Israël qu’il y ait eu, après l’assassinat, une vraie commission d’enquête, qu’il y ait des cinéastes comme Amos Gitaï pour faire des films comme «Rabin, the Last Day» qui démonte bien le mécanisme de l’assassinat télécommandé, et qu’il y ait un camp de la paix avec des gens extraordinaires comme Elie Barnavi, l’ancien ambassadeur à Paris, comme la plupart des anciens chef d’état-major et des services, des ONG, des journaux comme Haaretz, des grands écrivains comme Amos Oz, l’auteur du «Aidez-nous à divorcer! : Israël Palestine, deux états maintenant», ou David Grossman.
En même temps, alors que ce crime aurait dû disqualifier la droite et l’extrême droite religieuse israélienne et le parti des colons, c’est paradoxalement l’inverse qui s’est produit! Rien n’a semblé pouvoir arrêter l’évolution d’Israël vers la droite et l’extrême droite, ni réduire le poids des colons extrémistes et fanatiques, au contraire.
Alors qu’ils auraient dû prendre le relais de Rabin, la gauche et le camp de la paix ne se sont pas remis de ce drame. Aujourd’hui à la Knesset, le centre gauche ne dispose que de 24 sièges sur 120 alors que le Likoud, qui a 30 sièges, gouverne avec le soutien de quatre autres partis, dont trois d’extrême droite nationaliste ou religieuse.
Bien que 55% des israéliens pensent encore que la situation internationale de leur pays dépend du processus de paix, au pouvoir l’essentiel du temps depuis trente ans, seul ou en coalition, le Likoud a réussi à torpiller la solution à deux États, et à faire oublier des plans de paix arabe, comme celui de l’Arabie en 2002 qui l’avait gêné tellement il était acceptable. Il a réussi à créer ce que Rabin voulait éviter à tout prix : une situation où les juifs sont minoritaires dans un grand Israël de facto. Tout cela avec une certaine passivité, pour ne pas dire plus, de la prétendue communauté internationale qui s’est laissée volontairement ou involontairement endormir.
Le moment approche où les palestiniens, impuissants, désespérés, mal gérés, mal gouvernés, et qui n’ont plus aucune perspective, finiront par constater officiellement que la solution à deux États, avec donc un État palestinien, est caduque. Ils revendiqueront alors des droits égaux dans un seul État, où ils seront majoritaires, sauf apartheid.
C’est une tragédie.

source:https://www.hubertvedrine.net Homepage > Publications > La tragédie israélo-palestinienne
13/11/2015