LA REPUBLIQUE COMPASSIONNELLE

Cent vingt petites pages très enlevées suffisent à Michel Richard, directeur adjoint du «Point» et déjà auteur de quelques pamphlets, pour tourner férocement en dérision cette «République compassionnelle», qu’est devenue notre République française. L’auteur n’est pas un monstre. Il ne prêche pas l’indifférence au malheur d’autrui. Mais il montre le grotesque de cette concurrence compassionnelle entre «saint bernard d’Etat», de cette «religion lacrymale» dont le président est devenu le grand prêtre. Après le drame de Charm el-Cheikh, pas moins de vingt cinq communiqués officiels. Il y a un marché de la compassion, une addiction au malheur, une compétition victimaire. Les Français, que tout aujourd’hui inquiète, sont traités avec une «gentillesse d’hôpital». Quand je dirigeais la diplomatie française une question de journaliste sur deux commençait par «Vous ne craignez pas que?», un projet de communiqué sur deux par «le Quai d’Orsay est très préoccupé par …». Le gouvernement actuel, qui veut se rattraper d’avoir «raté» la canicule en rajoute. Le plus grave dans cette évolution est qu’elle n’est pas un des travers de la politique à l’âge médiatique, elle en devient la substance même. «Nous sommes dans une démocratie d’émotion, grimace de la démocratie d’opinion, elle-même grimace démagogique de la démocratie, en attendant la démocratie de la niaiserie et celle du gâtisme» lance l’auteur. Il y a longtemps que j’ai décrit les méfaits du «tout image», du totalitarisme émotionnel et du feu de cheminée médiatique sur toute politique. Mis en accusation pour leur impuissance dans la mondialisation les politiques cherchent à se relégitimer par une surenchère d’offre de compassion. Certains politiciens mutants se sont suradaptés à ce jeu vain, précipitant la perte de sens de la politique en général.

Quelle réponse à cela? Les politiques devraient refuser de se prêter à leur propre guignolisation, qui ne leur procure qu’une faveur illusoire, cesser d’exploiter les peurs de toutes sortes et la demande compassionnelle, se guérir du goût des postures. Revenir à la citoyenneté, à la dignité, à la politique. Il n’y a plus beaucoup de temps pour cela.

LA REPUBLIQUE COMPASSIONNELLE

Hubert Vedrine

LA REPUBLIQUE COMPASSIONNELLE

Cent vingt petites pages très enlevées suffisent à Michel Richard, directeur adjoint du «Point» et déjà auteur de quelques pamphlets, pour tourner férocement en dérision cette «République compassionnelle», qu’est devenue notre République française. L’auteur n’est pas un monstre. Il ne prêche pas l’indifférence au malheur d’autrui. Mais il montre le grotesque de cette concurrence compassionnelle entre «saint bernard d’Etat», de cette «religion lacrymale» dont le président est devenu le grand prêtre. Après le drame de Charm el-Cheikh, pas moins de vingt cinq communiqués officiels. Il y a un marché de la compassion, une addiction au malheur, une compétition victimaire. Les Français, que tout aujourd’hui inquiète, sont traités avec une «gentillesse d’hôpital». Quand je dirigeais la diplomatie française une question de journaliste sur deux commençait par «Vous ne craignez pas que?», un projet de communiqué sur deux par «le Quai d’Orsay est très préoccupé par …». Le gouvernement actuel, qui veut se rattraper d’avoir «raté» la canicule en rajoute. Le plus grave dans cette évolution est qu’elle n’est pas un des travers de la politique à l’âge médiatique, elle en devient la substance même. «Nous sommes dans une démocratie d’émotion, grimace de la démocratie d’opinion, elle-même grimace démagogique de la démocratie, en attendant la démocratie de la niaiserie et celle du gâtisme» lance l’auteur. Il y a longtemps que j’ai décrit les méfaits du «tout image», du totalitarisme émotionnel et du feu de cheminée médiatique sur toute politique. Mis en accusation pour leur impuissance dans la mondialisation les politiques cherchent à se relégitimer par une surenchère d’offre de compassion. Certains politiciens mutants se sont suradaptés à ce jeu vain, précipitant la perte de sens de la politique en général.

Quelle réponse à cela? Les politiques devraient refuser de se prêter à leur propre guignolisation, qui ne leur procure qu’une faveur illusoire, cesser d’exploiter les peurs de toutes sortes et la demande compassionnelle, se guérir du goût des postures. Revenir à la citoyenneté, à la dignité, à la politique. Il n’y a plus beaucoup de temps pour cela.

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30/05/2006