L’ère des insurrections électorales

En quel sens l’élection de Trump signe-t-elle l’avènement de ce que vous appelez des « insurrections électorales «?
Hubert Védrine.- Dans toutes les démocraties installées, et pas uniquement en Occident, nous assistons à une crise de la représentativité. Les citoyens ne font plus confiance aux responsables qu’ils ont eux-mêmes élus. Désormais très informées sur un tas de sujets (écologie, santé, etc.), les populations sont en demande de démocratie directe permanente et souhaitent qu’on leur demande leur avis à tout bout de champ.
D’autre part, les classes moyennes décrochent parce qu’elles n’ont plus l’impression de vivre mieux que celles qui les ont précédées. C’est ce qui plombe les démocrates aux Etats-Unis et la social-démocratie en Europe. Les excès obscènes de l’enrichissement par la mondialisation étaient tolérés tant que le sort des classes moyennes s’améliorait. Mais depuis la crise de 2007-2008, ce n’est plus le cas. Et puis il y a ces catégories populaires qui souhaitent garder une certaine identité, une forme de souveraineté, et qui sont aussi en demande de sécurité.
Ces phénomènes conduisent à de régulières insurrections électorales, en effet. L’enthousiasme des partisans de Bernie Sanders et de Donald Trump était frappant, alors que le choix d’Hillary Clinton était, pour beaucoup, un vote de raison. Ce serait donc une erreur de considérer cette élection comme aberration folklorique américaine.

Trump est-il une menace pour l’équilibre géopolitique mondial ou bien va-t-il se normaliser avec l’exercice du pouvoir?
Le monde est dans un équilibre instable, semi-chaotique, où les Etats-Unis occupent une place importante, sans être une hyperpuissance comme au cours des années 1990. Nous ne sommes pas dans la situation stable où Trump arriverait comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Trump sera bien obligé de s’insérer dans le jeu des relations internationales et des sommets mondiaux. Peut-être changera-t-il d’alliance. Mais, sans se normaliser, il va devoir entrer dans la mécanique. Son premier problème d’ailleurs consistera à se réconcilier avec son propre parti contre lequel il s’est battu. Ensuite, il y aura près de 1 500 postes à pourvoir dans son administration, à partir de janvier. Or son entourage, c’est dix personnes. Il le fera certes de manière ébouriffante, mais il devra entrer dans le jeu.

Quelle diplomatie peut-il avoir?
Les seuls points de repères que nous avons, ce sont les propos qu’il a tenus lors de la campagne. Or sur quoi a-t-il insisté? Sur le fait qu’il était un homme qui fait des deals. Donc c’est une personnalité qui n’est pas uniquement dans le rapport de rapport de force. Car les deals dans les affaires, c’est du donnant-donnant. Autrement dit, Trump ce n’est pas Bush.
Il n’a pas non plus développé l’idée que la mission des Etats-Unis devait être civilisatrice, idéologie prédominante depuis Wilson, même si quelques réalistes, comme Henry Kissinger, ont su parfois faire valoir leur doctrine. Car n’oublions pas que les néoconservateurs sont encore un gigantesque courant de pensée, notamment composé d’anciens gauchistes comme Robert Kagan ou Paul Wolfowitz chez les républicains, mais aussi de « faucons libéraux « dans le camp démocrate dont fait partie Hillary Clinton.
Or tout ce qu’à dit Trump est en rupture avec l’idée d’une nation missionnaire prosélyte. En un mot, Trump n’est pas sur la ligne d’une guerre aux dictateurs pour imposer les droits de l’homme. S’il fait ce qu’il dit, ce sera un vrai changement, notamment marqué par le fait que les « néocons « ont voté Clinton. Trump est animé par une sorte d’égoïsme sacré de puissance : « On est les Etats-Unis, on va défendre nos intérêts. On tapera sur ceux qui nous menacent. Mais on pourra faire un deal avec eux le lendemain «, dit-il en substance.

Mais est-ce finalement une véritable rupture avec Obama?
On ne la pas perçu, en raison de sa vulgarité et de sa brutalité, mais dans la retenue de la puissance américaine, il y a un lien indéniable entre Trump et Obama. Trump a créé la panique générale lorsqu’il avait dit que l’OTAN, ça suffisait comme ça. Or cela fait longtemps que les Etats-Unis demandent à leurs alliés de payer plus afin de financer leur propre défense dans le cadre de l’OTAN.

Trump affirme vouloir annuler l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et l’accord de Paris sur le climat. Est-il possible de le forcer à négocier malgré tout?
Si Trump décide de ne pas appliquer l’accord Iran, il peut y avoir un bras de fer avec les Européens notamment, à moins qu’ils ne se couchent. Mais est-il possible d’annuler l’accord tout en maintenant les sanctions américaines? C’est une question. L’accord climat lui, est entré en fonction et il appartiendra aux autres signataires de prendre éventuellement la lourde responsabilité de l’appliquer sans les Etats-Unis, si toutefois Trump peut encore l’annuler. Et puis, même si le président des Etats-Unis est hostile à l’accord, des villes ou des entreprises américaines pourraient lui résister et appliquer l’accord de leur côté.

Du Brexit à l’élection de Trump, n’assiste-t-on pas à un mouvement idéologique de fond qui pourrait porter Marine Le Pen au pouvoir?
Il n’y a pas de transposition mécanique à faire. Je note que, depuis des années, et malgré ses scores importants, Marine Le Pen n’augmente pas en nombre de voix. Mais les mêmes causes peuvent, bien sûr, produire les mêmes effets. Et si les élites françaises continuent à ne pas entendre la détresse sociale, mais aussi ne parviennent pas à comprendre que les peuples sont attachés à la sécurité, à l’identité et à la souveraineté, et qu’il ne s’agit pas de demandes immondes si on y apporte des réponses raisonnables, ils pourront voter n’importe quoi.

L’ère des insurrections électorales

Hubert Vedrine

L’ère des insurrections électorales

En quel sens l’élection de Trump signe-t-elle l’avènement de ce que vous appelez des « insurrections électorales «?
Hubert Védrine.- Dans toutes les démocraties installées, et pas uniquement en Occident, nous assistons à une crise de la représentativité. Les citoyens ne font plus confiance aux responsables qu’ils ont eux-mêmes élus. Désormais très informées sur un tas de sujets (écologie, santé, etc.), les populations sont en demande de démocratie directe permanente et souhaitent qu’on leur demande leur avis à tout bout de champ.
D’autre part, les classes moyennes décrochent parce qu’elles n’ont plus l’impression de vivre mieux que celles qui les ont précédées. C’est ce qui plombe les démocrates aux Etats-Unis et la social-démocratie en Europe. Les excès obscènes de l’enrichissement par la mondialisation étaient tolérés tant que le sort des classes moyennes s’améliorait. Mais depuis la crise de 2007-2008, ce n’est plus le cas. Et puis il y a ces catégories populaires qui souhaitent garder une certaine identité, une forme de souveraineté, et qui sont aussi en demande de sécurité.
Ces phénomènes conduisent à de régulières insurrections électorales, en effet. L’enthousiasme des partisans de Bernie Sanders et de Donald Trump était frappant, alors que le choix d’Hillary Clinton était, pour beaucoup, un vote de raison. Ce serait donc une erreur de considérer cette élection comme aberration folklorique américaine.

Trump est-il une menace pour l’équilibre géopolitique mondial ou bien va-t-il se normaliser avec l’exercice du pouvoir?
Le monde est dans un équilibre instable, semi-chaotique, où les Etats-Unis occupent une place importante, sans être une hyperpuissance comme au cours des années 1990. Nous ne sommes pas dans la situation stable où Trump arriverait comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Trump sera bien obligé de s’insérer dans le jeu des relations internationales et des sommets mondiaux. Peut-être changera-t-il d’alliance. Mais, sans se normaliser, il va devoir entrer dans la mécanique. Son premier problème d’ailleurs consistera à se réconcilier avec son propre parti contre lequel il s’est battu. Ensuite, il y aura près de 1 500 postes à pourvoir dans son administration, à partir de janvier. Or son entourage, c’est dix personnes. Il le fera certes de manière ébouriffante, mais il devra entrer dans le jeu.

Quelle diplomatie peut-il avoir?
Les seuls points de repères que nous avons, ce sont les propos qu’il a tenus lors de la campagne. Or sur quoi a-t-il insisté? Sur le fait qu’il était un homme qui fait des deals. Donc c’est une personnalité qui n’est pas uniquement dans le rapport de rapport de force. Car les deals dans les affaires, c’est du donnant-donnant. Autrement dit, Trump ce n’est pas Bush.
Il n’a pas non plus développé l’idée que la mission des Etats-Unis devait être civilisatrice, idéologie prédominante depuis Wilson, même si quelques réalistes, comme Henry Kissinger, ont su parfois faire valoir leur doctrine. Car n’oublions pas que les néoconservateurs sont encore un gigantesque courant de pensée, notamment composé d’anciens gauchistes comme Robert Kagan ou Paul Wolfowitz chez les républicains, mais aussi de « faucons libéraux « dans le camp démocrate dont fait partie Hillary Clinton.
Or tout ce qu’à dit Trump est en rupture avec l’idée d’une nation missionnaire prosélyte. En un mot, Trump n’est pas sur la ligne d’une guerre aux dictateurs pour imposer les droits de l’homme. S’il fait ce qu’il dit, ce sera un vrai changement, notamment marqué par le fait que les « néocons « ont voté Clinton. Trump est animé par une sorte d’égoïsme sacré de puissance : « On est les Etats-Unis, on va défendre nos intérêts. On tapera sur ceux qui nous menacent. Mais on pourra faire un deal avec eux le lendemain «, dit-il en substance.

Mais est-ce finalement une véritable rupture avec Obama?
On ne la pas perçu, en raison de sa vulgarité et de sa brutalité, mais dans la retenue de la puissance américaine, il y a un lien indéniable entre Trump et Obama. Trump a créé la panique générale lorsqu’il avait dit que l’OTAN, ça suffisait comme ça. Or cela fait longtemps que les Etats-Unis demandent à leurs alliés de payer plus afin de financer leur propre défense dans le cadre de l’OTAN.

Trump affirme vouloir annuler l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et l’accord de Paris sur le climat. Est-il possible de le forcer à négocier malgré tout?
Si Trump décide de ne pas appliquer l’accord Iran, il peut y avoir un bras de fer avec les Européens notamment, à moins qu’ils ne se couchent. Mais est-il possible d’annuler l’accord tout en maintenant les sanctions américaines? C’est une question. L’accord climat lui, est entré en fonction et il appartiendra aux autres signataires de prendre éventuellement la lourde responsabilité de l’appliquer sans les Etats-Unis, si toutefois Trump peut encore l’annuler. Et puis, même si le président des Etats-Unis est hostile à l’accord, des villes ou des entreprises américaines pourraient lui résister et appliquer l’accord de leur côté.

Du Brexit à l’élection de Trump, n’assiste-t-on pas à un mouvement idéologique de fond qui pourrait porter Marine Le Pen au pouvoir?
Il n’y a pas de transposition mécanique à faire. Je note que, depuis des années, et malgré ses scores importants, Marine Le Pen n’augmente pas en nombre de voix. Mais les mêmes causes peuvent, bien sûr, produire les mêmes effets. Et si les élites françaises continuent à ne pas entendre la détresse sociale, mais aussi ne parviennent pas à comprendre que les peuples sont attachés à la sécurité, à l’identité et à la souveraineté, et qu’il ne s’agit pas de demandes immondes si on y apporte des réponses raisonnables, ils pourront voter n’importe quoi.

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13/12/2016