Inventer la paix au Moyen-Orient

S’agissant de l’Irak ou du dossier israélo-palestinien, chacun en convient désormais aux Etats-Unis, plus rien ne sera comme avant le rapport Baker-Hamilton. Même si les suites immédiates en sont incertaines, le constat est sans appel et il est remarquable que ce soient, une fois encore, les propres ressorts de la démocratie américaine qui aient fonctionné pour que l’opinion prenne la juste mesure de l’immensité de la tragédie irakienne, reprenne conscience de l’impérieuse centralité du drame palestinien et se voit proposer un changement de politique dans l’ensemble de la région.

Dans le même temps et en dépit des apparences, quelques signes encourageants sont apparus en Israël. S’ajoutant à la disponibilité avérée de l’opinion sur un Etat palestinien. En l’espace de quelques semaines, l’initiative arabe pour une paix globale dans la région, plus connue sous le nom d’initiative Abadallah, a été déclarée recevable par le Premier Ministre Ehoud Olmert et son Ministre israélien de la Défense, Amir Peretz. Cette inflexion dans la bonne direction n’a pas fait les grands titres dans la presse occidentale, mais elle n’en n’est pas moins significative d’un retour du politique là où les militaires ou les fondamentalistes des deux camps, avaient trop longtemps occupé le terrain et abusé les esprits les plus avisés. Significative également, la décision récente de la Ministre israélienne de l’éducation, qui a proposé de changer les manuels scolaires pour y faire figurer, au nom de la vérité historique, les frontières de la «ligne verte», c’est-à-dire d’avant l’occupation de 1967.

Composé de personnalités aussi différentes que le Président Khatami ou Mgr Tutu, le Groupe de Haut Niveau constitué sous l’égide de l’ONU par Kofi Annan sur la proposition de José Luis Zapatero et Recep Tayyip Erdogan, pour opposer à l’idée de «clash des civilisations» le projet d’une «alliance des civilisations», et dont nous avons fait partie, est arrivé à une conclusion identique: «Juste, digne et démocratique, un Etat palestinien viable est une nécessité et il sera le vrai garant de la pérennité et de la sécurité d’Israël». Dans son rapport final présenté le 18 décembre 2006 aux Nations unies, notre Groupe est convenu à cet égard que ses recommandations sur l’éducation, les religions ou les médias, aussi utiles soient-elles, finiraient aux oubliettes des archives onusiennes, si, par convenance ou consensus un peu lâche, nous refusions de nous prononcer sur les problèmes politiques, qui s’enracinent dans tous les drames qui ont un nom: conflit israélo-palestinien, Israël, Irak, Afghanistan ou Tchétchénie, avec, en prime pour le Moyen-Orient et pour l’Afrique du Nord, les séquelles morales, culturelles et idéologiques de la période coloniale. Les Occidentaux vont devoir se libérer d’une lecture sélective du passé et comprendre pourquoi, face à ces faits, un Marocain, par exemple, réagit avec la même passion et la même détermination qu’un Indonésien musulman qu’il ne connaît pas et qu’il ne rencontrera jamais. Cela est irrationnel et improbable pour un Occidental cartésien, mais cela est.

La paix à inventer entre la Palestine et Israël est au cœur du projet de l’alliance des civilisations. Elle impose que soit mis en chantier, sans plus attendre, un état des lieux objectif du Moyen Orient. Cet état des lieux procèderait de trois réalités désormais irréfragables:

– réalité du mouvement national palestinien, dont chacun a enfin compris que ni l’usure du temps, ni la force, ni l’argent, ne viendront à bout de sa détermination à bâtir un Etat libre, respecté et doté des moyens de la souveraineté;

– réalité du mouvement national juif, qui a trouvé son aboutissement en Israël, dans une partie de la Palestine, et dont on sait également que ni le terrorisme, ni les guerres, ni les pressions internationales, ne viendront à bout;

– volonté de tous et d’abord de la majorité des Arabes et des Palestiniens, du peuple israélien et des juifs dans le monde, d’accepter et de faire vivre une solution digne, juste et éthique, qui donne ses vraies chances à la coexistence de deux Etats, palestinien et israélien, égaux en sécurité, en droits et en devoirs.

Cet état des lieux conduirait de lui-même à un scénario apaisé et non partisan, de construction de la paix entre deux Etats également légitimes. Deux Etats auxquels on aura reconnu, dans un esprit de justice, les mêmes exigences de viabilité, de pérennité et de sécurité. Deux Etats et deux peuples pour lesquels ces droits et ces valeurs devront, dans le futur, être conjugués de la même façon, sans compromissions, sans faiblesse et sans ostracisme.

Nous pensons qu’il est vital que les Palestiniens et les Israéliens entendent enfin un propos et un discours qui relatent objectivement leurs responsabilités respectives dans la tragédie et la faillite actuelles. Il est essentiel pour les Palestiniens, comme pour le monde arabo-musulman, de comprendre que les termes de l’équation Palestine-Israël peuvent changer si les Nations unies prennent la responsabilité de dire à l’opinion internationale ce qu’ont été le prix et le poids de ces soixante années d’incompréhension, de stigmatisation, de vérités cachées ou instrumentalisées.

Cette souffrance doit être connue et reconnue. Le franchissement de ce seuil psychologique et historique peut changer la donne, être le premier pas sur le chemin de la dignité reconquise, conduire enfin à une paix qui ouvre la voie à la réconciliation. L’analyse froide et rationnelle de ces soixante années peut contribuer à exorciser les peurs en Israël tout en permettant au peuple israélien de retrouver ses valeurs fondatrices.

Notre proposition est que cet exercice de vérité «pédagogique et politique» sur l’histoire entrecroisée des deux peuples telle qu’ils l’ont ressentie, soit lancé par les Nations unies, sous la forme d’un «Livre Blanc», à entreprendre sans tarder, et rédigé par des personnalités israéliennes et palestiniennes incontestables.

Seuls les extrémistes et les fondamentalistes seront mis sur la défensive par cet exercice, car ils ne seront plus les champions d’une cause dont ils se sont emparés par défaut ou par effraction, en tirant profit d’une histoire non dite et trop longtemps ignorée par la communauté des nations.

Il faut espérer qu’une même approche pragmatique et réaliste pour changer la donne prévale aux Etats-Unis malgré les difficultés sur la base du rapport Baker-Hamilton. S’agissant des relations entre l’islam et le monde occidental, de l’Irak ou de la paix entre Palestiniens et Israéliens, tous les acteurs de cette crise ont besoin de reconnaître ce qu’ils ont vécu et enduré pour fonder leur relation future sur une base clarifiée et sereine. C’est le sens de ce «livre blanc».

Inventer la paix au Moyen-Orient

Hubert Vedrine

Inventer la paix au Moyen-Orient

S’agissant de l’Irak ou du dossier israélo-palestinien, chacun en convient désormais aux Etats-Unis, plus rien ne sera comme avant le rapport Baker-Hamilton. Même si les suites immédiates en sont incertaines, le constat est sans appel et il est remarquable que ce soient, une fois encore, les propres ressorts de la démocratie américaine qui aient fonctionné pour que l’opinion prenne la juste mesure de l’immensité de la tragédie irakienne, reprenne conscience de l’impérieuse centralité du drame palestinien et se voit proposer un changement de politique dans l’ensemble de la région.

Dans le même temps et en dépit des apparences, quelques signes encourageants sont apparus en Israël. S’ajoutant à la disponibilité avérée de l’opinion sur un Etat palestinien. En l’espace de quelques semaines, l’initiative arabe pour une paix globale dans la région, plus connue sous le nom d’initiative Abadallah, a été déclarée recevable par le Premier Ministre Ehoud Olmert et son Ministre israélien de la Défense, Amir Peretz. Cette inflexion dans la bonne direction n’a pas fait les grands titres dans la presse occidentale, mais elle n’en n’est pas moins significative d’un retour du politique là où les militaires ou les fondamentalistes des deux camps, avaient trop longtemps occupé le terrain et abusé les esprits les plus avisés. Significative également, la décision récente de la Ministre israélienne de l’éducation, qui a proposé de changer les manuels scolaires pour y faire figurer, au nom de la vérité historique, les frontières de la «ligne verte», c’est-à-dire d’avant l’occupation de 1967.

Composé de personnalités aussi différentes que le Président Khatami ou Mgr Tutu, le Groupe de Haut Niveau constitué sous l’égide de l’ONU par Kofi Annan sur la proposition de José Luis Zapatero et Recep Tayyip Erdogan, pour opposer à l’idée de «clash des civilisations» le projet d’une «alliance des civilisations», et dont nous avons fait partie, est arrivé à une conclusion identique: «Juste, digne et démocratique, un Etat palestinien viable est une nécessité et il sera le vrai garant de la pérennité et de la sécurité d’Israël». Dans son rapport final présenté le 18 décembre 2006 aux Nations unies, notre Groupe est convenu à cet égard que ses recommandations sur l’éducation, les religions ou les médias, aussi utiles soient-elles, finiraient aux oubliettes des archives onusiennes, si, par convenance ou consensus un peu lâche, nous refusions de nous prononcer sur les problèmes politiques, qui s’enracinent dans tous les drames qui ont un nom: conflit israélo-palestinien, Israël, Irak, Afghanistan ou Tchétchénie, avec, en prime pour le Moyen-Orient et pour l’Afrique du Nord, les séquelles morales, culturelles et idéologiques de la période coloniale. Les Occidentaux vont devoir se libérer d’une lecture sélective du passé et comprendre pourquoi, face à ces faits, un Marocain, par exemple, réagit avec la même passion et la même détermination qu’un Indonésien musulman qu’il ne connaît pas et qu’il ne rencontrera jamais. Cela est irrationnel et improbable pour un Occidental cartésien, mais cela est.

La paix à inventer entre la Palestine et Israël est au cœur du projet de l’alliance des civilisations. Elle impose que soit mis en chantier, sans plus attendre, un état des lieux objectif du Moyen Orient. Cet état des lieux procèderait de trois réalités désormais irréfragables:

– réalité du mouvement national palestinien, dont chacun a enfin compris que ni l’usure du temps, ni la force, ni l’argent, ne viendront à bout de sa détermination à bâtir un Etat libre, respecté et doté des moyens de la souveraineté;

– réalité du mouvement national juif, qui a trouvé son aboutissement en Israël, dans une partie de la Palestine, et dont on sait également que ni le terrorisme, ni les guerres, ni les pressions internationales, ne viendront à bout;

– volonté de tous et d’abord de la majorité des Arabes et des Palestiniens, du peuple israélien et des juifs dans le monde, d’accepter et de faire vivre une solution digne, juste et éthique, qui donne ses vraies chances à la coexistence de deux Etats, palestinien et israélien, égaux en sécurité, en droits et en devoirs.

Cet état des lieux conduirait de lui-même à un scénario apaisé et non partisan, de construction de la paix entre deux Etats également légitimes. Deux Etats auxquels on aura reconnu, dans un esprit de justice, les mêmes exigences de viabilité, de pérennité et de sécurité. Deux Etats et deux peuples pour lesquels ces droits et ces valeurs devront, dans le futur, être conjugués de la même façon, sans compromissions, sans faiblesse et sans ostracisme.

Nous pensons qu’il est vital que les Palestiniens et les Israéliens entendent enfin un propos et un discours qui relatent objectivement leurs responsabilités respectives dans la tragédie et la faillite actuelles. Il est essentiel pour les Palestiniens, comme pour le monde arabo-musulman, de comprendre que les termes de l’équation Palestine-Israël peuvent changer si les Nations unies prennent la responsabilité de dire à l’opinion internationale ce qu’ont été le prix et le poids de ces soixante années d’incompréhension, de stigmatisation, de vérités cachées ou instrumentalisées.

Cette souffrance doit être connue et reconnue. Le franchissement de ce seuil psychologique et historique peut changer la donne, être le premier pas sur le chemin de la dignité reconquise, conduire enfin à une paix qui ouvre la voie à la réconciliation. L’analyse froide et rationnelle de ces soixante années peut contribuer à exorciser les peurs en Israël tout en permettant au peuple israélien de retrouver ses valeurs fondatrices.

Notre proposition est que cet exercice de vérité «pédagogique et politique» sur l’histoire entrecroisée des deux peuples telle qu’ils l’ont ressentie, soit lancé par les Nations unies, sous la forme d’un «Livre Blanc», à entreprendre sans tarder, et rédigé par des personnalités israéliennes et palestiniennes incontestables.

Seuls les extrémistes et les fondamentalistes seront mis sur la défensive par cet exercice, car ils ne seront plus les champions d’une cause dont ils se sont emparés par défaut ou par effraction, en tirant profit d’une histoire non dite et trop longtemps ignorée par la communauté des nations.

Il faut espérer qu’une même approche pragmatique et réaliste pour changer la donne prévale aux Etats-Unis malgré les difficultés sur la base du rapport Baker-Hamilton. S’agissant des relations entre l’islam et le monde occidental, de l’Irak ou de la paix entre Palestiniens et Israéliens, tous les acteurs de cette crise ont besoin de reconnaître ce qu’ils ont vécu et enduré pour fonder leur relation future sur une base clarifiée et sereine. C’est le sens de ce «livre blanc».

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03/01/2007