Voilà un livre utile. Utile à coup sûr pour les diplomates et experts américains pour lesquels il a été écrit, dans une remarquable collection des Presses de l’United States Institute of Peace qui a l’ambition d’étudier de près le comportement dans la négociation de divers peuples importants pour les Etats-Unis. Et utile aussi pour les Français qui y puiseront une ample matière à réfléchir et à contester, à s’évaluer, et à se perfectionner. D’autant que ses séjours à l’ambassade des Etats-Unis à Paris, les fonctions sensibles qu’il y a occupées, sa bonne connaissance de nombreux diplomates et négociateurs français de haut rang, son travail actuel au sein de la JFK School of Government de la Harvard University, qualifiaient parfaitement l’auteur pour ce travail pénétrant sur le «process» de la négociation franco-américaine.
Ce livre, nous dit Charles Cogan, «repose sur l’idée qu’il existe bien un style diplomatique français reconnaissable entre tous», qui découle de l’histoire et de la culture françaises, du tempérament français – le goût du panache – et du mode de sélection et de formation des élites. On acceptera le postulat, même si il n’est pas tout à fait original et si il peut paraître, à certains égards, schématique. Ce style se caractériserait par la priorité donnée à l’abstraction et à l’approche déductive, le besoin constant d’un soubassement philosophique, le culte de la dissertation, une démarche rhétorique et argumentative, le souci de défendre inflexiblement la position de la France plutôt que de rechercher un compromis. Cette attitude s’opposerait au pragmatisme et au raisonnement inductif des Anglo-Saxons. A ces remarques intemporelles s’ajoute la conviction de l’auteur et de plusieurs experts américains interrogés pour cette enquête que les Français, regrettant la marche de l’histoire depuis un siècle et demi sont «fondamentalement habités par un ressentiment à l’égard de la puissance des Américains et, en même temps, par le désir d’être traités (par les Etats-Unis), comme une grande puissance alors qu’ils ne le sont plus». Kissinger affirme que Nixon et lui en étaient pleinement conscients et agissaient en conséquence. Charles Cogan tire ensuite de ces considérations quelques conseils pratiques à l’usage de ses compatriotes qui ont à traiter avec la France:
1) Montrer du respect à la «Grande Nation», à son histoire, à sa langue, à sa volonté de jouer un grand rôle,
2) Face à cet «underdog» devenu agressif, se montrer à l’écoute, faire preuve d’empathie, être constructif pour deux,
3) Face à la réticence française au compromis se montrer patient, établir des liens de confiance, notamment par des rencontres privées,
4) S’accommoder de l’amour des Français pour la logique et la dissertation tout en évitant que cela ne bloque tout,
5) Se défier de l’esprit combatif américain et par exemple ne pas trop réagir à l’anti-américanisme des Français, (d’autant qu’il y a aussi une francophobie américaine!),
6) Prendre en compte et reconnaître l’influence de la culture politique française.
Les négociateurs français, diplomates et autres, se reconnaîtront ils dans ce miroir que leur tend Charles Cogan ou le jugeront-ils trop déformant? Certains trouveront cette approche discutable et ces conseils aux Américains un peu vexants pour les Français placés sous le microscope. Par ailleurs, ce livre fait naître de nombreuses questions. Suffirait-il vraiment d’appliquer ces «trucs» pour l’emporter dans une négociation avec les Français? Ne peut on pas invoquer l’histoire ou la culture à propos de nombreux autres peuples? La formation des élites ne donne-t-elle pas des résultats comparables ailleurs? Quand on salue le pragmatisme des Anglo-saxons dans une négociation, est-ce à dire qu’ils sont moins acharnés que d’autres à atteindre leurs objectifs? On n’est sans doute pas porté à transiger si on est trop puissant, ou si à l’inverse si on est trop faible. Mais est-ce spécifiquement français? On pourra aussi estimer que l’anti-américanisme des négociateurs français est présenté ici comme plus fort qu’il n’est en réalité, mais c’est un préjugé fort répandu et d’ailleurs l’auteur nuance lui-même ses propos. Il n’entretient en aucune façon cette «méfiance cordiale réciproque» que l’histoire a tissée entre les deux pays.
Au total, même un peu stéréotypée, la thèse de Charles Cogan comporte à mon avis une bonne part de vrai. Mais, n’est-elle pas en partie datée? L’auteur devance cette critique en consacrant un chapitre aux «changements d’attitude» récents des négociateurs français. Selon lui, arrive aux postes de responsabilité une nouvelle génération, toujours éprise de logique, (il semblerait que cela reste un handicap!) mais plus ouverte sur le monde, plus à l’aise en anglais, avec une plus grande expérience internationale, au total plus flexible et plus apte au compromis. A l’image d’une France qui s’adapte mieux à la mondialisation qu’elle ne l’admet elle-même.
Certains des comportements français dans la négociation tels que Charles Cogan les décrit constituent incontestablement dans la mesure où ils sont vrais, des handicaps. J’ai d’ailleurs essayé comme ministre de ne pas les reprendre à mon compte. Un effort sur nous même pour les modifier est nécessaire. Mais une fois cette mutation menée à bien quel est notre objectif dans les négociations? Les Français d’aujourd’hui, et donc leurs dirigeants et leurs négociateurs, ont du mal à arbitrer, ou plutôt à hiérarchiser, entre défense des intérêts nationaux, préservation de l’influence française dans le monde, poursuite de l’intégration européenne, propagation universelle des valeurs démocratiques, dont les implications se contredisent. Du coup ils ressemblent de moins en moins – plus assez? – au Français archétypique dépeint par l’auteur. Au point parfois de manquer de suite dans les idées, ou de se contredire, quand les négociations durent longtemps, comme c’est le cas depuis quinze ans au sein de l’Union européenne. Encore que la rigidité et l’incertitude peuvent se cumuler … Entre la continuité dans la ligne d’un héritage assumé mais modernisé et la flexibilité nouvelle le dosage est-il bon? La question est ouverte, le débat est nécessaire. Ce livre l’alimentera.
J’ajouterai pour finir aux vifs encouragements que je prodigue à lire ce livre stimulant, le souhait suivant: que les Presses de l’United States Institute of Peace complètent leur collection par un nouveau titre «Comment négocier avec les Etats Unis» (je propose un titre neutre, je ne dis pas: Comment négocier avec une hyperpuissance?). Comment négocier avec une puissance aussi dominante, alliée et amie (pour nous) et aussi sincèrement convaincue de la justesse de ses thèses et de son bon droit, et de la nécessité de son leadership? Comment s’opposer parfois à elle, quand il n’y a pas moyen de faire autrement, tout en restant son allié, voire son ami? Dans les conseils qu’il donne à ses lecteurs américains Charles Cogan fournit déjà quelques clefs et on pourrait retourner certains de ses passages comme un gant, à l’usage des non-américains. Je suggère que soient invités à donner leur point de vue un Français, mais aussi un Britannique, un Allemand, un Commissaire européen, un Russe, un Chinois, un Japonais, un Israélien, un Arabe, un Secrétaire Général d’institution multilatérale, etc .. Cela serait utile au monde, .. et aux Américains eux mêmes.
Voilà un livre utile. Utile à coup sûr pour les diplomates et experts américains pour lesquels il a été écrit, dans une remarquable collection des Presses de l’United States Institute of Peace qui a l’ambition d’étudier de près le comportement dans la négociation de divers peuples importants pour les Etats-Unis. Et utile aussi pour les Français qui y puiseront une ample matière à réfléchir et à contester, à s’évaluer, et à se perfectionner. D’autant que ses séjours à l’ambassade des Etats-Unis à Paris, les fonctions sensibles qu’il y a occupées, sa bonne connaissance de nombreux diplomates et négociateurs français de haut rang, son travail actuel au sein de la JFK School of Government de la Harvard University, qualifiaient parfaitement l’auteur pour ce travail pénétrant sur le «process» de la négociation franco-américaine.
Ce livre, nous dit Charles Cogan, «repose sur l’idée qu’il existe bien un style diplomatique français reconnaissable entre tous», qui découle de l’histoire et de la culture françaises, du tempérament français – le goût du panache – et du mode de sélection et de formation des élites. On acceptera le postulat, même si il n’est pas tout à fait original et si il peut paraître, à certains égards, schématique. Ce style se caractériserait par la priorité donnée à l’abstraction et à l’approche déductive, le besoin constant d’un soubassement philosophique, le culte de la dissertation, une démarche rhétorique et argumentative, le souci de défendre inflexiblement la position de la France plutôt que de rechercher un compromis. Cette attitude s’opposerait au pragmatisme et au raisonnement inductif des Anglo-Saxons. A ces remarques intemporelles s’ajoute la conviction de l’auteur et de plusieurs experts américains interrogés pour cette enquête que les Français, regrettant la marche de l’histoire depuis un siècle et demi sont «fondamentalement habités par un ressentiment à l’égard de la puissance des Américains et, en même temps, par le désir d’être traités (par les Etats-Unis), comme une grande puissance alors qu’ils ne le sont plus». Kissinger affirme que Nixon et lui en étaient pleinement conscients et agissaient en conséquence. Charles Cogan tire ensuite de ces considérations quelques conseils pratiques à l’usage de ses compatriotes qui ont à traiter avec la France:
1) Montrer du respect à la «Grande Nation», à son histoire, à sa langue, à sa volonté de jouer un grand rôle,
2) Face à cet «underdog» devenu agressif, se montrer à l’écoute, faire preuve d’empathie, être constructif pour deux,
3) Face à la réticence française au compromis se montrer patient, établir des liens de confiance, notamment par des rencontres privées,
4) S’accommoder de l’amour des Français pour la logique et la dissertation tout en évitant que cela ne bloque tout,
5) Se défier de l’esprit combatif américain et par exemple ne pas trop réagir à l’anti-américanisme des Français, (d’autant qu’il y a aussi une francophobie américaine!),
6) Prendre en compte et reconnaître l’influence de la culture politique française.
Les négociateurs français, diplomates et autres, se reconnaîtront ils dans ce miroir que leur tend Charles Cogan ou le jugeront-ils trop déformant? Certains trouveront cette approche discutable et ces conseils aux Américains un peu vexants pour les Français placés sous le microscope. Par ailleurs, ce livre fait naître de nombreuses questions. Suffirait-il vraiment d’appliquer ces «trucs» pour l’emporter dans une négociation avec les Français? Ne peut on pas invoquer l’histoire ou la culture à propos de nombreux autres peuples? La formation des élites ne donne-t-elle pas des résultats comparables ailleurs? Quand on salue le pragmatisme des Anglo-saxons dans une négociation, est-ce à dire qu’ils sont moins acharnés que d’autres à atteindre leurs objectifs? On n’est sans doute pas porté à transiger si on est trop puissant, ou si à l’inverse si on est trop faible. Mais est-ce spécifiquement français? On pourra aussi estimer que l’anti-américanisme des négociateurs français est présenté ici comme plus fort qu’il n’est en réalité, mais c’est un préjugé fort répandu et d’ailleurs l’auteur nuance lui-même ses propos. Il n’entretient en aucune façon cette «méfiance cordiale réciproque» que l’histoire a tissée entre les deux pays.
Au total, même un peu stéréotypée, la thèse de Charles Cogan comporte à mon avis une bonne part de vrai. Mais, n’est-elle pas en partie datée? L’auteur devance cette critique en consacrant un chapitre aux «changements d’attitude» récents des négociateurs français. Selon lui, arrive aux postes de responsabilité une nouvelle génération, toujours éprise de logique, (il semblerait que cela reste un handicap!) mais plus ouverte sur le monde, plus à l’aise en anglais, avec une plus grande expérience internationale, au total plus flexible et plus apte au compromis. A l’image d’une France qui s’adapte mieux à la mondialisation qu’elle ne l’admet elle-même.
Certains des comportements français dans la négociation tels que Charles Cogan les décrit constituent incontestablement dans la mesure où ils sont vrais, des handicaps. J’ai d’ailleurs essayé comme ministre de ne pas les reprendre à mon compte. Un effort sur nous même pour les modifier est nécessaire. Mais une fois cette mutation menée à bien quel est notre objectif dans les négociations? Les Français d’aujourd’hui, et donc leurs dirigeants et leurs négociateurs, ont du mal à arbitrer, ou plutôt à hiérarchiser, entre défense des intérêts nationaux, préservation de l’influence française dans le monde, poursuite de l’intégration européenne, propagation universelle des valeurs démocratiques, dont les implications se contredisent. Du coup ils ressemblent de moins en moins – plus assez? – au Français archétypique dépeint par l’auteur. Au point parfois de manquer de suite dans les idées, ou de se contredire, quand les négociations durent longtemps, comme c’est le cas depuis quinze ans au sein de l’Union européenne. Encore que la rigidité et l’incertitude peuvent se cumuler … Entre la continuité dans la ligne d’un héritage assumé mais modernisé et la flexibilité nouvelle le dosage est-il bon? La question est ouverte, le débat est nécessaire. Ce livre l’alimentera.
J’ajouterai pour finir aux vifs encouragements que je prodigue à lire ce livre stimulant, le souhait suivant: que les Presses de l’United States Institute of Peace complètent leur collection par un nouveau titre «Comment négocier avec les Etats Unis» (je propose un titre neutre, je ne dis pas: Comment négocier avec une hyperpuissance?). Comment négocier avec une puissance aussi dominante, alliée et amie (pour nous) et aussi sincèrement convaincue de la justesse de ses thèses et de son bon droit, et de la nécessité de son leadership? Comment s’opposer parfois à elle, quand il n’y a pas moyen de faire autrement, tout en restant son allié, voire son ami? Dans les conseils qu’il donne à ses lecteurs américains Charles Cogan fournit déjà quelques clefs et on pourrait retourner certains de ses passages comme un gant, à l’usage des non-américains. Je suggère que soient invités à donner leur point de vue un Français, mais aussi un Britannique, un Allemand, un Commissaire européen, un Russe, un Chinois, un Japonais, un Israélien, un Arabe, un Secrétaire Général d’institution multilatérale, etc .. Cela serait utile au monde, .. et aux Américains eux mêmes.