Interview d’Hubert Védrine: «Dès 1985, tout était joué».

L’Histoire
Dossier

Pour Hubert Védrine, l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev a signé l’arrêt de mort des démocraties populaires.

Pendant son premier septennat et au début du deuxième, la politique de François Mitterrand envers l’Allemagne était comprise et approuvée. Et cela jusque dans les premiers mois de l’année 1989. Pour Mitterrand, la volonté des Allemands de se réunifier était légitime, mais il fallait que cette unité se fasse démocratiquement, avec la tenue d’élections en Allemagne de l’Est et à l’Ouest; pacifiquement, et sans affaiblir l’Europe, au contraire.
Or, le 3 novembre 1989, lors d’une conférence de presse, à Bonn, le président a précisé en répondant à une question qu’il faudrait confirmer la frontière Oder-Neisse (la frontière entre l’Allemagne de l’Est et la Pologne depuis 1945) avant la réunification. Cette phrase a provoqué la fureur des associations allemandes regroupant les familles expulsées de ces régions après la guerre. Celles-ci avaient beaucoup d’influence au sein de la droite allemande et dans la presse. Dès lors, les critiques ont commencé à pleuvoir dans les journaux allemands. Les journaux français en ont profité, pour des raisons de politique intérieure: «Mitterrand n’aurait rien vu venir», «il serait nostalgique de l’ordre ancien».
Rien de tout cela ne tient la route. J’étais aux côtés de Mitterrand en octobre 1981, quand il a dit au chancelier allemand de l’époque Helmut Schmidt qu’il assisterait de son vivant à la réunification allemande. Depuis, les historiens ont fait leur travail: il n’y a plus grand monde pour reprocher à Mitterrand d’avoir cherché à entraver le processus. Si cette légende a persisté pendant des années, c’est sans doute parce que le président ne s’est jamais expliqué sur sa politique. C’est une erreur de communication dont il a tiré les leçons au moment de la guerre du Golfe en 1991.
Face à la réunification allemande, il a cherché à ce que cela se passe bien.
Reste que l’homme clé de toute cette affaire, c’est Gorbatchev. Sans lui, la réunification allemande n’aurait pas eu lieu avant longtemps. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1985, il voulait sauver le communisme en Russie en le réformant. Il jugeait injustifiable d’employer la répression pour garder l’Europe de l’Est sous tutelle, et inutile.
Autrement dit, dès 1985, tout était quasiment joué: puisque Gorbatchev ne voulait pas employer la force pour maintenir les régimes à l’Est, ceux-ci étaient condamnés. Face à cette politique, les Occidentaux furent un peu désarçonnés. Dans un premier temps, le chancelier Kohl n’osait pas croire à la réunification. Gorbatchev était-il vraiment si différent des anciens dirigeants russes? Même son plan en 10 points rendu public en novembre 1989 annonçait que la réunification était devenue possible, mais pas immédiatement.
Margaret Thatcher, elle, était trop inquiète de la perspective de la réunification allemande. Quant au président américain George Bush, il était très favorable à la réunification, à condition qu’elle soit clairement perçue comme une défaite de l’URSS et qu’elle renforce l’OTAN.
Ces bouleversements des années 1989-1990 que tout le monde redoutait depuis des années – les spécialistes craignaient une guerre en Europe – ont été gérés de façon remarquable. La réunification allemande puis la chute de l’empire soviétique ont eu lieu sans guerre ni violence. Cela s’explique beaucoup par la présence de Gorbatchev à la tête de l’URSS, à une époque où l’empire soviétique pouvait encore frapper et faire mal. Lorsqu’à l’été 1989 des milliers d’Allemands de l’Est ont fui la RDA via la Hongrie, les dirigeants hongrois se sont tournés vers lui pour savoir s’ils devaient réagir, Gorbatchev leur a dit de laisser faire. La réunification n’est pas le résultat d’une politique géniale de Kohl, qui en fut bénéficiaire. Elle est d’abord la conséquence de la politique de Gorbatchev qui a pris acte de la faillite de l’URSS dans cette région.
Longtemps, pour expliquer la chute du Mur, les médias se sont focalisés sur la mobilisation courageuse des Allemands de l’Est. C’est vrai Mais il était juste qu’à l’occasion du vingtième anniversaire, la figure du président soviétique revienne au premier plan.
(Propos recueillis par Géraldine Soudri.)

Interview d’Hubert Védrine: «Dès 1985, tout était joué».

Hubert Vedrine

Interview d’Hubert Védrine: «Dès 1985, tout était joué».

L’Histoire
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Pour Hubert Védrine, l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev a signé l’arrêt de mort des démocraties populaires.

Pendant son premier septennat et au début du deuxième, la politique de François Mitterrand envers l’Allemagne était comprise et approuvée. Et cela jusque dans les premiers mois de l’année 1989. Pour Mitterrand, la volonté des Allemands de se réunifier était légitime, mais il fallait que cette unité se fasse démocratiquement, avec la tenue d’élections en Allemagne de l’Est et à l’Ouest; pacifiquement, et sans affaiblir l’Europe, au contraire.
Or, le 3 novembre 1989, lors d’une conférence de presse, à Bonn, le président a précisé en répondant à une question qu’il faudrait confirmer la frontière Oder-Neisse (la frontière entre l’Allemagne de l’Est et la Pologne depuis 1945) avant la réunification. Cette phrase a provoqué la fureur des associations allemandes regroupant les familles expulsées de ces régions après la guerre. Celles-ci avaient beaucoup d’influence au sein de la droite allemande et dans la presse. Dès lors, les critiques ont commencé à pleuvoir dans les journaux allemands. Les journaux français en ont profité, pour des raisons de politique intérieure: «Mitterrand n’aurait rien vu venir», «il serait nostalgique de l’ordre ancien».
Rien de tout cela ne tient la route. J’étais aux côtés de Mitterrand en octobre 1981, quand il a dit au chancelier allemand de l’époque Helmut Schmidt qu’il assisterait de son vivant à la réunification allemande. Depuis, les historiens ont fait leur travail: il n’y a plus grand monde pour reprocher à Mitterrand d’avoir cherché à entraver le processus. Si cette légende a persisté pendant des années, c’est sans doute parce que le président ne s’est jamais expliqué sur sa politique. C’est une erreur de communication dont il a tiré les leçons au moment de la guerre du Golfe en 1991.
Face à la réunification allemande, il a cherché à ce que cela se passe bien.
Reste que l’homme clé de toute cette affaire, c’est Gorbatchev. Sans lui, la réunification allemande n’aurait pas eu lieu avant longtemps. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1985, il voulait sauver le communisme en Russie en le réformant. Il jugeait injustifiable d’employer la répression pour garder l’Europe de l’Est sous tutelle, et inutile.
Autrement dit, dès 1985, tout était quasiment joué: puisque Gorbatchev ne voulait pas employer la force pour maintenir les régimes à l’Est, ceux-ci étaient condamnés. Face à cette politique, les Occidentaux furent un peu désarçonnés. Dans un premier temps, le chancelier Kohl n’osait pas croire à la réunification. Gorbatchev était-il vraiment si différent des anciens dirigeants russes? Même son plan en 10 points rendu public en novembre 1989 annonçait que la réunification était devenue possible, mais pas immédiatement.
Margaret Thatcher, elle, était trop inquiète de la perspective de la réunification allemande. Quant au président américain George Bush, il était très favorable à la réunification, à condition qu’elle soit clairement perçue comme une défaite de l’URSS et qu’elle renforce l’OTAN.
Ces bouleversements des années 1989-1990 que tout le monde redoutait depuis des années – les spécialistes craignaient une guerre en Europe – ont été gérés de façon remarquable. La réunification allemande puis la chute de l’empire soviétique ont eu lieu sans guerre ni violence. Cela s’explique beaucoup par la présence de Gorbatchev à la tête de l’URSS, à une époque où l’empire soviétique pouvait encore frapper et faire mal. Lorsqu’à l’été 1989 des milliers d’Allemands de l’Est ont fui la RDA via la Hongrie, les dirigeants hongrois se sont tournés vers lui pour savoir s’ils devaient réagir, Gorbatchev leur a dit de laisser faire. La réunification n’est pas le résultat d’une politique géniale de Kohl, qui en fut bénéficiaire. Elle est d’abord la conséquence de la politique de Gorbatchev qui a pris acte de la faillite de l’URSS dans cette région.
Longtemps, pour expliquer la chute du Mur, les médias se sont focalisés sur la mobilisation courageuse des Allemands de l’Est. C’est vrai Mais il était juste qu’à l’occasion du vingtième anniversaire, la figure du président soviétique revienne au premier plan.
(Propos recueillis par Géraldine Soudri.)

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29/09/2009