« Il devenait déshonorant de ne rien faire » pour la Palestine

L’ancien ministre des affaires étrangères salue la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître l’État palestinien

Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 24 juillet, que la France allait reconnaître l’État de Palestine en septembre, lors de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), à New York. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères sous François Mitterrand, qui fut aussi le conseiller diplomatique du président socialiste, analyse la portée de cette décision.

La bande de Gaza est détruite, la Cisjordanie minée par les colonies et le pouvoir israélien a tourné la page de la solution à deux États. La décision du président de la République n’arrive-t-elle pas trop tard ?

Compte tenu de la situation abominable à Gaza, et de l’absence de perspectives, il devenait déshonorant de ne rien faire. On ne peut plus s’en tenir à des lamentations face à la famine comme arme de guerre. Cette reconnaissance de l’État palestinien aura une grande dimension morale, mais aussi politique.

Personne ne découvre la position de Benyamin Nétanyahou : il a toujours dit qu’avec lui il n’y aurait jamais d’État palestinien. Et ses alliés d’extrême droite, Bezalel Smotrich [ministre des finances] et Itamar Ben Gvir [ministre de la sécurité nationale], raisonnent comme les Américains dans les guerres indiennes du XIXᵉ siècle. À ceux qui s’interrogent sur l’utilité de cette démarche, je pose la question : en quoi aurait-il été utile de ne rien faire ?

Emmanuel Macron avait initialement posé des conditions à la reconnaissance de l’État de Palestine, comme celle d’obtenir des pays arabes une normalisation de leurs relations avec Israël. Or, ces conditions ne sont pas remplies…

Il serait préférable qu’il y ait une coordination entre la France et l’Arabie saoudite. Les dirigeants arabes souhaiteraient faire un pas vers Israël. Mais le faire maintenant est impossible à assumer devant leurs populations, révulsées par ce qui se passe à Gaza. Mais, d’ici à septembre, Paris réussira peut-être à mettre Riyad et d’autres capitales de la région dans l’initiative pour que cette décision entraîne quelque chose.

Que faudrait-il faire ?
Éviter que cette reconnaissance soit perçue comme opposée à une relance des accords d’Abraham, sinon elle sera sans suite. Par ces accords [de paix conclus en 2020 entre Israël et les Émirats arabes unis et Israël et Bahreïn], Benyamin Nétanyahou avait cru enterrer définitivement la question palestinienne. Or elle est à nouveau centrale. Si Donald Trump veut les relancer, Riyad ne pourra suivre que si sa démarche est compensée par une initiative politique qui redonne un peu d’espérance aux Palestiniens.

Palestiniens. Une solution innovante pourrait être de faire d’une Autorité palestinienne radicalement nouvelle, dotée de gros moyens financiers, et archisécu­risée contre le Hamas, un partenaire de ces accords.

La France plaide pour le désarmement du Hamas. Est-ce réaliste à moyen terme ?

Tous les Israéliens le demandent, même les moins extrémistes. Mais comment y parvenir ? Après 60 000 morts dans la bande de Gaza et des milliers de kilomètres de tunnels détruits, l’armée de l’État hébreu n’est pas complètement venue à bout des groupes armés du Hamas ! Comment voulez-vous qu’une Autorité palestinienne à bout de souffle, systématiquement affaiblie par le gouvernement israélien, y arrive ? La seule chose susceptible de neutraliser le Hamas, ce serait une Autorité palestinienne radicalement nouvelle et relégitimée avec des leaders qu’il faudra peut-être aller chercher à l’extérieur ou parmi les Palestiniens prisonniers en Israël.

Reconnaître la Palestine, sans reconnaître ses frontières, sa capitale, ni prendre de sanctions contre les colons, n’est-ce pas purement symbolique ?

Ce n’est pas à la France ni à un autre pays étranger de fixer les frontières d’un État. Cela devra être le fruit de discussions entre les deux parties. Quant aux sanctions, elles seraient pleinement justifiées contre des gens comme Smotrich et Ben Gvir. Si des États avaient le courage de les sanctionner, de telles mesures ne seraient utiles que si elles ne contribuaient pas à rassembler la majorité des Israéliens derrière eux !

Israël et les États-Unis qualifient le geste d’Emmanuel Macron de récompense faite au Hamas. La France risque-t-elle d’être isolée sur la scène internationale ?

C’est l’Israël de Benyamin Nétanyahou qui, même soutenu par Donald Trump, est de plus en plus isolé, pas la France. Ceux qui, dans les pays occidentaux, auront fait preuve d’un consentement aveugle ou de lâcheté à son égard, ce qui n’a rien à voir avec le soutien à l’existence et à la sécurité d’Israël, auront du mal à s’en remettre. Quant à prétendre que reconnaître la Palestine, ce serait récompenser le terrorisme, c’est l’argument mensonger numéro un. C’est comme si on disait que l’indépendance de l’Algérie avait été une récompense pour les terroristes du FLN. L’origine du terrorisme, et du drame du Proche-Orient en général, ce n’est pas l’État palestinien, c’est notamment l’absence d’État palestinien.

La paix au Proche-Orient est-elle possible tant que le gouvernement israélien actuel, qui défend le “Grand Israël”, sera en place ?

Sans doute pas, à moins que, voulant entrer dans l’histoire, Benyamin Nétanyahou change de coalition et de politique. L’histoire n’est pas finie. Les grands Israéliens qui s’étaient résignés à la solution à deux États n’étaient pas des idéalistes éthérés. La reconnaissance combinée à la mise sur pied d’une nouvelle Autorité palestinienne mérite d’être tentée.

Propos recueillis par Benjamin Barthe et Claire Gatinois

« Il devenait déshonorant de ne rien faire » pour la Palestine

Hubert Vedrine

L’ancien ministre des affaires étrangères salue la décision d’Emmanuel Macron de reconnaître l’État palestinien

Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 24 juillet, que la France allait reconnaître l’État de Palestine en septembre, lors de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), à New York. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères sous François Mitterrand, qui fut aussi le conseiller diplomatique du président socialiste, analyse la portée de cette décision.

La bande de Gaza est détruite, la Cisjordanie minée par les colonies et le pouvoir israélien a tourné la page de la solution à deux États. La décision du président de la République n’arrive-t-elle pas trop tard ?

Compte tenu de la situation abominable à Gaza, et de l’absence de perspectives, il devenait déshonorant de ne rien faire. On ne peut plus s’en tenir à des lamentations face à la famine comme arme de guerre. Cette reconnaissance de l’État palestinien aura une grande dimension morale, mais aussi politique.

Personne ne découvre la position de Benyamin Nétanyahou : il a toujours dit qu’avec lui il n’y aurait jamais d’État palestinien. Et ses alliés d’extrême droite, Bezalel Smotrich [ministre des finances] et Itamar Ben Gvir [ministre de la sécurité nationale], raisonnent comme les Américains dans les guerres indiennes du XIXᵉ siècle. À ceux qui s’interrogent sur l’utilité de cette démarche, je pose la question : en quoi aurait-il été utile de ne rien faire ?

Emmanuel Macron avait initialement posé des conditions à la reconnaissance de l’État de Palestine, comme celle d’obtenir des pays arabes une normalisation de leurs relations avec Israël. Or, ces conditions ne sont pas remplies…

Il serait préférable qu’il y ait une coordination entre la France et l’Arabie saoudite. Les dirigeants arabes souhaiteraient faire un pas vers Israël. Mais le faire maintenant est impossible à assumer devant leurs populations, révulsées par ce qui se passe à Gaza. Mais, d’ici à septembre, Paris réussira peut-être à mettre Riyad et d’autres capitales de la région dans l’initiative pour que cette décision entraîne quelque chose.

Que faudrait-il faire ?
Éviter que cette reconnaissance soit perçue comme opposée à une relance des accords d’Abraham, sinon elle sera sans suite. Par ces accords [de paix conclus en 2020 entre Israël et les Émirats arabes unis et Israël et Bahreïn], Benyamin Nétanyahou avait cru enterrer définitivement la question palestinienne. Or elle est à nouveau centrale. Si Donald Trump veut les relancer, Riyad ne pourra suivre que si sa démarche est compensée par une initiative politique qui redonne un peu d’espérance aux Palestiniens.

Palestiniens. Une solution innovante pourrait être de faire d’une Autorité palestinienne radicalement nouvelle, dotée de gros moyens financiers, et archisécu­risée contre le Hamas, un partenaire de ces accords.

La France plaide pour le désarmement du Hamas. Est-ce réaliste à moyen terme ?

Tous les Israéliens le demandent, même les moins extrémistes. Mais comment y parvenir ? Après 60 000 morts dans la bande de Gaza et des milliers de kilomètres de tunnels détruits, l’armée de l’État hébreu n’est pas complètement venue à bout des groupes armés du Hamas ! Comment voulez-vous qu’une Autorité palestinienne à bout de souffle, systématiquement affaiblie par le gouvernement israélien, y arrive ? La seule chose susceptible de neutraliser le Hamas, ce serait une Autorité palestinienne radicalement nouvelle et relégitimée avec des leaders qu’il faudra peut-être aller chercher à l’extérieur ou parmi les Palestiniens prisonniers en Israël.

Reconnaître la Palestine, sans reconnaître ses frontières, sa capitale, ni prendre de sanctions contre les colons, n’est-ce pas purement symbolique ?

Ce n’est pas à la France ni à un autre pays étranger de fixer les frontières d’un État. Cela devra être le fruit de discussions entre les deux parties. Quant aux sanctions, elles seraient pleinement justifiées contre des gens comme Smotrich et Ben Gvir. Si des États avaient le courage de les sanctionner, de telles mesures ne seraient utiles que si elles ne contribuaient pas à rassembler la majorité des Israéliens derrière eux !

Israël et les États-Unis qualifient le geste d’Emmanuel Macron de récompense faite au Hamas. La France risque-t-elle d’être isolée sur la scène internationale ?

C’est l’Israël de Benyamin Nétanyahou qui, même soutenu par Donald Trump, est de plus en plus isolé, pas la France. Ceux qui, dans les pays occidentaux, auront fait preuve d’un consentement aveugle ou de lâcheté à son égard, ce qui n’a rien à voir avec le soutien à l’existence et à la sécurité d’Israël, auront du mal à s’en remettre. Quant à prétendre que reconnaître la Palestine, ce serait récompenser le terrorisme, c’est l’argument mensonger numéro un. C’est comme si on disait que l’indépendance de l’Algérie avait été une récompense pour les terroristes du FLN. L’origine du terrorisme, et du drame du Proche-Orient en général, ce n’est pas l’État palestinien, c’est notamment l’absence d’État palestinien.

La paix au Proche-Orient est-elle possible tant que le gouvernement israélien actuel, qui défend le “Grand Israël”, sera en place ?

Sans doute pas, à moins que, voulant entrer dans l’histoire, Benyamin Nétanyahou change de coalition et de politique. L’histoire n’est pas finie. Les grands Israéliens qui s’étaient résignés à la solution à deux États n’étaient pas des idéalistes éthérés. La reconnaissance combinée à la mise sur pied d’une nouvelle Autorité palestinienne mérite d’être tentée.

Propos recueillis par Benjamin Barthe et Claire Gatinois

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25/08/2025