Hubert Védrine et l’Amérique de Barack Obama

Hubert Védrine et l’Amérique de Barack Obama

La démocratisation est-elle «un objectif légitime» des politiques occidentales? Cela fait onze ans que Madeleine Albright et Hubert Védrine débattent sur la question. L’ex-secrétaire d’Etat américaine entend encore la voix de son homologue français, interrompant le ronron des conférences téléphoniques sur le Kosovo. «Paris demande la parole!»Aujourd’hui, les points de vue se sont rapprochés. «Madeleine» est moins flamboyante. La faute à Georges Bush, dit-elle, qui a donné «une mauvaise réputation à la démocratie». Hubert Védrine, lui, craint une coalition du monde multipolaire contre «nous, les Occidentaux», mais il voit les Etats-Unis en posture favorable pour continuer à dominer, ce dont il ne semble pas se formaliser.
Invité à Washington par la Brookings Institution et l’ambassade de France à l’occasion de la parution en anglais de son livre Continuer l’Histoire (Fayard, 2007) – sous un titre très «Star Wars»: History Strikes Back («L’Histoire contre-attaque») –, M.Védrine a discuté avec son ancienne homologue et livré ses réflexions sur l’état du monde à quelques jours de l’investiture, le 20 janvier, de Barack Obama. M. Védrine continue à se méfier des idéalistes. Plus que les «vieilles idées des Lumières», il pense que c’est peut-être la défense de l’environnement qui deviendra la valeur universelle de demain. Pour lui, les Occidentaux ont péché par arrogance depuis la chute de l’URSS: «On se prenait pour les maîtres du monde sur l’Olympe. On décidait de qui on sanctionne, qui on bombarde…»
Aujourd’hui, pour l’ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, les maîtres «ne contrôlent plus vraiment le système».Il suffit de voir «l’absence impressionnante de résultats» de la diplomatie occidentale: «On n’a même pas réussi à convaincre les Birmans» de laisser entrer l’aide humanitaire. Pour Hubert Védrine, les Occidentaux tâtonnent, s’emmêlent dans leurs priorités. «On fait pression sur un pays dont on va avoir besoin la semaine suivante pour faire pression sur un autre», souligne-t-il.
Hubert Védrine plaide pour un retour au réalisme: «On ne peut plus continuer le prosélytisme occidental comme si rien ne s’était passé.» Pour lui, le monde n’est pas encore «post-américain», selon l’expression de l’éditorialiste Fareed Zakaria, mais le «monopole occidental sur l’Histoire» est fini. Pour l’ancien ministre, «un jour on se dira peut-être que les droits-de-l’hommistes n’auront pas eu plus d’influence sur la Chine que les missionnaires catholiques».
Le bilan «désastreux» de la politique de George Bush donne, selon Hubert Védrine, à Barack Obama une réelle marge de manœuvre. «Tout le monde a confiance en lui, alors que personne ne sait ce qu’il pense ou ce qu’il va faire», a-t-il constaté.
Du simple fait d’avoir décrété qu’il dialoguerait avec les dictateurs, il incarne la rupture avec le dogmatisme précédent. Déjà, par le seul fait de cette proposition, Barack Obama a entraîné une discussion au sein du pouvoir iranien.
Sur le dossier israélo-palestinien, M. Védrine pense aussi que les Etats-Unis ont les moyens de «retourner la situation». L’ancien ministre des affaires étrangères l’a dit à ses interlocuteurs: «Imaginez le rayonnement qu’aurait un président américain qui règlerait le problème palestinien. L’Amérique a cette carte. Comment peut-elle s’en priver?» Reste la question de fond: «Devons-nous traiter avec le reste du monde ou devons-nous le changer?» Barack Obama n’a pas encore livré le fond de sa pensée. Pour l’instant, sa priorité est de réparer.

Corine LESNES

Hubert Védrine et l’Amérique de Barack Obama

Hubert Vedrine

Hubert Védrine et l’Amérique de Barack Obama

Hubert Védrine et l’Amérique de Barack Obama

La démocratisation est-elle «un objectif légitime» des politiques occidentales? Cela fait onze ans que Madeleine Albright et Hubert Védrine débattent sur la question. L’ex-secrétaire d’Etat américaine entend encore la voix de son homologue français, interrompant le ronron des conférences téléphoniques sur le Kosovo. «Paris demande la parole!»Aujourd’hui, les points de vue se sont rapprochés. «Madeleine» est moins flamboyante. La faute à Georges Bush, dit-elle, qui a donné «une mauvaise réputation à la démocratie». Hubert Védrine, lui, craint une coalition du monde multipolaire contre «nous, les Occidentaux», mais il voit les Etats-Unis en posture favorable pour continuer à dominer, ce dont il ne semble pas se formaliser.
Invité à Washington par la Brookings Institution et l’ambassade de France à l’occasion de la parution en anglais de son livre Continuer l’Histoire (Fayard, 2007) – sous un titre très «Star Wars»: History Strikes Back («L’Histoire contre-attaque») –, M.Védrine a discuté avec son ancienne homologue et livré ses réflexions sur l’état du monde à quelques jours de l’investiture, le 20 janvier, de Barack Obama. M. Védrine continue à se méfier des idéalistes. Plus que les «vieilles idées des Lumières», il pense que c’est peut-être la défense de l’environnement qui deviendra la valeur universelle de demain. Pour lui, les Occidentaux ont péché par arrogance depuis la chute de l’URSS: «On se prenait pour les maîtres du monde sur l’Olympe. On décidait de qui on sanctionne, qui on bombarde…»
Aujourd’hui, pour l’ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, de 1997 à 2002, les maîtres «ne contrôlent plus vraiment le système».Il suffit de voir «l’absence impressionnante de résultats» de la diplomatie occidentale: «On n’a même pas réussi à convaincre les Birmans» de laisser entrer l’aide humanitaire. Pour Hubert Védrine, les Occidentaux tâtonnent, s’emmêlent dans leurs priorités. «On fait pression sur un pays dont on va avoir besoin la semaine suivante pour faire pression sur un autre», souligne-t-il.
Hubert Védrine plaide pour un retour au réalisme: «On ne peut plus continuer le prosélytisme occidental comme si rien ne s’était passé.» Pour lui, le monde n’est pas encore «post-américain», selon l’expression de l’éditorialiste Fareed Zakaria, mais le «monopole occidental sur l’Histoire» est fini. Pour l’ancien ministre, «un jour on se dira peut-être que les droits-de-l’hommistes n’auront pas eu plus d’influence sur la Chine que les missionnaires catholiques».
Le bilan «désastreux» de la politique de George Bush donne, selon Hubert Védrine, à Barack Obama une réelle marge de manœuvre. «Tout le monde a confiance en lui, alors que personne ne sait ce qu’il pense ou ce qu’il va faire», a-t-il constaté.
Du simple fait d’avoir décrété qu’il dialoguerait avec les dictateurs, il incarne la rupture avec le dogmatisme précédent. Déjà, par le seul fait de cette proposition, Barack Obama a entraîné une discussion au sein du pouvoir iranien.
Sur le dossier israélo-palestinien, M. Védrine pense aussi que les Etats-Unis ont les moyens de «retourner la situation». L’ancien ministre des affaires étrangères l’a dit à ses interlocuteurs: «Imaginez le rayonnement qu’aurait un président américain qui règlerait le problème palestinien. L’Amérique a cette carte. Comment peut-elle s’en priver?» Reste la question de fond: «Devons-nous traiter avec le reste du monde ou devons-nous le changer?» Barack Obama n’a pas encore livré le fond de sa pensée. Pour l’instant, sa priorité est de réparer.

Corine LESNES

source:https://www.hubertvedrine.net Homepage > Publications > Hubert Védrine et l’Amérique de Barack Obama
15/01/2009