HUBERT VEDRINE: «IL FAUT PARLER AVEC LE HAMAS ET AVEC LA SYRIE»

Qui a gagné la nouvelle guerre du Liban?
Personne. Le Hezbollah a perdu une grande partie de ses missiles mais peut avoir encore beaucoup d’armes cachées. Il a réussi à provoquer un rejet encore plus grand d’Israël dans le monde arabo-musulman. Il a démontré que l’efficacité de l’armée israélienne était limitée. Sur la scène libanaise, il a gagné en prestige politique mais se heurte à une opposition croissante. En outre, il risque de perdre une partie de son implantation au Liban-Sud, sauf s’il arrive à saboter l’application de la résolution 1701, ce qui n’est pas exclu. Le Liban de son côté est la victime. Mais il peut trouver dans la sortie de crise l’occasion d’établir sa souveraineté sur l’ensemble du territoire, si les Libanais s’entendent.

Quels avantages Israël a-t-il tirés de son opération?
Israël a été clairement provoqué, à deux reprises, à Gaza par une frange radicale du Hamas, puis par le Hezbollah. Le gouvernement et l’armée israéliens n’ont fait que réagir, sans véritable scénario politique. Ils sont confrontés une fois de plus au Liban au fait qu’on ne peut pas régler ce problème isolément ni militairement. J’observe cependant qu’Israël a accepté que ce soit une résolution de l’ONU qui fournisse le cadre de sa décision d’arrêter les combats. Il y a là un petit progrès pour l’avenir.

Comment jugez vous l’action des Etats-Unis dans cette crise?
Négativement. L’Administration Bush a une vision schématique qui l’a déjà conduit à l’impasse en Irak et à être handicapée sur tous les autres dossiers arabes. Jamais aucune administration américaine n’avait été autant alignée sur la politique la plus dure du Likoud de 2001 à 2005. De ce fait, elle a perdu la capacité de jouer les médiateurs avec les Arabes et même de donner des conseils utiles aux Israéliens. On assiste au fiasco du pseudo «grand Moyen-Orient» voulu par Bush après 2001. Tout cela est largement lié au déni de la question palestinienne. La conception américaine de la «guerre contre le terrorisme» ne laisse aucune place à une approche politique des questions cas par cas. Elle est contre-productive car elle unifie la vague de fond islamiste anti-occidentale alors qu’il faudrait au contraire la fragmenter pour la résorber, en séparant les islamistes de l’immense majorité des musulmans, qui sont modérés. Il faut nous en affranchir.

La France a été très active, son action a-t-elle été efficace?
Avant même cette crise, je regrette que la France ait laissé l’Europe s’aligner derrière les injonctions israélo-américaines de boycottage du Hamas palestinien élu. C’est humainement cruel et une erreur politique grave. Mais dans l’affaire libanaise, l’action française a été utile et méritoire, au plan humanitaire et diplomatique. Elle a contribué à fournir le cadre du cessez-le-feu, par la pression qu’elle a réussi, dans un contexte de passivité européenne, à exercer sur les Américains. Mais pour retrouver, au-delà, un vrai rôle d’influence dans la région, il est impossible de faire l’impasse sur la Syrie, comme sur toute force qui compte. Je connais les sentiments du président de la République à ce sujet et je les comprends mais si l’on veut être efficace, il faut être prêt, dans la mesure où c’est utile, à parler avec tous les acteurs. Surtout si l’on veut être le pays leader de la force multinationale en projet. Sinon, d’autres le feront.

Est-il réaliste de la part de la France de s’engager militairement au Liban?
C’est honorable et méritoire de la part du président de la République d’avoir manifesté la disponibilité de la France. Mais il faut traiter ce dossier avec énormément de précautions car il y a beaucoup de risques. Les liens qui unissent la France à une partie des Libanais sont profonds mais pas suffisants pour fonder à eux seuls un engagement militaire de cette nature. Surtout qu’aucune des causes du conflit n’a été résolue. Nous n’avons pas encore l’accord politique qui a été justement réclamé par le président de la République pour déployer une force multinationale.

Quelles sont les pistes à suivre pour sortir de cette crise?
Vis-à-vis des Iraniens, je pense qu’il y a encore une marge de négociations sur le dossier nucléaire, à condition de leur parler et de réveiller les dissensions entre eux. Du côté libanais, l’urgence est d’obtenir une mise en oeuvre sérieuse, sûre et crédible de la résolution 1701, ce qui suppose de conforter un consensus politique entre Libanais, et d’amener le Hezbollah sur le terrain politique. Du côté israélien, une perspective politique s’impose: relancer l’évacuation annoncée des territoires et la création de l’Etat palestinien, acceptée par l’électorat israélien. Il n’y a pas de meilleure contribution possible à la lutte contre le terrorisme. Je salue ce qu’a justement écrit à ce propos l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères, Shlomo Ben Ami: «guerre au Hezbollah, paix avec le Hamas!». Il faut revenir sur le boycottage du Hamas, qui rend notre message démocratique inaudible, il faut parler avec le gouvernement Hamas, il faut rétablir l’aide internationale. C’est le pire coup qu’on puisse faire aux gouvernements syrien et iranien et aux islamistes. L’Administration Bush se condamne à l’échec au Proche-Orient et, en refusant de le comprendre, elle nous expose.

Luc de Barochez

HUBERT VEDRINE: «IL FAUT PARLER AVEC LE HAMAS ET AVEC LA SYRIE»

Hubert Vedrine

HUBERT VEDRINE: «IL FAUT PARLER AVEC LE HAMAS ET AVEC LA SYRIE»

Qui a gagné la nouvelle guerre du Liban?
Personne. Le Hezbollah a perdu une grande partie de ses missiles mais peut avoir encore beaucoup d’armes cachées. Il a réussi à provoquer un rejet encore plus grand d’Israël dans le monde arabo-musulman. Il a démontré que l’efficacité de l’armée israélienne était limitée. Sur la scène libanaise, il a gagné en prestige politique mais se heurte à une opposition croissante. En outre, il risque de perdre une partie de son implantation au Liban-Sud, sauf s’il arrive à saboter l’application de la résolution 1701, ce qui n’est pas exclu. Le Liban de son côté est la victime. Mais il peut trouver dans la sortie de crise l’occasion d’établir sa souveraineté sur l’ensemble du territoire, si les Libanais s’entendent.

Quels avantages Israël a-t-il tirés de son opération?
Israël a été clairement provoqué, à deux reprises, à Gaza par une frange radicale du Hamas, puis par le Hezbollah. Le gouvernement et l’armée israéliens n’ont fait que réagir, sans véritable scénario politique. Ils sont confrontés une fois de plus au Liban au fait qu’on ne peut pas régler ce problème isolément ni militairement. J’observe cependant qu’Israël a accepté que ce soit une résolution de l’ONU qui fournisse le cadre de sa décision d’arrêter les combats. Il y a là un petit progrès pour l’avenir.

Comment jugez vous l’action des Etats-Unis dans cette crise?
Négativement. L’Administration Bush a une vision schématique qui l’a déjà conduit à l’impasse en Irak et à être handicapée sur tous les autres dossiers arabes. Jamais aucune administration américaine n’avait été autant alignée sur la politique la plus dure du Likoud de 2001 à 2005. De ce fait, elle a perdu la capacité de jouer les médiateurs avec les Arabes et même de donner des conseils utiles aux Israéliens. On assiste au fiasco du pseudo «grand Moyen-Orient» voulu par Bush après 2001. Tout cela est largement lié au déni de la question palestinienne. La conception américaine de la «guerre contre le terrorisme» ne laisse aucune place à une approche politique des questions cas par cas. Elle est contre-productive car elle unifie la vague de fond islamiste anti-occidentale alors qu’il faudrait au contraire la fragmenter pour la résorber, en séparant les islamistes de l’immense majorité des musulmans, qui sont modérés. Il faut nous en affranchir.

La France a été très active, son action a-t-elle été efficace?
Avant même cette crise, je regrette que la France ait laissé l’Europe s’aligner derrière les injonctions israélo-américaines de boycottage du Hamas palestinien élu. C’est humainement cruel et une erreur politique grave. Mais dans l’affaire libanaise, l’action française a été utile et méritoire, au plan humanitaire et diplomatique. Elle a contribué à fournir le cadre du cessez-le-feu, par la pression qu’elle a réussi, dans un contexte de passivité européenne, à exercer sur les Américains. Mais pour retrouver, au-delà, un vrai rôle d’influence dans la région, il est impossible de faire l’impasse sur la Syrie, comme sur toute force qui compte. Je connais les sentiments du président de la République à ce sujet et je les comprends mais si l’on veut être efficace, il faut être prêt, dans la mesure où c’est utile, à parler avec tous les acteurs. Surtout si l’on veut être le pays leader de la force multinationale en projet. Sinon, d’autres le feront.

Est-il réaliste de la part de la France de s’engager militairement au Liban?
C’est honorable et méritoire de la part du président de la République d’avoir manifesté la disponibilité de la France. Mais il faut traiter ce dossier avec énormément de précautions car il y a beaucoup de risques. Les liens qui unissent la France à une partie des Libanais sont profonds mais pas suffisants pour fonder à eux seuls un engagement militaire de cette nature. Surtout qu’aucune des causes du conflit n’a été résolue. Nous n’avons pas encore l’accord politique qui a été justement réclamé par le président de la République pour déployer une force multinationale.

Quelles sont les pistes à suivre pour sortir de cette crise?
Vis-à-vis des Iraniens, je pense qu’il y a encore une marge de négociations sur le dossier nucléaire, à condition de leur parler et de réveiller les dissensions entre eux. Du côté libanais, l’urgence est d’obtenir une mise en oeuvre sérieuse, sûre et crédible de la résolution 1701, ce qui suppose de conforter un consensus politique entre Libanais, et d’amener le Hezbollah sur le terrain politique. Du côté israélien, une perspective politique s’impose: relancer l’évacuation annoncée des territoires et la création de l’Etat palestinien, acceptée par l’électorat israélien. Il n’y a pas de meilleure contribution possible à la lutte contre le terrorisme. Je salue ce qu’a justement écrit à ce propos l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères, Shlomo Ben Ami: «guerre au Hezbollah, paix avec le Hamas!». Il faut revenir sur le boycottage du Hamas, qui rend notre message démocratique inaudible, il faut parler avec le gouvernement Hamas, il faut rétablir l’aide internationale. C’est le pire coup qu’on puisse faire aux gouvernements syrien et iranien et aux islamistes. L’Administration Bush se condamne à l’échec au Proche-Orient et, en refusant de le comprendre, elle nous expose.

Luc de Barochez

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17/08/2006