Hubert Védrine: «Le moteur franco-allemand reste nécessaire mais n’est plus suffisant»

La relance du couple franco-allemand à laquelle on assiste ces derniers mois vous paraît-elle avoir de l’avenir dans une Europe élargie à 25 pays?

Je préfère le terme de moteur à celui de couple, trop introverti. La relance franco-allemande était indispensable et prévisible. On a compris que sans entente entre la France et l’Allemagne, l’ensemble du système européen en pâtit. Les raisons de la pause des dernières années son diverses. On peut citer la nécessité de digérer les avancées de Maastricht, la gestion par l’Allemagne de sa réunification, la préparation de l’euro et celle du grand élargissement. L’idée d’une relance était dans l’air dès le début 2001, juste après Nice, lorsqu’à été lancé le processus de Blaesheim, qui a permis de nouer des relations plus chaleureuses entre les dirigeants. Il a ensuite fallu lever l’hypothèque électorale, en France comme en Allemagne. A partir du moment où les électeurs ont clarifié les choses de part et d’autre, la relance, qui était souhaitable et nécessaire, est devenue possible. L’Allemagne et la France ont commencé par écarter les sujets de désaccord qui bloquaient tout. C’était l’objet de la décision de novembre dernier sur l’agriculture. Schröder a accepté que la vraie réforme de la politique agricole commune soit reportée à 2006. Cependant, il ne faut pas se leurrer. Dans l’Europe élargie, la France et l’Allemagne ne peuvent pas retrouver un pouvoir d’entraînement aussi automatique que par le passé. Les compromis doivent être astucieusement conçus pour entraîner l’adhésion des autres. La France et l’Allemagne devraient, sinon, rechercher des coalitions de circonstance, ce qui serait instable, contraignant et incertain. Le véritable intérêt des deux pays reste d’avoir cette relation forte, dès lors qu’elle n’est pas fermée. C’est utile, surtout dans l’Union élargie, mais ça ne dispense pas de trouver un accord avec les autres, ni de convaincre les opinions publiques.

Comment jugez-vous la dernière proposition franco-allemande pour réformer les institutions européennes?

J’en comprends la logique. Certains y voient une juxtaposition non viable de positions différentes. Je ne suis pas de cet avis. Il y a déjà trois entités en Europe: la Commission, le Conseil et le Parlement. Il y a déjà trois présidents. La France et l’Allemagne ont conclu qu’il fallait préserver l’équilibre général de ce triangle, en renforçant chaque pôle. Il n’y a pas d’alternative. Il est impensable de donner tous les pouvoirs à l’un des pôles. Il faut donc garder les trois tout en les renforçant, afin que l’Europe élargie ne se distende pas. La proposition franco-allemande renforce le président du Conseil, puisqu’il est installé dans la durée. Elle renforce le Parlement, par le pouvoir qu’il acquiert d’élire le président de la Commission. Et elle renforce la Commission, dont le président voit sa légitimité assise sur le vote du Parlement. Lionel Jospin, en 2001, avait d’ailleurs déjà jugé souhaitable de renforcer les trois pôles du triangle.

Pour construire l’Europe de la défense, la France s’appuie désormais sur l’Allemagne, alors qu’elle avait privilégié la Grande-Bretagne ces dernières années. Est-ce un choix pertinent?

La défense, c’est typiquement le domaine dans lequel nous devons réunir un petit groupe de pays pour agir, car il serait illusoire d’espérer avancer à 25. Nous devons réunir les pays qui répondre à trois critères. D’abord, ils doivent être en accord avec l’idée que l’Europe doit accroître son autonomie en politique étrangère et en matière de défense. Ensuite, ils doivent avoir un niveau suffisant de dépenses militaires, et être prêts à les augmenter. Enfin, ils doivent être capables de rendre des arbitrages musclés par rapport à leurs intérêts nationaux divergents à court terme, concernant des groups industriels communs, préfigurés par EADS, et l’harmonisation des programmations. Il n’y a pas assez de pays qui répondent à tous ces critères en Europe. C’est pourquoi nous devons être plus volontaristes. Il serait stérile d’opposer ce que l’on peut faire avec les Britanniques ou avec les Allemands. Je plaide pour une combinaison des deux. La Grande-Bretagne a un potentiel militaire et un budget. En outre, sa présence rassure beaucoup de pays européens. L’Allemagne, elle, a un potentiel économique et industriel. On ne peut pas faire sans elle. En ajoutant à ce trio deux ou trois autres pays qui ont des capacités particulières dans certains domaines militaires, on obtient un groupe qui a du poids.

Hubert Védrine: «Le moteur franco-allemand reste nécessaire mais n’est plus suffisant»

Hubert Vedrine

Hubert Védrine: «Le moteur franco-allemand reste nécessaire mais n’est plus suffisant»

La relance du couple franco-allemand à laquelle on assiste ces derniers mois vous paraît-elle avoir de l’avenir dans une Europe élargie à 25 pays?

Je préfère le terme de moteur à celui de couple, trop introverti. La relance franco-allemande était indispensable et prévisible. On a compris que sans entente entre la France et l’Allemagne, l’ensemble du système européen en pâtit. Les raisons de la pause des dernières années son diverses. On peut citer la nécessité de digérer les avancées de Maastricht, la gestion par l’Allemagne de sa réunification, la préparation de l’euro et celle du grand élargissement. L’idée d’une relance était dans l’air dès le début 2001, juste après Nice, lorsqu’à été lancé le processus de Blaesheim, qui a permis de nouer des relations plus chaleureuses entre les dirigeants. Il a ensuite fallu lever l’hypothèque électorale, en France comme en Allemagne. A partir du moment où les électeurs ont clarifié les choses de part et d’autre, la relance, qui était souhaitable et nécessaire, est devenue possible. L’Allemagne et la France ont commencé par écarter les sujets de désaccord qui bloquaient tout. C’était l’objet de la décision de novembre dernier sur l’agriculture. Schröder a accepté que la vraie réforme de la politique agricole commune soit reportée à 2006. Cependant, il ne faut pas se leurrer. Dans l’Europe élargie, la France et l’Allemagne ne peuvent pas retrouver un pouvoir d’entraînement aussi automatique que par le passé. Les compromis doivent être astucieusement conçus pour entraîner l’adhésion des autres. La France et l’Allemagne devraient, sinon, rechercher des coalitions de circonstance, ce qui serait instable, contraignant et incertain. Le véritable intérêt des deux pays reste d’avoir cette relation forte, dès lors qu’elle n’est pas fermée. C’est utile, surtout dans l’Union élargie, mais ça ne dispense pas de trouver un accord avec les autres, ni de convaincre les opinions publiques.

Comment jugez-vous la dernière proposition franco-allemande pour réformer les institutions européennes?

J’en comprends la logique. Certains y voient une juxtaposition non viable de positions différentes. Je ne suis pas de cet avis. Il y a déjà trois entités en Europe: la Commission, le Conseil et le Parlement. Il y a déjà trois présidents. La France et l’Allemagne ont conclu qu’il fallait préserver l’équilibre général de ce triangle, en renforçant chaque pôle. Il n’y a pas d’alternative. Il est impensable de donner tous les pouvoirs à l’un des pôles. Il faut donc garder les trois tout en les renforçant, afin que l’Europe élargie ne se distende pas. La proposition franco-allemande renforce le président du Conseil, puisqu’il est installé dans la durée. Elle renforce le Parlement, par le pouvoir qu’il acquiert d’élire le président de la Commission. Et elle renforce la Commission, dont le président voit sa légitimité assise sur le vote du Parlement. Lionel Jospin, en 2001, avait d’ailleurs déjà jugé souhaitable de renforcer les trois pôles du triangle.

Pour construire l’Europe de la défense, la France s’appuie désormais sur l’Allemagne, alors qu’elle avait privilégié la Grande-Bretagne ces dernières années. Est-ce un choix pertinent?

La défense, c’est typiquement le domaine dans lequel nous devons réunir un petit groupe de pays pour agir, car il serait illusoire d’espérer avancer à 25. Nous devons réunir les pays qui répondre à trois critères. D’abord, ils doivent être en accord avec l’idée que l’Europe doit accroître son autonomie en politique étrangère et en matière de défense. Ensuite, ils doivent avoir un niveau suffisant de dépenses militaires, et être prêts à les augmenter. Enfin, ils doivent être capables de rendre des arbitrages musclés par rapport à leurs intérêts nationaux divergents à court terme, concernant des groups industriels communs, préfigurés par EADS, et l’harmonisation des programmations. Il n’y a pas assez de pays qui répondent à tous ces critères en Europe. C’est pourquoi nous devons être plus volontaristes. Il serait stérile d’opposer ce que l’on peut faire avec les Britanniques ou avec les Allemands. Je plaide pour une combinaison des deux. La Grande-Bretagne a un potentiel militaire et un budget. En outre, sa présence rassure beaucoup de pays européens. L’Allemagne, elle, a un potentiel économique et industriel. On ne peut pas faire sans elle. En ajoutant à ce trio deux ou trois autres pays qui ont des capacités particulières dans certains domaines militaires, on obtient un groupe qui a du poids.

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22/01/2003