Guerre Israël-Hamas : pour Hubert Védrine, « Les Israéliens ne peuvent pas ne pas réagir »

Comment jugez-vous la visite de 48h d’Emmanuel Macron au Proche-Orient ?

Personne n’aurait compris qu’il n’y aille pas. Il a exprimé une solidarité très forte par rapport aux Israéliens qui ont subi un choc épouvantable et a aussi remis au premier plan la recherche d’une solution politique à la question palestinienne. Par ailleurs, mais c’est moins important, on verra si sa proposition d’initiative de paix et de sécurité pour tous trouve un relai chez les Arabes, et les Européens.

Pouvez-vous nous expliquer l’évolution de la position de la France sur cette région du monde ?

Il y a eu deux évolutions. D’abord, en gros depuis Sarkozy, la France, comme tous les Occidentaux, avait peu à peu abandonné le processus de création d’un État palestinien, pourtant initié par Giscard et plus encore par Mitterrand. Mais il faut rappeler que ce processus, très courageusement lancé par Yitzhak Rabin – assassiné par un juif fanatique – et Yasser Arafat a été méthodiquement saboté par les extrémismes des deux bords avant d’être abandonné par les gouvernements arabes par cynisme et par les Européens par fatigue et lâcheté. Quant aux États-Unis, après que Clinton ait parrainé – à la Maison Blanche, grand moment – la signature des Accords d’Oslo, ils n’ont jamais fait ce qu’il fallait. Et les Accords d’Abraham depuis Trump – qui a tout aggravé – avaient créé l’illusion, en Israël et dans les gouvernements arabes, que le rapprochement entre eux pouvait se faire en passant la question palestinienne par pertes et profits. Mortelle illusion ! La situation à Gaza était une bombe à retardement. L’Iran et le Hamas s’en sont servis. Et tout cela a conduit aux abominables massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre.

La France a-t-elle aujourd’hui les moyens de ses ambitions ?

Cela dépend comment vous définissez nos ambitions. Il y a dans la politique française une part de grandiloquence et de prétention dont nous n’avons plus les moyens depuis longtemps et qui nous dessert ; mais aussi une politique indispensable de défense de nos intérêts vitaux au niveau national comme européen ou international. Ambition légitime dont nous avons encore les moyens à condition de nous redresser industriellement et d’en avoir la volonté. Les Français ne sont pas pessimistes à cause de leurs handicaps, mais ils sont handicapés par leur pessimisme. Quant au Proche-Orient en particulier, personne n’y a les moyens de ses ambitions, même les États-Unis, sinon, on en serait pas là où on en est. Mais je crois que les Français, quel que soit leurs confessions et leurs opinions, attendent que leur président fasse tout ce qui est possible pour redonner un espoir de paix et de sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens.

L’attaque terrestre des Israéliens dans Gaza est-elle évitable ?

Elle a été rendue inéluctable par une telle attaque du Hamas. Il est encore trop tôt pour savoir si l’armée israélienne va tenir compte des conseils donnés par Joe Biden et Emmanuel Macron et éviter une offensive terrestre massive avec des chars partout en essayant de ne faire que des opérations commandos.  Je sais bien qu’on ne fait pas l’histoire avec des « si », mais si l’État palestinien avait été créé à temps il y a trente ans, avant la montée de l’islamisme, c’est l’État palestinien qui combattrait avec l’aide d’Israël le terrorisme islamiste. Plus récemment, si les gouvernements israéliens depuis Netanyahou n’avaient pas mené la politique du pire consistant à affaiblir systématiquement toute Autorité palestinienne pour pouvoir prétexter qu’ils n’avaient pas d’interlocuteurs, on en serait pas

là non plus. Plus récemment encore, si l’Arabie avait conditionné sa normalisation avec Israël à une solution correcte, quel que soit le nom qu’on lui donne, de la question politique palestinienne, l’Iran et le Hamas n’auraient pas pu utiliser cet océan de ressentiment et de haine qu’était devenu Gaza.

Qui peut arrêter ce processus de guerre ? Les États-Unis, l’Europe, L’Égypte, Israël ?

Dans l’immédiat, les États-Unis, la France, l’Égypte et d’autres, essayent de convaincre les Israéliens d’épargner au maximum les civils. Les Arabes demandent un cessez-le-feu mais ce n’est pas le cas des Occidentaux. Cependant, Madame Borne a appelé à une « trêve humanitaire » lors du débat à l’Assemblée. C’est évident que les Israéliens ne peuvent pas ne pas réagir après la boucherie commise par le Hamas, mais on voit qu’il y a un débat très vif en Israël même entre politiques et militaires, et entre militaires, sur la possibilité de neutraliser par une action militaire à Gaza la branche armée du Hamas, si ce n’est le Hamas lui-même, sans entraîner des conséquences humaines catastrophiques supplémentaires, immaîtrisables et peut-être un élargissement du conflit, par exemple au Liban.

Au-delà, le risque d’un réveil de la guerre au Proche-Orient sera toujours latent tant qu’il n’y aura pas de solution politique viable et durable de la question palestinienne. Avec un État palestinien, il y aura évidemment des tensions avec Israël, mais ce serait différent. Et même c’est l’État palestinien qui combattrait le Hamas, peut-être avec l’aide d’Israël.

Comment faire pour que le conflit ne s’étende pas sur le territoire français ?

Toutes les autorités politiques, civiles et religieuses peuvent tenir un discours d’apaisement et en appeler à la maîtrise de soi et au respect des autres. La communauté juive française, la plus importante en dehors d’Israël après celle des États-Unis, attendait de la compassion, de la solidarité, ce que le président a très bien exprimé. Elle attend des garanties pour sa sécurité et les autorités font tout ce qu’elles peuvent dans ce sens.

Au sein des musulmans de France, il y a une tension, comme partout dans le monde où il y a des musulmans, entre des islamistes qui jouent l’affrontement et la lutte contre les Occidentaux, contre Israël et également contre, ne l’oublions pas, tous les musulmans modérés qui n’acceptent pas leur conception de la charia ; et d’autre part, énormément de musulmans qui résistent courageusement : des imams, des responsables d’associations, des personnalités politiques françaises d’origine arabe, des organisations de femmes, etc. Ceux-là apprécient certainement la remise au premier plan par le président Macron la recherche d’une solution politique à la question palestinienne. Il faut tout faire pour les aider, les soutenir, en commençant à ne pas amalgamer tous les musulmans avec les islamistes.

Que pensez-vous de l’attitude de Jean-Luc Mélenchon qui a refusé de condamner les attaques du Hamas comme terroristes ? 

Est-ce que cela veut dire que Mélenchon pense que sa base exaltée n’est pas capable d’entendre les condamnations du terrorisme du Hamas que Yasser Arafat proférait lui-même ? C’est terrifiant.

Propos recueillis par Florent Provansal pour La Provence

Guerre Israël-Hamas : pour Hubert Védrine, « Les Israéliens ne peuvent pas ne pas réagir »

Hubert Vedrine

Comment jugez-vous la visite de 48h d’Emmanuel Macron au Proche-Orient ?

Personne n’aurait compris qu’il n’y aille pas. Il a exprimé une solidarité très forte par rapport aux Israéliens qui ont subi un choc épouvantable et a aussi remis au premier plan la recherche d’une solution politique à la question palestinienne. Par ailleurs, mais c’est moins important, on verra si sa proposition d’initiative de paix et de sécurité pour tous trouve un relai chez les Arabes, et les Européens.

Pouvez-vous nous expliquer l’évolution de la position de la France sur cette région du monde ?

Il y a eu deux évolutions. D’abord, en gros depuis Sarkozy, la France, comme tous les Occidentaux, avait peu à peu abandonné le processus de création d’un État palestinien, pourtant initié par Giscard et plus encore par Mitterrand. Mais il faut rappeler que ce processus, très courageusement lancé par Yitzhak Rabin – assassiné par un juif fanatique – et Yasser Arafat a été méthodiquement saboté par les extrémismes des deux bords avant d’être abandonné par les gouvernements arabes par cynisme et par les Européens par fatigue et lâcheté. Quant aux États-Unis, après que Clinton ait parrainé – à la Maison Blanche, grand moment – la signature des Accords d’Oslo, ils n’ont jamais fait ce qu’il fallait. Et les Accords d’Abraham depuis Trump – qui a tout aggravé – avaient créé l’illusion, en Israël et dans les gouvernements arabes, que le rapprochement entre eux pouvait se faire en passant la question palestinienne par pertes et profits. Mortelle illusion ! La situation à Gaza était une bombe à retardement. L’Iran et le Hamas s’en sont servis. Et tout cela a conduit aux abominables massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre.

La France a-t-elle aujourd’hui les moyens de ses ambitions ?

Cela dépend comment vous définissez nos ambitions. Il y a dans la politique française une part de grandiloquence et de prétention dont nous n’avons plus les moyens depuis longtemps et qui nous dessert ; mais aussi une politique indispensable de défense de nos intérêts vitaux au niveau national comme européen ou international. Ambition légitime dont nous avons encore les moyens à condition de nous redresser industriellement et d’en avoir la volonté. Les Français ne sont pas pessimistes à cause de leurs handicaps, mais ils sont handicapés par leur pessimisme. Quant au Proche-Orient en particulier, personne n’y a les moyens de ses ambitions, même les États-Unis, sinon, on en serait pas là où on en est. Mais je crois que les Français, quel que soit leurs confessions et leurs opinions, attendent que leur président fasse tout ce qui est possible pour redonner un espoir de paix et de sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens.

L’attaque terrestre des Israéliens dans Gaza est-elle évitable ?

Elle a été rendue inéluctable par une telle attaque du Hamas. Il est encore trop tôt pour savoir si l’armée israélienne va tenir compte des conseils donnés par Joe Biden et Emmanuel Macron et éviter une offensive terrestre massive avec des chars partout en essayant de ne faire que des opérations commandos.  Je sais bien qu’on ne fait pas l’histoire avec des « si », mais si l’État palestinien avait été créé à temps il y a trente ans, avant la montée de l’islamisme, c’est l’État palestinien qui combattrait avec l’aide d’Israël le terrorisme islamiste. Plus récemment, si les gouvernements israéliens depuis Netanyahou n’avaient pas mené la politique du pire consistant à affaiblir systématiquement toute Autorité palestinienne pour pouvoir prétexter qu’ils n’avaient pas d’interlocuteurs, on en serait pas

là non plus. Plus récemment encore, si l’Arabie avait conditionné sa normalisation avec Israël à une solution correcte, quel que soit le nom qu’on lui donne, de la question politique palestinienne, l’Iran et le Hamas n’auraient pas pu utiliser cet océan de ressentiment et de haine qu’était devenu Gaza.

Qui peut arrêter ce processus de guerre ? Les États-Unis, l’Europe, L’Égypte, Israël ?

Dans l’immédiat, les États-Unis, la France, l’Égypte et d’autres, essayent de convaincre les Israéliens d’épargner au maximum les civils. Les Arabes demandent un cessez-le-feu mais ce n’est pas le cas des Occidentaux. Cependant, Madame Borne a appelé à une « trêve humanitaire » lors du débat à l’Assemblée. C’est évident que les Israéliens ne peuvent pas ne pas réagir après la boucherie commise par le Hamas, mais on voit qu’il y a un débat très vif en Israël même entre politiques et militaires, et entre militaires, sur la possibilité de neutraliser par une action militaire à Gaza la branche armée du Hamas, si ce n’est le Hamas lui-même, sans entraîner des conséquences humaines catastrophiques supplémentaires, immaîtrisables et peut-être un élargissement du conflit, par exemple au Liban.

Au-delà, le risque d’un réveil de la guerre au Proche-Orient sera toujours latent tant qu’il n’y aura pas de solution politique viable et durable de la question palestinienne. Avec un État palestinien, il y aura évidemment des tensions avec Israël, mais ce serait différent. Et même c’est l’État palestinien qui combattrait le Hamas, peut-être avec l’aide d’Israël.

Comment faire pour que le conflit ne s’étende pas sur le territoire français ?

Toutes les autorités politiques, civiles et religieuses peuvent tenir un discours d’apaisement et en appeler à la maîtrise de soi et au respect des autres. La communauté juive française, la plus importante en dehors d’Israël après celle des États-Unis, attendait de la compassion, de la solidarité, ce que le président a très bien exprimé. Elle attend des garanties pour sa sécurité et les autorités font tout ce qu’elles peuvent dans ce sens.

Au sein des musulmans de France, il y a une tension, comme partout dans le monde où il y a des musulmans, entre des islamistes qui jouent l’affrontement et la lutte contre les Occidentaux, contre Israël et également contre, ne l’oublions pas, tous les musulmans modérés qui n’acceptent pas leur conception de la charia ; et d’autre part, énormément de musulmans qui résistent courageusement : des imams, des responsables d’associations, des personnalités politiques françaises d’origine arabe, des organisations de femmes, etc. Ceux-là apprécient certainement la remise au premier plan par le président Macron la recherche d’une solution politique à la question palestinienne. Il faut tout faire pour les aider, les soutenir, en commençant à ne pas amalgamer tous les musulmans avec les islamistes.

Que pensez-vous de l’attitude de Jean-Luc Mélenchon qui a refusé de condamner les attaques du Hamas comme terroristes ? 

Est-ce que cela veut dire que Mélenchon pense que sa base exaltée n’est pas capable d’entendre les condamnations du terrorisme du Hamas que Yasser Arafat proférait lui-même ? C’est terrifiant.

Propos recueillis par Florent Provansal pour La Provence

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30/10/2023