Que faire pour cela? Il n’y a pas «une» mesure miracle, mais un ensemble d’actions à définir, à expliquer et à mener. Chacune nécessite de trancher entre pays européens, ou entre Institutions européennes, ou entre opinions et gouvernements, ou entre bureaucraties, et donc du courage politique. L’ensemble constituerait la politique européenne de l’asile et de l’immigration, crédible, assumée et durable, qui fait défaut.
D’abord prendre la juste mesure du phénomène. Distinguer systématiquement asile et immigration. Ne pas oublier que c’est un phénomène mondial (Nigéria, Afrique du sud, Australie, Rio Grande, etc), et pas seulement européen. 80 à 90 % des déplacés, dans le monde, le sont dans les pays du «Sud». C’est le Pakistan qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. Les chiffres de l’immigration dans l’UE, depuis l’extérieur de l’UE, restent limités : autour d’1,7 millions, pas plus que de migrants au sein de l’Union. On en comptait, en 2012, 327 000 pour la France (contre 592 000 pour l’Allemagne, et 498 000 pour le Royaume Uni). Les «stocks» d’étrangers déjà présents dans un pays de l’UE sont d’une trentaine de millions, dont une vingtaine seulement venus de pays extérieurs à l’Union Européenne. Il y a 500 millions d’européens : sur un plan quantitatif, ces flux sont donc gérables. Ils sont économiquement précieux pour pourvoir les emplois non qualifiés vacants, et des emplois très spécialisés. Mais c’est politiquement et psychologiquement explosif dans nos sociétés démocratiques fébriles (information continue, hystérisation, exploitation des émotions), dans une Europe inquiète, sur la défensive, et qui se sent, à tort ou à raison, menacée dans son identité et son mode de vie par une mondialisation sauvage (flux financiers, humains, économie casino, extrémisme islamiste, compte à rebours écologique, etc…).
Les peuples d’Europe attendent de leurs dirigeants qu’ils mettent de l’ordre dans cette mêlée mondiale confuse, où il leur semble que personne ne maitrise plus rien, ce qui alimente fureur et votes protestataires. Comment concilier tout cela?
1 D’abord, en urgence, arrêter les noyades. Par quels moyens?
Accroitre les moyens maritimes de repêchage. Empêcher les départs par un contrôle accru des navires, (opération Triton multipliée par 3), voire un blocus maritime des ports de départ (pourquoi pas par la VIème flotte américaine), ou une coalition maritime ad hoc, (type Atalante), et une destruction des rafiots repérés. Il n’y a évidemment pas de solution militaire d’ensemble mais ne rêvons pas : un recours à la force sera à un moment ou à un autre inévitable.
2 Ensuite re-responsabiliser les gouvernements des pays de transit de la rive sud, ou de l’Est de l’Europe. C’est déjà le cas de la plupart d’entre eux : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, la Turquie, (elle accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens, il ne faut pas l’oublier au moment où elle a si mauvaise presse). Le problème majeur, c’est la Libye. La France, qui fait déjà tant, n’a pas à être en première ligne (elle contrôle avec l’opération Barkhane, la frontière avec le Niger). Mais elle peut appuyer plus le médiateur de l’ONU, Bernardino Léon, qui travaille à un accord entre les deux gouvernements, et les tribus. La cohésion et la pression conjointe des pays voisins (Italie, Egypte, Algérie, Niger, Tchad, Tunisie, France et Etats-Unis, via leur VIème flotte), comme les menaces militaires égyptiennes peuvent inciter les protagonistes au compromis politique, et permettre finalement la réapparition en Libye d’un partenaire responsable.
3 Il faut, en parallèle, démanteler systématiquement les réseaux, en remontant pour cela toute la chaine, des pays d’arrivée jusqu’aux pays de recrutement.
4 Mais tout cela ne marchera, avec le temps, qu’à condition que soient prises deux grandes initiatives.
D’abord sur l’asile.
Les pays de l’UE, et d’abord de Schengen (après qu’on ait testé leur capacité à contrôler leurs propres frontières) devraient harmoniser, les règles de l’asile en Europe et les faire connaitre et les gérer en amont, dans des «portes légales d’entrée» dans les pays de premier asile. Qu’est ce qui nous empêche? Aucune divergence de fond!
5 Par ailleurs, sur l’immigration économique, entamer au sommet une grande concertation qui existe déjà au niveau fonctionnaires entre des pays de départ (Afrique, Amérique latine, Moyen-Orient, Asie Centrale), de transit (Turquie, Balkans, Nord de l’Afrique) et d’arrivée (pays de l’espace Schengen, de l’UE). Pour décider ensemble, annuellement, une fois passées les inévitables reproches et procès d’intention, des quotas par métiers, indexés sur les besoins économiques et la capacité d’accueil; les politiques de visas; à certains moments, des régularisations raisonnables. Par exemple en France il y a environ 3 à 400 000 personnes devenues irrégulières à l’expiration de leur titre de séjour légal, mais qui sont en majorité insérées et très utiles à l’économie.
On éviterait l’appel d’air du fait de la restriction simultanée de l’accès automatique aux avantages sociaux et médicaux, et de la lutte contre les filières.
Qu’attend-on?
Tout cela nécessite une pédagogie politique intense, franche et crédible, pour faire reculer dans les opinions les approches binaires et manichéennes et décrédibiliser ceux qui exploitent les peurs liées à ce sujet. Exemple: l’immigration n’est, en soi, ni une chance, ni une catastrophe, elle peut être l’une ou l’autre selon la façon dont elle est gérée et expliquée. L’asile devrait pouvoir être plus généreux (que l’on pense aux Syriens, aux chrétiens d’Orient), et assumé comme tel, mais il ne doit pas être détourné à des fins économiques, sinon il sera rejeté par les opinions, etc.
Il est en même temps nécessaire, car cela est malheureusement lié, de mettre fin à la politique de l’autruche sur le danger islamiste, auquel nos opinions sont à juste titre hypersensibles. C’est important que cette lutte soit clairement assumée depuis janvier 2015, sinon nous risquions un rejet de l’Islam tout entier. Et que soit pris un double engagement clair : de l’Europe en faveur des modernistes musulmans; et de la part de ces derniers, une affirmation plus franche de leurs positions.
On parle toujours de plan Marshal au bénéfice de l’Afrique, d’où proviennent encore tant de candidats à l’immigration, jeunes et courageux, prêts à tous les risques! Mais il y en a eu plusieurs depuis les années 60! Surtout on semble oublier les perspectives économiques africaines, extrêmement prometteuses. L’Afrique ne demande presque plus d’aide au développement, mais des accès au marché européen, et des investissements. Le nombre de migrants africains devrait diminuer avec le temps.
Déchirée entre une horreur sincère, une générosité spontanée mais qui ne peut être sans limites, le refus depuis des années d’admettre la brutalité du monde, elle qui croit tant à la «communauté» internationale, et l’obligation de ne pas faire vaciller la démocratie chez elle, l’Europe devrait saisir par les cheveux du drame l’occasion de se métamorphoser, de se montrer forte et généreuse, généreuse parce qu’enfin réaliste et forte. Comme le demande à juste titre Jean Claude Juncker, il faut aller beaucoup plus loin que les petits pas positifs du Conseil européen du 23 avril C’est notre mission, et c’est notre intérêt. Il est possible d’en convaincre les peuples d’Europe.
Que faire pour cela? Il n’y a pas «une» mesure miracle, mais un ensemble d’actions à définir, à expliquer et à mener. Chacune nécessite de trancher entre pays européens, ou entre Institutions européennes, ou entre opinions et gouvernements, ou entre bureaucraties, et donc du courage politique. L’ensemble constituerait la politique européenne de l’asile et de l’immigration, crédible, assumée et durable, qui fait défaut.
D’abord prendre la juste mesure du phénomène. Distinguer systématiquement asile et immigration. Ne pas oublier que c’est un phénomène mondial (Nigéria, Afrique du sud, Australie, Rio Grande, etc), et pas seulement européen. 80 à 90 % des déplacés, dans le monde, le sont dans les pays du «Sud». C’est le Pakistan qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. Les chiffres de l’immigration dans l’UE, depuis l’extérieur de l’UE, restent limités : autour d’1,7 millions, pas plus que de migrants au sein de l’Union. On en comptait, en 2012, 327 000 pour la France (contre 592 000 pour l’Allemagne, et 498 000 pour le Royaume Uni). Les «stocks» d’étrangers déjà présents dans un pays de l’UE sont d’une trentaine de millions, dont une vingtaine seulement venus de pays extérieurs à l’Union Européenne. Il y a 500 millions d’européens : sur un plan quantitatif, ces flux sont donc gérables. Ils sont économiquement précieux pour pourvoir les emplois non qualifiés vacants, et des emplois très spécialisés. Mais c’est politiquement et psychologiquement explosif dans nos sociétés démocratiques fébriles (information continue, hystérisation, exploitation des émotions), dans une Europe inquiète, sur la défensive, et qui se sent, à tort ou à raison, menacée dans son identité et son mode de vie par une mondialisation sauvage (flux financiers, humains, économie casino, extrémisme islamiste, compte à rebours écologique, etc…).
Les peuples d’Europe attendent de leurs dirigeants qu’ils mettent de l’ordre dans cette mêlée mondiale confuse, où il leur semble que personne ne maitrise plus rien, ce qui alimente fureur et votes protestataires. Comment concilier tout cela?
1 D’abord, en urgence, arrêter les noyades. Par quels moyens?
Accroitre les moyens maritimes de repêchage. Empêcher les départs par un contrôle accru des navires, (opération Triton multipliée par 3), voire un blocus maritime des ports de départ (pourquoi pas par la VIème flotte américaine), ou une coalition maritime ad hoc, (type Atalante), et une destruction des rafiots repérés. Il n’y a évidemment pas de solution militaire d’ensemble mais ne rêvons pas : un recours à la force sera à un moment ou à un autre inévitable.
2 Ensuite re-responsabiliser les gouvernements des pays de transit de la rive sud, ou de l’Est de l’Europe. C’est déjà le cas de la plupart d’entre eux : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, la Turquie, (elle accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens, il ne faut pas l’oublier au moment où elle a si mauvaise presse). Le problème majeur, c’est la Libye. La France, qui fait déjà tant, n’a pas à être en première ligne (elle contrôle avec l’opération Barkhane, la frontière avec le Niger). Mais elle peut appuyer plus le médiateur de l’ONU, Bernardino Léon, qui travaille à un accord entre les deux gouvernements, et les tribus. La cohésion et la pression conjointe des pays voisins (Italie, Egypte, Algérie, Niger, Tchad, Tunisie, France et Etats-Unis, via leur VIème flotte), comme les menaces militaires égyptiennes peuvent inciter les protagonistes au compromis politique, et permettre finalement la réapparition en Libye d’un partenaire responsable.
3 Il faut, en parallèle, démanteler systématiquement les réseaux, en remontant pour cela toute la chaine, des pays d’arrivée jusqu’aux pays de recrutement.
4 Mais tout cela ne marchera, avec le temps, qu’à condition que soient prises deux grandes initiatives.
D’abord sur l’asile.
Les pays de l’UE, et d’abord de Schengen (après qu’on ait testé leur capacité à contrôler leurs propres frontières) devraient harmoniser, les règles de l’asile en Europe et les faire connaitre et les gérer en amont, dans des «portes légales d’entrée» dans les pays de premier asile. Qu’est ce qui nous empêche? Aucune divergence de fond!
5 Par ailleurs, sur l’immigration économique, entamer au sommet une grande concertation qui existe déjà au niveau fonctionnaires entre des pays de départ (Afrique, Amérique latine, Moyen-Orient, Asie Centrale), de transit (Turquie, Balkans, Nord de l’Afrique) et d’arrivée (pays de l’espace Schengen, de l’UE). Pour décider ensemble, annuellement, une fois passées les inévitables reproches et procès d’intention, des quotas par métiers, indexés sur les besoins économiques et la capacité d’accueil; les politiques de visas; à certains moments, des régularisations raisonnables. Par exemple en France il y a environ 3 à 400 000 personnes devenues irrégulières à l’expiration de leur titre de séjour légal, mais qui sont en majorité insérées et très utiles à l’économie.
On éviterait l’appel d’air du fait de la restriction simultanée de l’accès automatique aux avantages sociaux et médicaux, et de la lutte contre les filières.
Qu’attend-on?
Tout cela nécessite une pédagogie politique intense, franche et crédible, pour faire reculer dans les opinions les approches binaires et manichéennes et décrédibiliser ceux qui exploitent les peurs liées à ce sujet. Exemple: l’immigration n’est, en soi, ni une chance, ni une catastrophe, elle peut être l’une ou l’autre selon la façon dont elle est gérée et expliquée. L’asile devrait pouvoir être plus généreux (que l’on pense aux Syriens, aux chrétiens d’Orient), et assumé comme tel, mais il ne doit pas être détourné à des fins économiques, sinon il sera rejeté par les opinions, etc.
Il est en même temps nécessaire, car cela est malheureusement lié, de mettre fin à la politique de l’autruche sur le danger islamiste, auquel nos opinions sont à juste titre hypersensibles. C’est important que cette lutte soit clairement assumée depuis janvier 2015, sinon nous risquions un rejet de l’Islam tout entier. Et que soit pris un double engagement clair : de l’Europe en faveur des modernistes musulmans; et de la part de ces derniers, une affirmation plus franche de leurs positions.
On parle toujours de plan Marshal au bénéfice de l’Afrique, d’où proviennent encore tant de candidats à l’immigration, jeunes et courageux, prêts à tous les risques! Mais il y en a eu plusieurs depuis les années 60! Surtout on semble oublier les perspectives économiques africaines, extrêmement prometteuses. L’Afrique ne demande presque plus d’aide au développement, mais des accès au marché européen, et des investissements. Le nombre de migrants africains devrait diminuer avec le temps.
Déchirée entre une horreur sincère, une générosité spontanée mais qui ne peut être sans limites, le refus depuis des années d’admettre la brutalité du monde, elle qui croit tant à la «communauté» internationale, et l’obligation de ne pas faire vaciller la démocratie chez elle, l’Europe devrait saisir par les cheveux du drame l’occasion de se métamorphoser, de se montrer forte et généreuse, généreuse parce qu’enfin réaliste et forte. Comme le demande à juste titre Jean Claude Juncker, il faut aller beaucoup plus loin que les petits pas positifs du Conseil européen du 23 avril C’est notre mission, et c’est notre intérêt. Il est possible d’en convaincre les peuples d’Europe.