Si il n’y a quasiment plus en Europe de vrais anti-européens, les européens divergent encore sur l’identité de l’Europe, sur son rôle dans le monde et sur ses institutions. Nous ne surmonterons ces obstacles qu’en les analysant.
L’identité. Faut-il une limite géographique à l’Union et où? Le désaccord reste profond entre ceux, comme la Grande-Bretagne, qui ne se soucient pas de l’identité européenne – question théorique à leurs yeux – et estiment qu’il n’y a pas à fixer de limites ou de frontières à l’Union, ni aujourd’hui, ni demain, et ceux, comme la France, qui estiment qu’il n’y a pas de construction politique cohérente et appropriable par ses citoyens sans une assise géographiquement définie. Presque tous les états membres acceptent la nécessité d’une «pause» dans l’élargissement, mais la question n’est pas tranchée dans son principe.
Le degré d’intégration politique. De la Grande-Bretagne et de la plupart des nouveaux pays membres -pour qui l’intégration actuelle est suffisante voire excessive-, jusqu’à ceux qui restent animés, comme le Premier Ministre belge, M. Verhofstadt, par l’espérance fédéraliste de voir se créer un jour des «Etats-Unis d’Europe», il y a un large éventail de positions. La répartition claire et stable des pouvoirs entre l’Union européenne et les Etats-nations reste à fixer. Cette incertitude est anxiogène pour les peuples, comme l’est l’élargissement sans limites.
Le rôle dans le monde. Tous les européens sont pour la paix, la démocratie et les droits de l’homme, et Javier Solana incarne vaillamment la partie commune de leurs politiques étrangères. Mais il n’y a accord entre les 27 ni sur une Europe puissance à la française, qui est contestée par hédonisme, ingénuité ou atlantisme, ni sur ce que ferait cette Europe puissance vis-à-vis des Etats-Unis, de la Russie ou de la Chine ou encore au Proche-Orient. Les honorables résultats actuels de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ne suffisent pas. Il faudra un saut qualitatif et un accord politique entre les grands pays européens sur la politique étrangère de ce nouveau pôle du monde de demain.
Mais aujourd’hui le blocage le plus immédiat porte sur les perspectives institutionnelles. Les institutions fonctionnent, mais il n’y a pas consensus sur la suite. Il y a plusieurs propositions de relance, très différentes. Quelques pays, la Grande-Bretagne et les autres, s’accommodent – faute de mieux ou par préférence réelle –
du traité de Nice.
La majorité juge cependant indispensable une réforme institutionnelle
-on ne dit plus «constitutionnelle». Les dix-huit pays qui ont ratifié le traité constitutionnel se sont réunis à Madrid en janvier pour faire pression sur les neufs autres. Mais cet espoir est vain: il n’y aura pas de nouveau vote en France et aux Pays-Bas sur le même texte et, de toute façon, il demeurerait les incertitudes britanniques, polonaises et tchèques. Et ces dix-huit pays ne peuvent pas avancer sans la France et les Pays-Bas.
Certains, comme Nicolas Sarkozy, pensent possible de faire ratifier par les parlements des pays qui ont voté non un «petit traité», soit les dispositions purement institutionnelles et, en principe, non controversées, du Traité constitutionnel. Mais des voix se sont déjà élevées en Europe contre le principe même d’un «petit traité», par exemple en Espagne. Tous les états ne sont pas d’accord sur ce qu’il faudrait garder, ou retirer, du traité constitutionnel (option dite du traité «moins»), ou encore y ajouter (traité «plus»). Il y aurait donc négociation.
De ce fait, certains sont prêts à prendre le risque de la négociation d’un nouveau traité, aux résultats incertains, sans même parler de sa ratification.
*
Comment sortir de ce labyrinthe? L’Allemagne constatera l’impossibilité de faire ratifier tel quel par les Vingt-Sept le traité constitutionnel. Au conseil européen de juin, qui conclura sa présidence, elle proposera la négociation, par une conférence intergouvernementale, d’un traité simplifié qui conserverait la «substance» du traité constitutionnel, soit, à ses yeux la double majorité (le calcul démographique la fait passer de 9 à 18% des voix au Conseil), les principes généraux de la répartition des compétences dans l’Union, qui confortent le fédéralisme allemand, la présidence durable du conseil, le ministre européen des affaires étrangères, la Charte des droits fondamentaux.
Cette négociation étant censée aboutir au plus tard fin 2008, sous présidence française. On prête aussi à Nicolas Sarkozy le projet de faire passer au Parlement français, sans attendre, les parties réputées non contestées du Traité. De son côté, Ségolène Royal, comme François Bayrou, a évoqué au terme de la négociation du nouveau traité un nouveau référendum.
C’est certainement la proposition allemande de méthode qui fera consensus en juin. Mais quelle que soit la voie empruntée, une incertitude persistera, au moins jusqu’en 2008, sur la ratification de cet éventuel nouveau texte, car aucun de ces scénarios n’est assuré de réussir sans une préparation préalable des opinions européennes. Celles-ci comprendront mieux l’utilité de cette nouvelle tentative de réforme institutionnelle si elle n’apparaît pas comme une fin en soi. Dans cet esprit, on peut imaginer la séquence suivante, en trois étapes:
1) Annonce solennelle d’une pause dans l’élargissement;
2) Annonce de nouvelles politiques communes à Vingt-Sept, d’une politique commune dans la zone euro et de projets à Vingt-Sept ou à quelques-uns. Réuni trois jours à l’UNESCO, sous l’égide d’Albert Mallet, le Forum de Paris a ainsi été l’occasion d’une analyse exhaustive et éclairante de l’état de l’Union. Il a donné lieu à de nombreuses propositions, par exemple une «Communauté de l’énergie, de l’environnement et de la Recherche» ou une «communauté euro-méditerranéenne»;
3) Traité institutionnel simplifié ratifié par les Parlements.
**
Que les Européens aient besoin d’une Europe unie et forte pour mieux défendre leurs légitimes intérêts et propager leurs idées et leurs valeurs dans le monde global, c’est l’évidence même! Que le monde ait besoin, pour faire face à l’urgence écologique, pour enrayer le risque de clash des civilisations et pour imposer à l’économie globale de marché des règles éthique, sociales, et environnementales d’une Europe qui saurait qui elle est et ce qu’elle veut et qui s’en donne les moyens, est non moins évident. On constate d’ailleurs une vraie demande d’Europe un peu partout dans le monde.
Mais tout cela nous n’y parviendrons pas par des incantations ni en nous émouvant sur les étapes glorieuses de la construction européenne. Nous y parviendrons si les Européens, refusant d’être les simples spectateurs d’un monde multipolaire qui se ferait sans eux, voire contre eux, se mettent d’accord, dans un esprit de compromis constructif sur les limites et donc l’identité de l’Europe, sur l’organisation du pouvoir et de la démocratie en Europe, sur le rôle de celle-ci dans le monde et sur des projets ambitieux. Du coup, la réforme institutionnelle paraîtra le moyen nécessaire de cette ambition et non une fin en soi. C’est indispensable. Je crois que c’est possible.
Si il n’y a quasiment plus en Europe de vrais anti-européens, les européens divergent encore sur l’identité de l’Europe, sur son rôle dans le monde et sur ses institutions. Nous ne surmonterons ces obstacles qu’en les analysant.
L’identité. Faut-il une limite géographique à l’Union et où? Le désaccord reste profond entre ceux, comme la Grande-Bretagne, qui ne se soucient pas de l’identité européenne – question théorique à leurs yeux – et estiment qu’il n’y a pas à fixer de limites ou de frontières à l’Union, ni aujourd’hui, ni demain, et ceux, comme la France, qui estiment qu’il n’y a pas de construction politique cohérente et appropriable par ses citoyens sans une assise géographiquement définie. Presque tous les états membres acceptent la nécessité d’une «pause» dans l’élargissement, mais la question n’est pas tranchée dans son principe.
Le degré d’intégration politique. De la Grande-Bretagne et de la plupart des nouveaux pays membres -pour qui l’intégration actuelle est suffisante voire excessive-, jusqu’à ceux qui restent animés, comme le Premier Ministre belge, M. Verhofstadt, par l’espérance fédéraliste de voir se créer un jour des «Etats-Unis d’Europe», il y a un large éventail de positions. La répartition claire et stable des pouvoirs entre l’Union européenne et les Etats-nations reste à fixer. Cette incertitude est anxiogène pour les peuples, comme l’est l’élargissement sans limites.
Le rôle dans le monde. Tous les européens sont pour la paix, la démocratie et les droits de l’homme, et Javier Solana incarne vaillamment la partie commune de leurs politiques étrangères. Mais il n’y a accord entre les 27 ni sur une Europe puissance à la française, qui est contestée par hédonisme, ingénuité ou atlantisme, ni sur ce que ferait cette Europe puissance vis-à-vis des Etats-Unis, de la Russie ou de la Chine ou encore au Proche-Orient. Les honorables résultats actuels de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ne suffisent pas. Il faudra un saut qualitatif et un accord politique entre les grands pays européens sur la politique étrangère de ce nouveau pôle du monde de demain.
Mais aujourd’hui le blocage le plus immédiat porte sur les perspectives institutionnelles. Les institutions fonctionnent, mais il n’y a pas consensus sur la suite. Il y a plusieurs propositions de relance, très différentes. Quelques pays, la Grande-Bretagne et les autres, s’accommodent – faute de mieux ou par préférence réelle –
du traité de Nice.
La majorité juge cependant indispensable une réforme institutionnelle
-on ne dit plus «constitutionnelle». Les dix-huit pays qui ont ratifié le traité constitutionnel se sont réunis à Madrid en janvier pour faire pression sur les neufs autres. Mais cet espoir est vain: il n’y aura pas de nouveau vote en France et aux Pays-Bas sur le même texte et, de toute façon, il demeurerait les incertitudes britanniques, polonaises et tchèques. Et ces dix-huit pays ne peuvent pas avancer sans la France et les Pays-Bas.
Certains, comme Nicolas Sarkozy, pensent possible de faire ratifier par les parlements des pays qui ont voté non un «petit traité», soit les dispositions purement institutionnelles et, en principe, non controversées, du Traité constitutionnel. Mais des voix se sont déjà élevées en Europe contre le principe même d’un «petit traité», par exemple en Espagne. Tous les états ne sont pas d’accord sur ce qu’il faudrait garder, ou retirer, du traité constitutionnel (option dite du traité «moins»), ou encore y ajouter (traité «plus»). Il y aurait donc négociation.
De ce fait, certains sont prêts à prendre le risque de la négociation d’un nouveau traité, aux résultats incertains, sans même parler de sa ratification.
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Comment sortir de ce labyrinthe? L’Allemagne constatera l’impossibilité de faire ratifier tel quel par les Vingt-Sept le traité constitutionnel. Au conseil européen de juin, qui conclura sa présidence, elle proposera la négociation, par une conférence intergouvernementale, d’un traité simplifié qui conserverait la «substance» du traité constitutionnel, soit, à ses yeux la double majorité (le calcul démographique la fait passer de 9 à 18% des voix au Conseil), les principes généraux de la répartition des compétences dans l’Union, qui confortent le fédéralisme allemand, la présidence durable du conseil, le ministre européen des affaires étrangères, la Charte des droits fondamentaux.
Cette négociation étant censée aboutir au plus tard fin 2008, sous présidence française. On prête aussi à Nicolas Sarkozy le projet de faire passer au Parlement français, sans attendre, les parties réputées non contestées du Traité. De son côté, Ségolène Royal, comme François Bayrou, a évoqué au terme de la négociation du nouveau traité un nouveau référendum.
C’est certainement la proposition allemande de méthode qui fera consensus en juin. Mais quelle que soit la voie empruntée, une incertitude persistera, au moins jusqu’en 2008, sur la ratification de cet éventuel nouveau texte, car aucun de ces scénarios n’est assuré de réussir sans une préparation préalable des opinions européennes. Celles-ci comprendront mieux l’utilité de cette nouvelle tentative de réforme institutionnelle si elle n’apparaît pas comme une fin en soi. Dans cet esprit, on peut imaginer la séquence suivante, en trois étapes:
1) Annonce solennelle d’une pause dans l’élargissement;
2) Annonce de nouvelles politiques communes à Vingt-Sept, d’une politique commune dans la zone euro et de projets à Vingt-Sept ou à quelques-uns. Réuni trois jours à l’UNESCO, sous l’égide d’Albert Mallet, le Forum de Paris a ainsi été l’occasion d’une analyse exhaustive et éclairante de l’état de l’Union. Il a donné lieu à de nombreuses propositions, par exemple une «Communauté de l’énergie, de l’environnement et de la Recherche» ou une «communauté euro-méditerranéenne»;
3) Traité institutionnel simplifié ratifié par les Parlements.
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Que les Européens aient besoin d’une Europe unie et forte pour mieux défendre leurs légitimes intérêts et propager leurs idées et leurs valeurs dans le monde global, c’est l’évidence même! Que le monde ait besoin, pour faire face à l’urgence écologique, pour enrayer le risque de clash des civilisations et pour imposer à l’économie globale de marché des règles éthique, sociales, et environnementales d’une Europe qui saurait qui elle est et ce qu’elle veut et qui s’en donne les moyens, est non moins évident. On constate d’ailleurs une vraie demande d’Europe un peu partout dans le monde.
Mais tout cela nous n’y parviendrons pas par des incantations ni en nous émouvant sur les étapes glorieuses de la construction européenne. Nous y parviendrons si les Européens, refusant d’être les simples spectateurs d’un monde multipolaire qui se ferait sans eux, voire contre eux, se mettent d’accord, dans un esprit de compromis constructif sur les limites et donc l’identité de l’Europe, sur l’organisation du pouvoir et de la démocratie en Europe, sur le rôle de celle-ci dans le monde et sur des projets ambitieux. Du coup, la réforme institutionnelle paraîtra le moyen nécessaire de cette ambition et non une fin en soi. C’est indispensable. Je crois que c’est possible.