Le Point – Et Après ?

La crise que nous traversons est historique, écrivez-vous, car elle est « le premier trauma universel » de l’Histoire de l’Humanité. Plus de 4,5 milliards d’êtres humains étaient encore confinés fin avril. On serait donc fous de penser que cela n’aura pas de conséquences ?

 

Oui, car jamais le monde entier n’avait eu peur de la même menace, en même temps ! Et cette peur globale inédite s’est propagée de façon fulgurante au rythme de l’information instantanée et du mouvement brownien des voyageurs de toute sorte, qui sont la marque de notre époque. Cela aura des conséquences anthropologiques profondes, mais peut-être pas immédiates. Et pourtant, certains scientifiques ont dit dès le début que ce virus n’avait rien de comparable à ceux qui ont causé les grandes pandémies du passé, et que son taux de létalité final était en réalité faible. Ces remarques statistiquement fondées sont restées inaudibles. Comme les prévisions et mises en garde. Sans doute parce que les admettre aurait entraîné une remise en cause inassumable de nos modes de vie. Il le faudra pourtant. La pression démographique et le mode de développement prédateur conduisent entre autres à raser des forêts, et globalement à faire dysfonctionner la nature. Si cela continue comme ça, en Chine, en Indonésie, au Brésil ou en Afrique, il n’y a pas de raison que ce « déconfinement des virus » ne se reproduise pas. Mais on peut agir. Pendant un an, ou un an et demi, il va y avoir des rendez-vous internationaux clés pour tirer des leçons des réactions mondiales à cette pandémie.

 

Qu’est-ce qui vous le fait penser ? On voit bien qu’aujourd’hui la priorité est économique.

 

La priorité était 1) sanitaire, 2) éviter le collapse économique, et maintenant, 3) c’est le redressement économique. Ce n’est pas contradictoire, c’est consécutif. Et maintenant, il va falloir écologiser nos modes de vie et de production. Les écologistes ont eu, avant les autres, de bonnes intuitions, mais ils sont restés minoritaires : trop gauchistes, trop utopistes, trop opposés à la science. Pour certains, l’écologie n’était qu’un nouveau levier pour détruire la société telle qu’elle est. Pas de quoi devenir majoritaire ! La « décroissance » intégrale est de toute façon inapplicable : les quatre cinquièmes de l’humanité veulent croître, ils aspirent à vivre mieux. Ce n’est pas nous qui allons les en empêcher. Ce qui n’est pas contradictoire, loin de là, avec un meilleur encadrement et une correction de la mondialisation. Quant aux survivalistes comme Yves Cochet, leur démarche est honorable, mais elle est individuelle et ne donne pas de solution pour une planète surpeuplée par des milliards d’êtres humains.

 

Au radicalisme vert, vous opposez en effet une « écologisation » progressive de la société. Quelle est la différence entre « écologie » et « écologisation » ?

 

La même qu’entre « industrie » et « industrialisation ». Dans un cas, c’est un concept descriptif et statique. Dans l’autre, un concept dynamique, c’est une politique, des actions, des investissements… Et mon idée c’est qu’il faut tout écologiser. La survie à terme de l’espèce humaine est en danger si 9 à 10 milliards d’humains fonctionnent « à l’occidentale », y compris la Chine, avec le même degré de consommation d’énergie non renouvelable, de rejets de CO2, d’abus massifs de pesticides, de déchets non recyclés, d’effondrement de la biodiversité, de destruction de tous les milieux naturels. Mais ce constat reste inaudible pour la plupart des gens, car la tâche paraît insurmontable faute d’alternative convaincante et disponible. D’où le déni, ou la panique. Nous pouvons pourtant agir concrètement, en refusant tout romantisme ou idéologie. La réponse, contrairement à ce que prônent les écologistes politiques qui se sont beaucoup trompés, et n’ont guère proposé jusqu’ici de solution viable, suppose plus de science, et moins d’émotion. En écologisant, étape par étape, nous pouvons apporter des réponses concrètes. Construire des immeubles à énergie neutre, voire positive. Manger un peu moins de viande, sans mettre au chômage une immense filière mondiale !  Procéder par étape. Recycler, rendre l’économie circulaire, développer une chimie verte. Conserver le nucléaire – grâce auquel la France ne contribue qu’à 1% à l’effet de serre dans le monde – jusqu’à ce que le solaire soit vraiment compétitif. Les écologistes ont une lourde responsabilité à cet égard, mais aussi Madame Merkel qui, pour gagner des élections régionales, a sorti son pays prématurément du nucléaire, ce qui a relancé l’usage du charbon ! Et au niveau européen, l’Allemagne continue d’ailleurs de façon choquante, à travers des processus bureaucratiques, d’essayer de délégitimer le nucléaire chez ses partenaires, alors que la priorité absolue devrait être la réduction du CO2.

 

La décision réaffirmée par le gouvernement de fermer 14 réacteurs d’ici 2035 est-elle une erreur ?

 

C’est évidemment une décision politicienne, pas rationnelle. Il faut mettre le paquet sur le solaire et l’éolien, jusqu’à ce qu’ils puissent fonctionner sans être subventionnés, et fermer des réacteurs quand on pourra s’en passer. Je suis convaincu que l’écologisation de l’industrie, et de tout le reste, va devenir le moteur économique de l’avenir. Nous n’avons fait aucun effort, par exemple, depuis des décennies pour rendre l’agro-écologie plus productive. Nous devons fixer des objectifs à 10 ou 15 ans, et introduire une dynamique.

 

Sur le plan global, on voit s’ouvrir une période d’incertitudes… Comment voyez-vous la ré-émergence de la Chine au XXIe siècle ? 

 

La pandémie ne change pas fondamentalement les relations internationales. Elle révèle simplement leur dureté à des gens qui jusque-là étaient un peu myopes. L’émergence de la Chine a commencé il y a une trentaine d’années et elle est fulgurante. Ce bras de fer entre la Chine (qui veut devenir numéro 1) et les États-Unis qui veulent l’en empêcher, va dominer les prochaines décennies. Avec le risque pour l’Europe d’être écartelée.

 

Vous appelez l’Europe, justement, au sortir de cette crise, à « se métamorphoser en puissance. » Est-il encore temps ?

 

Il le faut. Les discours français pour une « Europe puissance », qu’on tenu presque tous nos présidents, et en particulier Emmanuel Macron, n’ont pas donné jusqu’ici de résultats suffisants. N’oublions pas qu’après la seconde Guerre mondiale, presque tous les Européens ont refusé la compétition, et les rapports de forces, et l’idée même de puissance, dont on pensait qu’ils avaient conduit au désastre. Des millions de morts, des atrocités, des fanatismes. Ils ont demandé aux États-Unis de les protéger, et à l’abri de l’Alliance Atlantique, ils ont fabriqué le Marché commun, puis le Marché unique (avec ses normes !). L’Europe est ainsi devenue une sorte de petit paradis pour Bisounours. Mais le monde c’est Jurassic Park !

 

Vous y allez fort !

 

Mais non ! C’est ce qui se passe quand on jette Machiavel – en fait, les réalités – à la poubelle. Nous avons cru – c’était un peu « l’idéologie OMC » – que tout irait bien puisque les pays en développement allaient devenir, en se développant et en commerçant, plus modernes, plus démocratiques, et ainsi nos valeurs allaient se répandre dans l’univers. Nous avons été naïfs. Jusqu’au choc chinois ! Il est temps de se défaire de cette naïveté. Ne serait-ce que dans le domaine sanitaire, ce serait le moment. La révélation de notre dépendance presque complète dans certains secteurs montre que notre vision idéalisée de la mondialisation a tourné, en partie, à notre détriment. Bien sûr, ce sera difficile, par exemple une certaine réindustrialisation (écologisée !), mais c’est indispensable. La nouvelle Commission européenne tient sur tous ces sujets un langage différent, nouveau et prometteur.

 

« On a commis une erreur avec les souverainistes. On a ringardisé l’attachement à la souveraineté nationale », dites-vous.  Qu’est-ce que ça veut dire ?

 

Regardez les mots qu’on emploie automatiquement quand on veut ridiculiser le souverainisme : « égoïsme national ». Quand le maire de Marseille s’occupe de Marseille, est ce que c’est de « l’égoïsme municipal » ? Deux ou trois générations de dirigeants étaient mues par l’idée que pour construire l’Europe, il fallait éradiquer le sentiment national. Jacques Delors, lui, qui n’est pas un idéologue, employait le terme, pour les raisonner, de fédération d’États-nations. L’idée fédéraliste soutenue par une majorité des élites et des milieux économiques n’est jamais devenue majoritaire, et elle l’est moins que jamais. Les peuples n’ont pas marché. Rappelez-vous que Maastricht n’était passé qu’à 51% ! Emmanuel Macron, européiste convaincu, mais aussi président expérimenté dans le monde réel de l’Union Européenne à 27, est en situation de pouvoir associer la souveraineté européenne à concrétiser, et une souveraineté nationale réaffirmée. La pandémie nous l’a montré : les gens se sont tournés vers les gouvernements nationaux, la région, ou leur ville. Personne n’a demandé quoi que ce soit un commissaire européen qui distribue les masques dans toute l’Europe ou qui décide de fermer telle école dans le Morbihan ou en Bavière. Proximité !

 

Les gens ont surtout découvert que leurs respirateurs, leurs médicaments étaient fabriqués en dehors d’Europe. Ce n’était pas son job de garder en Europe ces éléments stratégiques ?

 

L’Europe n’a pas été créée pour fabriquer des respirateurs. Et si vous attendez tout de l’Europe, tout lui sera reproché, et ainsi vous aurez nourri le populisme. Maintenant, évidemment que je suis pour la « souveraineté en commun ». Mais il faut garder un lien avec les gens pour garder une légitimité démocratique. Il faut montrer que l’Europe est forte de la force de chaque nation, et qu’en réglementant à outrance, avec des normes ubuesques, on a perdu l’enracinement.  Certains paniquent dès qu’on parle de frontières, mais une frontière, ce n’est pas un mur !  Voyez Régis Debray et Michel Foucher à ce sujet.

 

Il ne faut donc pas aller vers une Europe fédérale ?

 

Quel peuple le demande ? Si on applique vraiment l’idée fédérale, et si les États membres perdent leur droit de véto, qui existe dans certains domaines, tant que les décisions se prennent à l’unanimité, alors la France sera minoritaire sur tous les sujets auxquels tiennent les Français. Notre « modèle social » ? C’est un anti-modèle économique, fiscal, et même social, pour tous les autres ! L’énergie nucléaire ?  On serait quasiment seuls. La politique culturelle, n’en parlons même pas. Même remarque sur la la politique étrangère, puisqu’il s’agirait surtout de ne se mêler de rien, à part quelques déclarations. Bref, c’est l’idée Bisounours, ou neutraliste, ou un moralisme verbal impuissant qui deviendrait majoritaire. Car, contrairement à une croyance répandue, plus d’intégration européenne ne veut pas dire plus de puissance. Il faut faire la révolution mentale des Européens, ne pas leur dire qu’on va s’en remettre à l’Europe, mais qu’on va rendre l’Europe plus forte par la combinaison des ambitions réveillées des États membres, et les rassurer en expliquant qu’ils resteront des Français, des Allemands, des Danois, des Portugais, etc., et qu’il ne s’agit pas de leur piquer ce qui leur reste de leur souveraineté. Alchimie complexe et dont je pense qu’elle désembourberait le débat européen. De toute façon, c’est un faux débat. Les Européens ne pourraient pas se mettre d’accord sur un traité allant dans un sens vraiment fédéraliste et il ne serait jamais ratifié à l’unanimité.

 

La crise sanitaire va-t-elle entraîner une relocalisation des chaînes productions, selon vous ? Par pays, ou sur de grands ensembles ? 

 

Tous les praticiens de la mondialisation, et même les patrons d’entreprise qui ont accompagné les mouvements de délocalisations ont admis que les choses ont changé. Pascal Lamy, Christine Lagarde, Dominique Strauss-Kahn ont dit clairement que la fameuse chaîne de valeur ultra mondialisée allait être repensée. Pour réindustrialiser (les Allemands se sont mondialisés sans se désindustrialiser), nous devons retrouver le sens de la prévision, de la planification, pour pouvoir faire des investissements lourds, à long terme, ce que les entreprises font presque mieux que les États. Ce ne sont pas les politiques qui décideront en détail des modalités de la réindustrialisation, ce sont les chefs d’entreprises qui choisiront de se repositionner en France, ou peut-être au Maroc, en Italie, en Espagne, au Sénégal … Les gouvernements doivent encadrer, orienter, favoriser, mais pas gérer. Les nouvelles combinaisons seront plus régionales. Mais il reste des domaines ou cela sera toujours moins cher d’acheter ou de fabriquer en Chine. Bien sûr, il faudra se mettre d’accord sur la définition de ce qui est stratégique.

 

Vous proposez un nouvel indicateur pour que les États soient évalués en fonction de leur impact sur le climat ou la biodiversité : Le PIB écologique.

Supposons que vous rasiez une forêt pour construire une usine polluante qui va engendrer des cancers pendant des décennies, ce sera considéré comme de la croissance ! L’idée d’un PIB écologique, à terme PIB/E, serait que les coûts écologiques externalisés soient pleinement pris en compte et qu’on leur attribue une valeur. La taxe carbone est un début. Si on arrivait à ce PIB/E – grâce à un mathématicien ou économiste génial ! – n’importe décideur économique, – même un trader cocaïné – renoncerait à un investissement qui serait comme une aberration écologique, pas parce qu’il se serait « converti » à l’écologie, mais parce que ça ne serait pas rentable.

 

C’est audacieux, et pourtant, dans ces réflexions prospectives, vous rendez hommage à un homme politique du passé… Lionel Jospin dont vous citez la formule célèbre, qui serait, dites vous, « le meilleur des fils conducteurs » : « oui à l’économie de marché, non à la société de marché. »

 

L’excellent gouvernement Jospin n’est pas si ancien que cela ! C’est un petit signal à mes amis de gauche, qui sont un peu perdus ! Ils ne savent plus bien où ils sont. Si le gauchisme culturel est devenu très puissant, la gauche institutionnelle n’a plus de base politique claire, elle est devenue une sorte de zombie. Elle a peut-être un avenir, mais elle ne renaitra pas sous la forme qu’on a connue. La gauche, c’était la réaction à l’industrialisation du XIXe siècle, qui a été d’une grande violence, très bien décrite par Zola, Dickens, etc., une réaction sociale infiniment justifiée à cette violence, grâce à des actions ouvrières, puis de syndicats, puis de partis, qui ont émergé pour permettre que ces conditions de travail soient radicalement transformées. C’est la grande et belle histoire de la gauche, qui s’est poursuivie jusqu’à l’époque moderne, avec l’État-providence, gérée par la social-démocratie, mais il nécessite un niveau d’imposition fiscale tellement élevé, presque confiscatoire, que ça ne pouvait marcher bien qu’avec une croissance forte, comme pendant les Trente Glorieuses. Mais il y a eu les chocs pétroliers … La gauche était donc historiquement sur une pente descendante, surtout après la grande révolution des années École de Chicago, Thatcher, Reagan. Et en quelque sorte, Mitterrand, ce grand sorcier de la politique, qui a réussi à rassembler le bric et le broc, et toutes les familles de la gauche, a été élu en 1981 à contretemps. Il a eu à gauche des successeurs honorables, mais les familles de la gauche, une fois dépassée la césure fondamentale entre les communistes et les socialistes, se sont à nouveau divisées, voire émiettées, entre les tenants d’une vision gauchisto-sociétale, complaisante avec l’islamogauchisme (ce qui désespère les gens du Maghreb qui luttent tous les jours chez eux contre l’islamisme) et les tenants d’une captation de l’écologie, comme s’ils pouvaient se régénérer avec ce sang frais. Mais ils n’y arriveront pas… Alors qu’est ce qui reste valable aujourd’hui ? La formule de Lionel Jospin reste la plus juste. On se rallie à l’économie de marché, la seule qui fonctionne, avec tout ce qu’elle implique, en l’encadrant – on réindustrialise, on réinvestit, on travaille plus s’il le faut, on prévoit, on oriente, mais on refuse que l’approche marchande dévore tout de nos vies. C’est bien ce que l’on a vu quand les gens applaudissaient les soignants.

 

Vous plaidez pour la création d’un poste de « vice premier ministre chargé de l’écologisation » ? Vous êtes candidat ?

 

Pas du tout. Mais j’use de mon droit de faire des propositions. Il me semble que si l’écologie est gérée par un ministère particulier, ça ne marche pas très bien, quelle que soit la qualité des responsables. A fortiori si ce ministère est aussi chargé d’un autre domaine, comme l’industrie. C’est comme si on disait Ministère du budget, et de l’agriculture. L’approche écologique doit être globale et transversale. D’où ma proposition. Ce serait quelqu’un doté d’une petite équipe qui ne gèrerait pas, mais qui pourrait demander à chaque ministre : « qu’est-ce que tu peux écologiser dans ton domaine en un an, deux ans, cinq ans, etc. ? ». Il pourrait faire appel à l’arbitrage du Président ou du Premier ministre, en cas de besoin. En plus, une chambre des « générations futures », idée de Robert Lion et Jacques Attali que je soutiens, évaluerait chaque année, publiquement, pour éclairer les futures décisions, les domaines dans lesquels il y a eu avancée, stagnation ou recul, et ferait des propositions devant les deux autres chambres réunies. Cela permettrait de faire avancer d’un même pas les responsables et l’opinion.

 

« Nous disposons d’un an ou deux pour ne pas rater ces rendez-vous. », écrivez-vous. Vous n’êtes vraiment pas en train de faire des offres de service ?

 

Non, je vous l’ai dit. Je pense d’ailleurs que la politique est devenue un truc impossible. Le jeu des réseaux sociaux, de l’information continue, des activistes, détruit tout en permanence. Et je plaide qu’on soit compréhensif avec les gouvernants ! Mais ayant été vingt ans au cœur du pouvoir dans ce pays, je souhaite continuer à participer au débat d’idées. Je le fais avec une liberté complète qui ne me détermine pas par rapport à un contexte politique.

 

Et qu’est-ce qu’il faudrait faire, pour commencer ? Vous ne hiérarchisez pas, dans votre livre…

 

Attendez, ce n’est pas une réunion interministérielle avec un relevé de conclusions ! Mais, si, dans ce bref essai, il y a plusieurs pistes et suggestions, pas seulement sur l’écologisation, et je distingue l’essentiel de l’accessoire. Je souhaite ardemment que notre pays s’en sorte, se redresse, soit moins masochiste, moins handicapé par son pessimisme, soit plus réaliste et plus ambitieux. « Et après ? » Nous y sommes.

 

Propos recueillis par Christophe Ono-dit-Biot et Géraldine Woessner 

Le Point – Et Après ?

Hubert Vedrine

La crise que nous traversons est historique, écrivez-vous, car elle est « le premier trauma universel » de l’Histoire de l’Humanité. Plus de 4,5 milliards d’êtres humains étaient encore confinés fin avril. On serait donc fous de penser que cela n’aura pas de conséquences ?

 

Oui, car jamais le monde entier n’avait eu peur de la même menace, en même temps ! Et cette peur globale inédite s’est propagée de façon fulgurante au rythme de l’information instantanée et du mouvement brownien des voyageurs de toute sorte, qui sont la marque de notre époque. Cela aura des conséquences anthropologiques profondes, mais peut-être pas immédiates. Et pourtant, certains scientifiques ont dit dès le début que ce virus n’avait rien de comparable à ceux qui ont causé les grandes pandémies du passé, et que son taux de létalité final était en réalité faible. Ces remarques statistiquement fondées sont restées inaudibles. Comme les prévisions et mises en garde. Sans doute parce que les admettre aurait entraîné une remise en cause inassumable de nos modes de vie. Il le faudra pourtant. La pression démographique et le mode de développement prédateur conduisent entre autres à raser des forêts, et globalement à faire dysfonctionner la nature. Si cela continue comme ça, en Chine, en Indonésie, au Brésil ou en Afrique, il n’y a pas de raison que ce « déconfinement des virus » ne se reproduise pas. Mais on peut agir. Pendant un an, ou un an et demi, il va y avoir des rendez-vous internationaux clés pour tirer des leçons des réactions mondiales à cette pandémie.

 

Qu’est-ce qui vous le fait penser ? On voit bien qu’aujourd’hui la priorité est économique.

 

La priorité était 1) sanitaire, 2) éviter le collapse économique, et maintenant, 3) c’est le redressement économique. Ce n’est pas contradictoire, c’est consécutif. Et maintenant, il va falloir écologiser nos modes de vie et de production. Les écologistes ont eu, avant les autres, de bonnes intuitions, mais ils sont restés minoritaires : trop gauchistes, trop utopistes, trop opposés à la science. Pour certains, l’écologie n’était qu’un nouveau levier pour détruire la société telle qu’elle est. Pas de quoi devenir majoritaire ! La « décroissance » intégrale est de toute façon inapplicable : les quatre cinquièmes de l’humanité veulent croître, ils aspirent à vivre mieux. Ce n’est pas nous qui allons les en empêcher. Ce qui n’est pas contradictoire, loin de là, avec un meilleur encadrement et une correction de la mondialisation. Quant aux survivalistes comme Yves Cochet, leur démarche est honorable, mais elle est individuelle et ne donne pas de solution pour une planète surpeuplée par des milliards d’êtres humains.

 

Au radicalisme vert, vous opposez en effet une « écologisation » progressive de la société. Quelle est la différence entre « écologie » et « écologisation » ?

 

La même qu’entre « industrie » et « industrialisation ». Dans un cas, c’est un concept descriptif et statique. Dans l’autre, un concept dynamique, c’est une politique, des actions, des investissements… Et mon idée c’est qu’il faut tout écologiser. La survie à terme de l’espèce humaine est en danger si 9 à 10 milliards d’humains fonctionnent « à l’occidentale », y compris la Chine, avec le même degré de consommation d’énergie non renouvelable, de rejets de CO2, d’abus massifs de pesticides, de déchets non recyclés, d’effondrement de la biodiversité, de destruction de tous les milieux naturels. Mais ce constat reste inaudible pour la plupart des gens, car la tâche paraît insurmontable faute d’alternative convaincante et disponible. D’où le déni, ou la panique. Nous pouvons pourtant agir concrètement, en refusant tout romantisme ou idéologie. La réponse, contrairement à ce que prônent les écologistes politiques qui se sont beaucoup trompés, et n’ont guère proposé jusqu’ici de solution viable, suppose plus de science, et moins d’émotion. En écologisant, étape par étape, nous pouvons apporter des réponses concrètes. Construire des immeubles à énergie neutre, voire positive. Manger un peu moins de viande, sans mettre au chômage une immense filière mondiale !  Procéder par étape. Recycler, rendre l’économie circulaire, développer une chimie verte. Conserver le nucléaire – grâce auquel la France ne contribue qu’à 1% à l’effet de serre dans le monde – jusqu’à ce que le solaire soit vraiment compétitif. Les écologistes ont une lourde responsabilité à cet égard, mais aussi Madame Merkel qui, pour gagner des élections régionales, a sorti son pays prématurément du nucléaire, ce qui a relancé l’usage du charbon ! Et au niveau européen, l’Allemagne continue d’ailleurs de façon choquante, à travers des processus bureaucratiques, d’essayer de délégitimer le nucléaire chez ses partenaires, alors que la priorité absolue devrait être la réduction du CO2.

 

La décision réaffirmée par le gouvernement de fermer 14 réacteurs d’ici 2035 est-elle une erreur ?

 

C’est évidemment une décision politicienne, pas rationnelle. Il faut mettre le paquet sur le solaire et l’éolien, jusqu’à ce qu’ils puissent fonctionner sans être subventionnés, et fermer des réacteurs quand on pourra s’en passer. Je suis convaincu que l’écologisation de l’industrie, et de tout le reste, va devenir le moteur économique de l’avenir. Nous n’avons fait aucun effort, par exemple, depuis des décennies pour rendre l’agro-écologie plus productive. Nous devons fixer des objectifs à 10 ou 15 ans, et introduire une dynamique.

 

Sur le plan global, on voit s’ouvrir une période d’incertitudes… Comment voyez-vous la ré-émergence de la Chine au XXIe siècle ? 

 

La pandémie ne change pas fondamentalement les relations internationales. Elle révèle simplement leur dureté à des gens qui jusque-là étaient un peu myopes. L’émergence de la Chine a commencé il y a une trentaine d’années et elle est fulgurante. Ce bras de fer entre la Chine (qui veut devenir numéro 1) et les États-Unis qui veulent l’en empêcher, va dominer les prochaines décennies. Avec le risque pour l’Europe d’être écartelée.

 

Vous appelez l’Europe, justement, au sortir de cette crise, à « se métamorphoser en puissance. » Est-il encore temps ?

 

Il le faut. Les discours français pour une « Europe puissance », qu’on tenu presque tous nos présidents, et en particulier Emmanuel Macron, n’ont pas donné jusqu’ici de résultats suffisants. N’oublions pas qu’après la seconde Guerre mondiale, presque tous les Européens ont refusé la compétition, et les rapports de forces, et l’idée même de puissance, dont on pensait qu’ils avaient conduit au désastre. Des millions de morts, des atrocités, des fanatismes. Ils ont demandé aux États-Unis de les protéger, et à l’abri de l’Alliance Atlantique, ils ont fabriqué le Marché commun, puis le Marché unique (avec ses normes !). L’Europe est ainsi devenue une sorte de petit paradis pour Bisounours. Mais le monde c’est Jurassic Park !

 

Vous y allez fort !

 

Mais non ! C’est ce qui se passe quand on jette Machiavel – en fait, les réalités – à la poubelle. Nous avons cru – c’était un peu « l’idéologie OMC » – que tout irait bien puisque les pays en développement allaient devenir, en se développant et en commerçant, plus modernes, plus démocratiques, et ainsi nos valeurs allaient se répandre dans l’univers. Nous avons été naïfs. Jusqu’au choc chinois ! Il est temps de se défaire de cette naïveté. Ne serait-ce que dans le domaine sanitaire, ce serait le moment. La révélation de notre dépendance presque complète dans certains secteurs montre que notre vision idéalisée de la mondialisation a tourné, en partie, à notre détriment. Bien sûr, ce sera difficile, par exemple une certaine réindustrialisation (écologisée !), mais c’est indispensable. La nouvelle Commission européenne tient sur tous ces sujets un langage différent, nouveau et prometteur.

 

« On a commis une erreur avec les souverainistes. On a ringardisé l’attachement à la souveraineté nationale », dites-vous.  Qu’est-ce que ça veut dire ?

 

Regardez les mots qu’on emploie automatiquement quand on veut ridiculiser le souverainisme : « égoïsme national ». Quand le maire de Marseille s’occupe de Marseille, est ce que c’est de « l’égoïsme municipal » ? Deux ou trois générations de dirigeants étaient mues par l’idée que pour construire l’Europe, il fallait éradiquer le sentiment national. Jacques Delors, lui, qui n’est pas un idéologue, employait le terme, pour les raisonner, de fédération d’États-nations. L’idée fédéraliste soutenue par une majorité des élites et des milieux économiques n’est jamais devenue majoritaire, et elle l’est moins que jamais. Les peuples n’ont pas marché. Rappelez-vous que Maastricht n’était passé qu’à 51% ! Emmanuel Macron, européiste convaincu, mais aussi président expérimenté dans le monde réel de l’Union Européenne à 27, est en situation de pouvoir associer la souveraineté européenne à concrétiser, et une souveraineté nationale réaffirmée. La pandémie nous l’a montré : les gens se sont tournés vers les gouvernements nationaux, la région, ou leur ville. Personne n’a demandé quoi que ce soit un commissaire européen qui distribue les masques dans toute l’Europe ou qui décide de fermer telle école dans le Morbihan ou en Bavière. Proximité !

 

Les gens ont surtout découvert que leurs respirateurs, leurs médicaments étaient fabriqués en dehors d’Europe. Ce n’était pas son job de garder en Europe ces éléments stratégiques ?

 

L’Europe n’a pas été créée pour fabriquer des respirateurs. Et si vous attendez tout de l’Europe, tout lui sera reproché, et ainsi vous aurez nourri le populisme. Maintenant, évidemment que je suis pour la « souveraineté en commun ». Mais il faut garder un lien avec les gens pour garder une légitimité démocratique. Il faut montrer que l’Europe est forte de la force de chaque nation, et qu’en réglementant à outrance, avec des normes ubuesques, on a perdu l’enracinement.  Certains paniquent dès qu’on parle de frontières, mais une frontière, ce n’est pas un mur !  Voyez Régis Debray et Michel Foucher à ce sujet.

 

Il ne faut donc pas aller vers une Europe fédérale ?

 

Quel peuple le demande ? Si on applique vraiment l’idée fédérale, et si les États membres perdent leur droit de véto, qui existe dans certains domaines, tant que les décisions se prennent à l’unanimité, alors la France sera minoritaire sur tous les sujets auxquels tiennent les Français. Notre « modèle social » ? C’est un anti-modèle économique, fiscal, et même social, pour tous les autres ! L’énergie nucléaire ?  On serait quasiment seuls. La politique culturelle, n’en parlons même pas. Même remarque sur la la politique étrangère, puisqu’il s’agirait surtout de ne se mêler de rien, à part quelques déclarations. Bref, c’est l’idée Bisounours, ou neutraliste, ou un moralisme verbal impuissant qui deviendrait majoritaire. Car, contrairement à une croyance répandue, plus d’intégration européenne ne veut pas dire plus de puissance. Il faut faire la révolution mentale des Européens, ne pas leur dire qu’on va s’en remettre à l’Europe, mais qu’on va rendre l’Europe plus forte par la combinaison des ambitions réveillées des États membres, et les rassurer en expliquant qu’ils resteront des Français, des Allemands, des Danois, des Portugais, etc., et qu’il ne s’agit pas de leur piquer ce qui leur reste de leur souveraineté. Alchimie complexe et dont je pense qu’elle désembourberait le débat européen. De toute façon, c’est un faux débat. Les Européens ne pourraient pas se mettre d’accord sur un traité allant dans un sens vraiment fédéraliste et il ne serait jamais ratifié à l’unanimité.

 

La crise sanitaire va-t-elle entraîner une relocalisation des chaînes productions, selon vous ? Par pays, ou sur de grands ensembles ? 

 

Tous les praticiens de la mondialisation, et même les patrons d’entreprise qui ont accompagné les mouvements de délocalisations ont admis que les choses ont changé. Pascal Lamy, Christine Lagarde, Dominique Strauss-Kahn ont dit clairement que la fameuse chaîne de valeur ultra mondialisée allait être repensée. Pour réindustrialiser (les Allemands se sont mondialisés sans se désindustrialiser), nous devons retrouver le sens de la prévision, de la planification, pour pouvoir faire des investissements lourds, à long terme, ce que les entreprises font presque mieux que les États. Ce ne sont pas les politiques qui décideront en détail des modalités de la réindustrialisation, ce sont les chefs d’entreprises qui choisiront de se repositionner en France, ou peut-être au Maroc, en Italie, en Espagne, au Sénégal … Les gouvernements doivent encadrer, orienter, favoriser, mais pas gérer. Les nouvelles combinaisons seront plus régionales. Mais il reste des domaines ou cela sera toujours moins cher d’acheter ou de fabriquer en Chine. Bien sûr, il faudra se mettre d’accord sur la définition de ce qui est stratégique.

 

Vous proposez un nouvel indicateur pour que les États soient évalués en fonction de leur impact sur le climat ou la biodiversité : Le PIB écologique.

Supposons que vous rasiez une forêt pour construire une usine polluante qui va engendrer des cancers pendant des décennies, ce sera considéré comme de la croissance ! L’idée d’un PIB écologique, à terme PIB/E, serait que les coûts écologiques externalisés soient pleinement pris en compte et qu’on leur attribue une valeur. La taxe carbone est un début. Si on arrivait à ce PIB/E – grâce à un mathématicien ou économiste génial ! – n’importe décideur économique, – même un trader cocaïné – renoncerait à un investissement qui serait comme une aberration écologique, pas parce qu’il se serait « converti » à l’écologie, mais parce que ça ne serait pas rentable.

 

C’est audacieux, et pourtant, dans ces réflexions prospectives, vous rendez hommage à un homme politique du passé… Lionel Jospin dont vous citez la formule célèbre, qui serait, dites vous, « le meilleur des fils conducteurs » : « oui à l’économie de marché, non à la société de marché. »

 

L’excellent gouvernement Jospin n’est pas si ancien que cela ! C’est un petit signal à mes amis de gauche, qui sont un peu perdus ! Ils ne savent plus bien où ils sont. Si le gauchisme culturel est devenu très puissant, la gauche institutionnelle n’a plus de base politique claire, elle est devenue une sorte de zombie. Elle a peut-être un avenir, mais elle ne renaitra pas sous la forme qu’on a connue. La gauche, c’était la réaction à l’industrialisation du XIXe siècle, qui a été d’une grande violence, très bien décrite par Zola, Dickens, etc., une réaction sociale infiniment justifiée à cette violence, grâce à des actions ouvrières, puis de syndicats, puis de partis, qui ont émergé pour permettre que ces conditions de travail soient radicalement transformées. C’est la grande et belle histoire de la gauche, qui s’est poursuivie jusqu’à l’époque moderne, avec l’État-providence, gérée par la social-démocratie, mais il nécessite un niveau d’imposition fiscale tellement élevé, presque confiscatoire, que ça ne pouvait marcher bien qu’avec une croissance forte, comme pendant les Trente Glorieuses. Mais il y a eu les chocs pétroliers … La gauche était donc historiquement sur une pente descendante, surtout après la grande révolution des années École de Chicago, Thatcher, Reagan. Et en quelque sorte, Mitterrand, ce grand sorcier de la politique, qui a réussi à rassembler le bric et le broc, et toutes les familles de la gauche, a été élu en 1981 à contretemps. Il a eu à gauche des successeurs honorables, mais les familles de la gauche, une fois dépassée la césure fondamentale entre les communistes et les socialistes, se sont à nouveau divisées, voire émiettées, entre les tenants d’une vision gauchisto-sociétale, complaisante avec l’islamogauchisme (ce qui désespère les gens du Maghreb qui luttent tous les jours chez eux contre l’islamisme) et les tenants d’une captation de l’écologie, comme s’ils pouvaient se régénérer avec ce sang frais. Mais ils n’y arriveront pas… Alors qu’est ce qui reste valable aujourd’hui ? La formule de Lionel Jospin reste la plus juste. On se rallie à l’économie de marché, la seule qui fonctionne, avec tout ce qu’elle implique, en l’encadrant – on réindustrialise, on réinvestit, on travaille plus s’il le faut, on prévoit, on oriente, mais on refuse que l’approche marchande dévore tout de nos vies. C’est bien ce que l’on a vu quand les gens applaudissaient les soignants.

 

Vous plaidez pour la création d’un poste de « vice premier ministre chargé de l’écologisation » ? Vous êtes candidat ?

 

Pas du tout. Mais j’use de mon droit de faire des propositions. Il me semble que si l’écologie est gérée par un ministère particulier, ça ne marche pas très bien, quelle que soit la qualité des responsables. A fortiori si ce ministère est aussi chargé d’un autre domaine, comme l’industrie. C’est comme si on disait Ministère du budget, et de l’agriculture. L’approche écologique doit être globale et transversale. D’où ma proposition. Ce serait quelqu’un doté d’une petite équipe qui ne gèrerait pas, mais qui pourrait demander à chaque ministre : « qu’est-ce que tu peux écologiser dans ton domaine en un an, deux ans, cinq ans, etc. ? ». Il pourrait faire appel à l’arbitrage du Président ou du Premier ministre, en cas de besoin. En plus, une chambre des « générations futures », idée de Robert Lion et Jacques Attali que je soutiens, évaluerait chaque année, publiquement, pour éclairer les futures décisions, les domaines dans lesquels il y a eu avancée, stagnation ou recul, et ferait des propositions devant les deux autres chambres réunies. Cela permettrait de faire avancer d’un même pas les responsables et l’opinion.

 

« Nous disposons d’un an ou deux pour ne pas rater ces rendez-vous. », écrivez-vous. Vous n’êtes vraiment pas en train de faire des offres de service ?

 

Non, je vous l’ai dit. Je pense d’ailleurs que la politique est devenue un truc impossible. Le jeu des réseaux sociaux, de l’information continue, des activistes, détruit tout en permanence. Et je plaide qu’on soit compréhensif avec les gouvernants ! Mais ayant été vingt ans au cœur du pouvoir dans ce pays, je souhaite continuer à participer au débat d’idées. Je le fais avec une liberté complète qui ne me détermine pas par rapport à un contexte politique.

 

Et qu’est-ce qu’il faudrait faire, pour commencer ? Vous ne hiérarchisez pas, dans votre livre…

 

Attendez, ce n’est pas une réunion interministérielle avec un relevé de conclusions ! Mais, si, dans ce bref essai, il y a plusieurs pistes et suggestions, pas seulement sur l’écologisation, et je distingue l’essentiel de l’accessoire. Je souhaite ardemment que notre pays s’en sorte, se redresse, soit moins masochiste, moins handicapé par son pessimisme, soit plus réaliste et plus ambitieux. « Et après ? » Nous y sommes.

 

Propos recueillis par Christophe Ono-dit-Biot et Géraldine Woessner 

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01/07/2020