Entretien avec Hubert Védrine sur Bill Clinton: « Il a fait aimer l’Amérique»

George W. Bush vous fait-il regretter Bill Clinton?

Ce qui est frappant, avec le recul et par comparaison, ce sont les qualités de Clinton: l’intelligence, l’ouverture, la souplesse et la curiosité pour tout ce qui n’est pas l’Amérique. Clinton aurait pu être ce genre d’hommes politiques américains que les Européens adorent mais qui ne réussissent jamais aux Etats-Unis. Or, contrairement à certains intellectuels démocrates d’autrefois, il a réussi à se faire aimer des Américains et à se faire réélire.

D’après vous, son double mandat fut une réussite, y compris sur le plan intérieur?

Clinton a formidablement réussi, sur tous les plans. En prenant les critères un par un, y compris les critères économiques, on constate qu’il a obtenu de meilleurs paramètres que Reagan, que ce soit pour la croissance, l’emploi, la rentabilité, etc. Il a un talent exceptionnel et multiforme.

La relation franco-américaine était-elle plus facile du temps que Clinton?

Elle était plus facile car Bill Clinton et (son secrétaire d’Etat) Madeleine Albright n’avaient pas de prévention, pas d’a priori. Leur politique ne conduisait pas à l’antagonisme. On pouvait en parler et se mettre d’accord.

Il y a eu pourtant des divergences importantes, comme pendant la crise des Balkans?

Il y a toujours des désaccords entre la France et les Etats-Unis, comme entre les Etats-Unis et d’autres pays. La question est de parvenir à les gérer sans qu’ils dégénèrent. Avec Clinton et Albright, on pouvait le faire, à condition de se parler franchement et souvent. Et les désaccords n’étaient pas utilisés pour être envenimés, et d’autre part ils n’étaient pas sous tendus par cette vision manichéenne et incroyablement simpliste du monde qui anime aujourd’hui l’Administration Bush.

Clinton était-il favorable à l’intégration européenne?

Il avait une attitude assez ouverte par rapport à l’Europe. En tant que président américain, il ne souhaitait certes pas une Europe forte qui aurait posé des problèmes à l’Amérique. Cependant, il n’était ni suspicieux, ni hargneux.

Les avancées Européens en matière de politique étrangère ou de défense ne l’inquiétaient pas outre mesure. Si les Européens avaient été capables de faire des progrès dans ces domaines, Clinton s’en serait sans doute accommodé. Maintenant, je crains qu’on ne retrouve pas un tel interlocuteur avant longtemps.

Au Proche-Orient, comment jugez vous l’échec de Clinton?

Clinton a fait des efforts remarquables. Il a échoué, certes, mais ce n’est pas dû qu’à lui. Contrairement à ce qu’il dit, ce n’est pas dû qu’à Yasser Arafat non plus.

Vous mettez en cause la responsabilité du premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak?

L’échec s’explique par une combinaison des retards de Clinton, des hésitations et des maladresses de Barak, et des erreurs d’Arafat. Clinton charge Arafat parce que, aussi génial soit-il, il reste un homme politique américain. Il est un peu contraint sur ce point. Néanmoins, Clinton a été courageux sur le dossier du Proche-Orient. C’est prodigieux de la part d’un président américain d’avoir compris à ce point la détresse des Palestiniens.

Sa visite à Gaza fut remarquable. Il a su maintenir, en même temps, des relations chaleureuses et étroites avec les Israéliens. Il y avait là un élément de magie. Mais il s’est engagé trop tard, à l’extrême fin de son second mandat. Cela dit, si un jour on arrive à imposer la paix au Proche-Orient, ce sera forcément une combinaison des paramètres formulés par Clinton en décembre 2000, des conversations de Taba de janvier 2001 et du plan de Genève de 2003. Pour résumer je dirais: remarquable tentative, mais trop tardive.

Quel fut le principal succès de politique étrangère de Clinton?

Le talent de Clinton, c’est d’avoir réussi à rendre la puissance de son pays, que j’ai appelée l’hyperpuissance, aimable et séduisante. C’est une réussite prodigieuse. Mais c’est un dommage au talent de l’artiste, lié à lui et forcement fragile, plutôt qu’un legs politique. La preuve: quand les Etats-Unis sont gouvernés de façon brutale, on voit bien aujourd’hui à quel point ils peuvent susciter d’hostilité dans le monde.

Entretien avec Hubert Védrine sur Bill Clinton: « Il a fait aimer l’Amérique»

Hubert Vedrine

Entretien avec Hubert Védrine sur Bill Clinton: « Il a fait aimer l’Amérique»

George W. Bush vous fait-il regretter Bill Clinton?

Ce qui est frappant, avec le recul et par comparaison, ce sont les qualités de Clinton: l’intelligence, l’ouverture, la souplesse et la curiosité pour tout ce qui n’est pas l’Amérique. Clinton aurait pu être ce genre d’hommes politiques américains que les Européens adorent mais qui ne réussissent jamais aux Etats-Unis. Or, contrairement à certains intellectuels démocrates d’autrefois, il a réussi à se faire aimer des Américains et à se faire réélire.

D’après vous, son double mandat fut une réussite, y compris sur le plan intérieur?

Clinton a formidablement réussi, sur tous les plans. En prenant les critères un par un, y compris les critères économiques, on constate qu’il a obtenu de meilleurs paramètres que Reagan, que ce soit pour la croissance, l’emploi, la rentabilité, etc. Il a un talent exceptionnel et multiforme.

La relation franco-américaine était-elle plus facile du temps que Clinton?

Elle était plus facile car Bill Clinton et (son secrétaire d’Etat) Madeleine Albright n’avaient pas de prévention, pas d’a priori. Leur politique ne conduisait pas à l’antagonisme. On pouvait en parler et se mettre d’accord.

Il y a eu pourtant des divergences importantes, comme pendant la crise des Balkans?

Il y a toujours des désaccords entre la France et les Etats-Unis, comme entre les Etats-Unis et d’autres pays. La question est de parvenir à les gérer sans qu’ils dégénèrent. Avec Clinton et Albright, on pouvait le faire, à condition de se parler franchement et souvent. Et les désaccords n’étaient pas utilisés pour être envenimés, et d’autre part ils n’étaient pas sous tendus par cette vision manichéenne et incroyablement simpliste du monde qui anime aujourd’hui l’Administration Bush.

Clinton était-il favorable à l’intégration européenne?

Il avait une attitude assez ouverte par rapport à l’Europe. En tant que président américain, il ne souhaitait certes pas une Europe forte qui aurait posé des problèmes à l’Amérique. Cependant, il n’était ni suspicieux, ni hargneux.

Les avancées Européens en matière de politique étrangère ou de défense ne l’inquiétaient pas outre mesure. Si les Européens avaient été capables de faire des progrès dans ces domaines, Clinton s’en serait sans doute accommodé. Maintenant, je crains qu’on ne retrouve pas un tel interlocuteur avant longtemps.

Au Proche-Orient, comment jugez vous l’échec de Clinton?

Clinton a fait des efforts remarquables. Il a échoué, certes, mais ce n’est pas dû qu’à lui. Contrairement à ce qu’il dit, ce n’est pas dû qu’à Yasser Arafat non plus.

Vous mettez en cause la responsabilité du premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak?

L’échec s’explique par une combinaison des retards de Clinton, des hésitations et des maladresses de Barak, et des erreurs d’Arafat. Clinton charge Arafat parce que, aussi génial soit-il, il reste un homme politique américain. Il est un peu contraint sur ce point. Néanmoins, Clinton a été courageux sur le dossier du Proche-Orient. C’est prodigieux de la part d’un président américain d’avoir compris à ce point la détresse des Palestiniens.

Sa visite à Gaza fut remarquable. Il a su maintenir, en même temps, des relations chaleureuses et étroites avec les Israéliens. Il y avait là un élément de magie. Mais il s’est engagé trop tard, à l’extrême fin de son second mandat. Cela dit, si un jour on arrive à imposer la paix au Proche-Orient, ce sera forcément une combinaison des paramètres formulés par Clinton en décembre 2000, des conversations de Taba de janvier 2001 et du plan de Genève de 2003. Pour résumer je dirais: remarquable tentative, mais trop tardive.

Quel fut le principal succès de politique étrangère de Clinton?

Le talent de Clinton, c’est d’avoir réussi à rendre la puissance de son pays, que j’ai appelée l’hyperpuissance, aimable et séduisante. C’est une réussite prodigieuse. Mais c’est un dommage au talent de l’artiste, lié à lui et forcement fragile, plutôt qu’un legs politique. La preuve: quand les Etats-Unis sont gouvernés de façon brutale, on voit bien aujourd’hui à quel point ils peuvent susciter d’hostilité dans le monde.

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23/06/2004