Dossier – La pensée du risque aujourd’hui

1- Dans quelle mesure le 11 septembre puis la guerre d’Irak ont-ils modifiés la nature des risques internationaux auxquels nous sommes confrontés?

Le 11 septembre est un symbole frappant et tragique, pas une cause. Ce qui a modifié la nature du risque lié au terrorisme, ce n’est pas le 11 septembre mais c’est l’intensification antérieure de la tension Islam/Occident, la dégénérescence d’une partie de l’Islam radical en terrorisme, la globalisation (monde global, terrorisme global), et la réponse inappropriée de l’administration Bush. La controverse se poursuit d’ailleurs sur la définition «du» ou «des» terrorisme(s) et sur la bonne façon (militaire, policière, politique) de le contrer, de le prévenir, de l’éradiquer. Là-dessus, les Occidentaux et les autres n’ont pas la même vision. Quant à la guerre menée à tort par les Etats-Unis en Irak, elle les a enfermé dans un piège colonial et elle fait flamber la haine anti-occidentale. Paradoxalement, la politique de l’administration Bush a élevé par diverses mesures le niveau de protection contre les terroristes; mais, en attisant la fureur arabo-islamique, elle a élevé plus encore le niveau de risques pour les Occidentaux. Cela dit, les terroristes peuvent tuer, inquiéter, perturber; ils ne peuvent pas gagner.

2- La situation actuelle, avec l’émergence d’un pôle unique, les Etats-Unis, est-elle de nature à rendre le monde moins risqué ou plus risqué?

Y a-t-il un pôle unique (l’hyperpuissance), ou un monde multipolaire en formation tumultueuse, cela est discuté. De toute façon, un pôle unique, un monde bipolaire, ou multipolaire, n’est pas en soi facteur de risque, ou de sécurité. Tout dépend si ce monde unipolaire, ou autre, est accepté ou pas, fonctionne ou pas, s’impose ou pas et garantit la sécurité ou non. Or, dans le monde actuel perdure une tension, voire un antagonisme, entre les Occidentaux, qui après avoir gagné la guerre froide estiment légitime d’étendre au monde les valeurs occidentales universelles, et les autres puissances, notamment les puissances émergentes, qui imposent de facto un monde multipolaire plus ou moins revanchard avec sa vision propre.

3- Dans cet environnement, quels seraient les axes d’une politique de sécurité pour la France?

On ne peut pas improviser ni partir de zéro dans ce domaine.
La sécurité de la France est assurée par l’addition de sa dissuasion nucléaire, de ses forces armées, de son appartenance à l’Otan, et de sa politique étrangère qui vise à résoudre les conflits dans le monde, à réduire les tensions (du type Islam/Occident), à conjurer les nouvelles menaces (économie illégale, prolifération d’armes dangereuses, risques écologiques et climatiques globaux, migrations massives incontrôlées, risques sanitaires massifs).
Ces actions se mènent à divers niveaux complémentaires: France seule, de façon multi- bilatérale; France au sein de l’Union Européenne avec les vingt quatre autres Etats membres; au Conseil de sécurité de l’Onu, avec les autres membres permanents. Il n’y a pas à choisir, mais à combiner.

4- Quelle place devrait-on donner à la l’Europe dans cette politique et à quelles conditions?

Les Etats membres de l’Union mènent en commun certaines actions de défense (Politique européenne de sécurité et de défense, PESD). En fait, il ne s’agit pas de défendre l’Europe – qui est déjà bien défendue – mais de doter l’Union d’une capacité d’interventions extérieures dans des opérations de rétablissement ou de maintien de la paix décidées en principe dans le cadre de l’ONU. La dissuasion nucléaire ne peut être que nationale car il faut un décideur, ou plutôt un dissuadeur, unique.

Les Européens pourraient aller beaucoup plus loin ensemble pour leur défense et leur sécurité. Cela suppose qu’ils surmontent les désaccords sur les problèmes suivants: L’Europe doit elle ou non devenir une puissance? Face aux Etats-Unis, l’Europe est elle un partenaire ou un satellite? Faut il renforcer à une défense européenne alors que l’Otan existe déjà? La France voudrait aller plus loin; beaucoup d’autres pays freinent le degré d’intégration des industries nationales d’armement.

Dossier – La pensée du risque aujourd’hui

Hubert Vedrine

Dossier – La pensée du risque aujourd’hui

1- Dans quelle mesure le 11 septembre puis la guerre d’Irak ont-ils modifiés la nature des risques internationaux auxquels nous sommes confrontés?

Le 11 septembre est un symbole frappant et tragique, pas une cause. Ce qui a modifié la nature du risque lié au terrorisme, ce n’est pas le 11 septembre mais c’est l’intensification antérieure de la tension Islam/Occident, la dégénérescence d’une partie de l’Islam radical en terrorisme, la globalisation (monde global, terrorisme global), et la réponse inappropriée de l’administration Bush. La controverse se poursuit d’ailleurs sur la définition «du» ou «des» terrorisme(s) et sur la bonne façon (militaire, policière, politique) de le contrer, de le prévenir, de l’éradiquer. Là-dessus, les Occidentaux et les autres n’ont pas la même vision. Quant à la guerre menée à tort par les Etats-Unis en Irak, elle les a enfermé dans un piège colonial et elle fait flamber la haine anti-occidentale. Paradoxalement, la politique de l’administration Bush a élevé par diverses mesures le niveau de protection contre les terroristes; mais, en attisant la fureur arabo-islamique, elle a élevé plus encore le niveau de risques pour les Occidentaux. Cela dit, les terroristes peuvent tuer, inquiéter, perturber; ils ne peuvent pas gagner.

2- La situation actuelle, avec l’émergence d’un pôle unique, les Etats-Unis, est-elle de nature à rendre le monde moins risqué ou plus risqué?

Y a-t-il un pôle unique (l’hyperpuissance), ou un monde multipolaire en formation tumultueuse, cela est discuté. De toute façon, un pôle unique, un monde bipolaire, ou multipolaire, n’est pas en soi facteur de risque, ou de sécurité. Tout dépend si ce monde unipolaire, ou autre, est accepté ou pas, fonctionne ou pas, s’impose ou pas et garantit la sécurité ou non. Or, dans le monde actuel perdure une tension, voire un antagonisme, entre les Occidentaux, qui après avoir gagné la guerre froide estiment légitime d’étendre au monde les valeurs occidentales universelles, et les autres puissances, notamment les puissances émergentes, qui imposent de facto un monde multipolaire plus ou moins revanchard avec sa vision propre.

3- Dans cet environnement, quels seraient les axes d’une politique de sécurité pour la France?

On ne peut pas improviser ni partir de zéro dans ce domaine.
La sécurité de la France est assurée par l’addition de sa dissuasion nucléaire, de ses forces armées, de son appartenance à l’Otan, et de sa politique étrangère qui vise à résoudre les conflits dans le monde, à réduire les tensions (du type Islam/Occident), à conjurer les nouvelles menaces (économie illégale, prolifération d’armes dangereuses, risques écologiques et climatiques globaux, migrations massives incontrôlées, risques sanitaires massifs).
Ces actions se mènent à divers niveaux complémentaires: France seule, de façon multi- bilatérale; France au sein de l’Union Européenne avec les vingt quatre autres Etats membres; au Conseil de sécurité de l’Onu, avec les autres membres permanents. Il n’y a pas à choisir, mais à combiner.

4- Quelle place devrait-on donner à la l’Europe dans cette politique et à quelles conditions?

Les Etats membres de l’Union mènent en commun certaines actions de défense (Politique européenne de sécurité et de défense, PESD). En fait, il ne s’agit pas de défendre l’Europe – qui est déjà bien défendue – mais de doter l’Union d’une capacité d’interventions extérieures dans des opérations de rétablissement ou de maintien de la paix décidées en principe dans le cadre de l’ONU. La dissuasion nucléaire ne peut être que nationale car il faut un décideur, ou plutôt un dissuadeur, unique.

Les Européens pourraient aller beaucoup plus loin ensemble pour leur défense et leur sécurité. Cela suppose qu’ils surmontent les désaccords sur les problèmes suivants: L’Europe doit elle ou non devenir une puissance? Face aux Etats-Unis, l’Europe est elle un partenaire ou un satellite? Faut il renforcer à une défense européenne alors que l’Otan existe déjà? La France voudrait aller plus loin; beaucoup d’autres pays freinent le degré d’intégration des industries nationales d’armement.

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22/12/2006