Critiquer l’Allemagne

Les déclarations caricaturales de personnalités politiques françaises des derniers jours sur l’Allemagne, trop agressives, à gauche, ou au contraire, trop inquiètes à gauche et à droite, sont révélatrices d’un malaise français persistant à l’égard de l’Allemagne, né de l’érosion de mythes confortables (le «couple») et de l’intériorisation de craintes inavouées (le décrochage). Les européistes répètent qu’il faut «politiser» les questions européennes: nous y voilà, pugilat, exagérations et mauvaise foi inclus!

Nous serons handicapés dans notre rapport à l’Allemagne tant que cette gêne n’aura pas été clarifiée et dépassée, au profit d’une entente raisonnable et féconde.

Le récit qui a fondé la religion d’état de l’amitié franco-allemande a été longtemps nécessaire, mais il était déjà en partie imaginaire («l’Europe c’est la paix», la «réconciliation», le traité de 1963 célébré comme s’il avait été signé en 1946, etc). Il s’est épuisé depuis la réunification. D’ailleurs les français ont été les seuls (par nostalgie de la parité franco-allemande perdue? par crainte de la réalité nouvelle?) à ânonner ces dernières années qu’il faut «relancer le couple franco-allemand pour relancer la construction européenne». Soyons plus réalistes mais pas démagogues : c’est trop facile de faire de Mme Merkel, et de «la droite européenne», des boucs émissaires. Tout cela en flattant dans son déni la gauche de la gauche et une part croissante d’une opinion presque désespérée. Tout cela en oubliant notre dette, la nécessité – Mme Merkel ou pas – de restaurer notre souveraineté face à des marchés financiers à qui nous devons emprunter 200 milliards d’euros par an, en occultant le fait que les fameux 3%, que François Hollande assume avec courage, ont été à l’origine une invention française, auto régulatrice.

De l’autre côté certaines réactions françaises indignées ou inquiètes, laissent à penser qu’il serait interdit de critiquer l’Allemagne. Pourtant cela peut être légitime, de contester la politique économique allemande. Cela dépend comment, et ce que l’on propose d’autre. Obama, le FMI, l’OCDE, P. Streinbruck, les Suédois, les Portugais, et donc Barroso, les Néerlandais (c’est très nouveau), l’Italie tout en gardant l’objectif d’assainissement des finances publiques, ne s’en privent pas en réclamant de la croissance en Europe, et donc un étalement du calendrier du retour au 3%, ce que la commission est en train d’admettre. Ce n’est donc pas le moment de flatter la gauche de la gauche mais, au contraire, de renforcer le mouvement dans la zone euro pour entrainer, après les élections de septembre, l’Allemagne elle-même. La controverse récente nous dessert, tellement elle met en évidence, vue d’Allemagne et d’Europe, nos blocages, à moins que nos partenaires ne l’interprètent comme une répartition tactique des rôlesà Paris, ce qui n’est pas mieux.

Pourtant cela ne manque pas de questions sérieuses à débattre avec l’ Allemagne: que veut dire le concept vague d’»Union Politique» (in fine qui déciderait quoidans cette Union?) Comment retrouver une croissance saine? Une politique énergétique européenne est-elle possible? Grâce à quelles réformes être compétitifs par rapport aux émergents? Mais aussi selon quelles règles?

Pour cela dépassons le pathos historico-commémoratif, ne nous laissons pas aller à de vaines imprécations, mais ne soyons pas non plus complexés par l’Allemagne. Soyons des partenaires exigeants mais normaux et sereins, et reconstituons l’entente indispensable avec l’Allemagne, sans spéculer sur un changement de chancelier.

Critiquer l’Allemagne

Hubert Vedrine

Critiquer l’Allemagne

Les déclarations caricaturales de personnalités politiques françaises des derniers jours sur l’Allemagne, trop agressives, à gauche, ou au contraire, trop inquiètes à gauche et à droite, sont révélatrices d’un malaise français persistant à l’égard de l’Allemagne, né de l’érosion de mythes confortables (le «couple») et de l’intériorisation de craintes inavouées (le décrochage). Les européistes répètent qu’il faut «politiser» les questions européennes: nous y voilà, pugilat, exagérations et mauvaise foi inclus!

Nous serons handicapés dans notre rapport à l’Allemagne tant que cette gêne n’aura pas été clarifiée et dépassée, au profit d’une entente raisonnable et féconde.

Le récit qui a fondé la religion d’état de l’amitié franco-allemande a été longtemps nécessaire, mais il était déjà en partie imaginaire («l’Europe c’est la paix», la «réconciliation», le traité de 1963 célébré comme s’il avait été signé en 1946, etc). Il s’est épuisé depuis la réunification. D’ailleurs les français ont été les seuls (par nostalgie de la parité franco-allemande perdue? par crainte de la réalité nouvelle?) à ânonner ces dernières années qu’il faut «relancer le couple franco-allemand pour relancer la construction européenne». Soyons plus réalistes mais pas démagogues : c’est trop facile de faire de Mme Merkel, et de «la droite européenne», des boucs émissaires. Tout cela en flattant dans son déni la gauche de la gauche et une part croissante d’une opinion presque désespérée. Tout cela en oubliant notre dette, la nécessité – Mme Merkel ou pas – de restaurer notre souveraineté face à des marchés financiers à qui nous devons emprunter 200 milliards d’euros par an, en occultant le fait que les fameux 3%, que François Hollande assume avec courage, ont été à l’origine une invention française, auto régulatrice.

De l’autre côté certaines réactions françaises indignées ou inquiètes, laissent à penser qu’il serait interdit de critiquer l’Allemagne. Pourtant cela peut être légitime, de contester la politique économique allemande. Cela dépend comment, et ce que l’on propose d’autre. Obama, le FMI, l’OCDE, P. Streinbruck, les Suédois, les Portugais, et donc Barroso, les Néerlandais (c’est très nouveau), l’Italie tout en gardant l’objectif d’assainissement des finances publiques, ne s’en privent pas en réclamant de la croissance en Europe, et donc un étalement du calendrier du retour au 3%, ce que la commission est en train d’admettre. Ce n’est donc pas le moment de flatter la gauche de la gauche mais, au contraire, de renforcer le mouvement dans la zone euro pour entrainer, après les élections de septembre, l’Allemagne elle-même. La controverse récente nous dessert, tellement elle met en évidence, vue d’Allemagne et d’Europe, nos blocages, à moins que nos partenaires ne l’interprètent comme une répartition tactique des rôlesà Paris, ce qui n’est pas mieux.

Pourtant cela ne manque pas de questions sérieuses à débattre avec l’ Allemagne: que veut dire le concept vague d’»Union Politique» (in fine qui déciderait quoidans cette Union?) Comment retrouver une croissance saine? Une politique énergétique européenne est-elle possible? Grâce à quelles réformes être compétitifs par rapport aux émergents? Mais aussi selon quelles règles?

Pour cela dépassons le pathos historico-commémoratif, ne nous laissons pas aller à de vaines imprécations, mais ne soyons pas non plus complexés par l’Allemagne. Soyons des partenaires exigeants mais normaux et sereins, et reconstituons l’entente indispensable avec l’Allemagne, sans spéculer sur un changement de chancelier.

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09/05/2013