Contribution à un recueil de textes sur Tilo Schabert

J’ai fait la connaissance du professeur Tilo Schabert en 1993. J’étais alors Secrétaire Général de l’Elysée. Nous étions deux ans avant la fin du mandat du Président Mitterrand. Sa maladie était connue depuis l’été 1992. Suite aux élections du printemps 1993 et à la victoire parlementaire de la droite, la France se trouvait pour la seconde fois en situation de cohabitation. Edouard Balladur était Premier ministre.

Recommandé par personne Tilo Schabert avait pris contact avec Jean Musitelli, alors Porte-parole de la Présidence, qui l’avait reçu. Tilo Schabert lui avait fait part de ses souhaits: pouvoir rencontrer à l’Elysée les collaborateurs du Président Mitterrand. Il voulait étudier le fonctionnement du pouvoir et s’intéressait particulièrement à la façon dont il était organisé autour du Président français. Après Jean Musitelli dont la réaction avait été immédiatement favorable, je donnais un accord de principe à cette démarche, promettant à Tilo Schabert la plus large coopération et l’accès aux documents qui l’intéressaient, tout en m’assurant que le Président n’y voyait pas d’inconvénient.

Il faut dire que nous étions rentrés depuis l’année 1991 dans la zone des tempêtes. Pas une initiative, pas une position de Président Mitterrand qui n’ait été à partir de cette période violemment controversée ou critiquée, jusqu’à l’absurde. Et cela pour des raisons très diverses de politique intérieure. Dans ce contexte, n’importe quel travail un tant soit peu sérieux sur François Mitterrand ou sa politique ne pouvait conduire selon nous qu’à un jugement plus positif. Surtout si cela émanait de quelqu’un d’étranger aux querelles franco-françaises. Un professeur allemand, qui avait l’air sérieux, méthodique, sans idée préconçue.: c’était inespéré! Et nos premières conversations montrèrent un homme très cultivé capable de remettre la politique en perspective, intéressé par l’histoire, sensible au sens profond des choses. Et, par ailleurs, lisant, parlant et comprenant le français avec aisance et finesse. Certes Tilo Schabert s’intéressait au fonctionnement du pouvoir et, à ce moment là, pas encore spécialement à la politique allemande de François Mitterrand. Mais c’était de toute façon très intéressant pour nous. Nous lui ouvrîmes donc nos portes.

Voilà comment Tilo Schabert put rencontrer les uns et les autres à l’Elysée, nouer avec eux des relations de confiance, et consulter avec notre accord notes, dossiers et archives diverses.

Par la suite, Tilo Schabert décida de s’intéresser, grâce à son information de première main, à la politique de la France envers la réunification allemande. Peut être avait-il été frappé par la mauvaise foi et la partialité avec lesquelles elle avait été commentée du côté français. Finalement, il décida d’étudier toute le politique allemande de François Mitterrand de 1981 à 1995. Et il compléta méthodiquement son enquête et recoupa ses sources en vérifiant tout ce qui avait été fait et dit à Bonn, Washington, Londres ou Moscou.

Tilo Schabert n’approuve évidemment pas tout ce qui a été fait par François Mitterrand vis-à-vis de l’Allemagne. Ce n’est pas son objet. Mais il réduit en poudre les jugements les plus courants (Mitterrand n’a rien vu, il était contre, il n’a pas fait ce qu’il fallait). Il entre dans la complexité, la densité et la logique de la politique allemande du Président qui apparaît dans toute son ampleur dès les entretiens avec Helmut Schmidt à l’Automne 1981. Il la donne à voir de l’intérieur.

Le résultat est impressionnant de sérieux. Je crois que ceux qui ont eu la chance de vivre ces événements auprès de François Mitterrand et qui avaient été constamment stupéfaits et indignés de la façon partiale dont sa politique avait été présentée à l’opinion publique française seront reconnaissants à Tilo Schabert. Non pas pour son soutien ou son engagement. Il ne s’agit pas de cela. C’est un chercheur et un professeur indépendant. Mais pour son honnêteté intellectuelle et son respect des faits, qui font honneur à l’école universitaire allemande et sont un des signes du passage des études sur le président Mitterrand de la politique à l’Histoire.

Contribution à un recueil de textes sur Tilo Schabert

Hubert Vedrine

Contribution à un recueil de textes sur Tilo Schabert

J’ai fait la connaissance du professeur Tilo Schabert en 1993. J’étais alors Secrétaire Général de l’Elysée. Nous étions deux ans avant la fin du mandat du Président Mitterrand. Sa maladie était connue depuis l’été 1992. Suite aux élections du printemps 1993 et à la victoire parlementaire de la droite, la France se trouvait pour la seconde fois en situation de cohabitation. Edouard Balladur était Premier ministre.

Recommandé par personne Tilo Schabert avait pris contact avec Jean Musitelli, alors Porte-parole de la Présidence, qui l’avait reçu. Tilo Schabert lui avait fait part de ses souhaits: pouvoir rencontrer à l’Elysée les collaborateurs du Président Mitterrand. Il voulait étudier le fonctionnement du pouvoir et s’intéressait particulièrement à la façon dont il était organisé autour du Président français. Après Jean Musitelli dont la réaction avait été immédiatement favorable, je donnais un accord de principe à cette démarche, promettant à Tilo Schabert la plus large coopération et l’accès aux documents qui l’intéressaient, tout en m’assurant que le Président n’y voyait pas d’inconvénient.

Il faut dire que nous étions rentrés depuis l’année 1991 dans la zone des tempêtes. Pas une initiative, pas une position de Président Mitterrand qui n’ait été à partir de cette période violemment controversée ou critiquée, jusqu’à l’absurde. Et cela pour des raisons très diverses de politique intérieure. Dans ce contexte, n’importe quel travail un tant soit peu sérieux sur François Mitterrand ou sa politique ne pouvait conduire selon nous qu’à un jugement plus positif. Surtout si cela émanait de quelqu’un d’étranger aux querelles franco-françaises. Un professeur allemand, qui avait l’air sérieux, méthodique, sans idée préconçue.: c’était inespéré! Et nos premières conversations montrèrent un homme très cultivé capable de remettre la politique en perspective, intéressé par l’histoire, sensible au sens profond des choses. Et, par ailleurs, lisant, parlant et comprenant le français avec aisance et finesse. Certes Tilo Schabert s’intéressait au fonctionnement du pouvoir et, à ce moment là, pas encore spécialement à la politique allemande de François Mitterrand. Mais c’était de toute façon très intéressant pour nous. Nous lui ouvrîmes donc nos portes.

Voilà comment Tilo Schabert put rencontrer les uns et les autres à l’Elysée, nouer avec eux des relations de confiance, et consulter avec notre accord notes, dossiers et archives diverses.

Par la suite, Tilo Schabert décida de s’intéresser, grâce à son information de première main, à la politique de la France envers la réunification allemande. Peut être avait-il été frappé par la mauvaise foi et la partialité avec lesquelles elle avait été commentée du côté français. Finalement, il décida d’étudier toute le politique allemande de François Mitterrand de 1981 à 1995. Et il compléta méthodiquement son enquête et recoupa ses sources en vérifiant tout ce qui avait été fait et dit à Bonn, Washington, Londres ou Moscou.

Tilo Schabert n’approuve évidemment pas tout ce qui a été fait par François Mitterrand vis-à-vis de l’Allemagne. Ce n’est pas son objet. Mais il réduit en poudre les jugements les plus courants (Mitterrand n’a rien vu, il était contre, il n’a pas fait ce qu’il fallait). Il entre dans la complexité, la densité et la logique de la politique allemande du Président qui apparaît dans toute son ampleur dès les entretiens avec Helmut Schmidt à l’Automne 1981. Il la donne à voir de l’intérieur.

Le résultat est impressionnant de sérieux. Je crois que ceux qui ont eu la chance de vivre ces événements auprès de François Mitterrand et qui avaient été constamment stupéfaits et indignés de la façon partiale dont sa politique avait été présentée à l’opinion publique française seront reconnaissants à Tilo Schabert. Non pas pour son soutien ou son engagement. Il ne s’agit pas de cela. C’est un chercheur et un professeur indépendant. Mais pour son honnêteté intellectuelle et son respect des faits, qui font honneur à l’école universitaire allemande et sont un des signes du passage des études sur le président Mitterrand de la politique à l’Histoire.

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01/04/2005