Comment sortir du statu quo au Proche-Orient?

Elie Barnavi a raison de comparer Jean Daniel à Albert Camus, de saluer son «intimidante hauteur de vues », éclatante dans ce recueil de textes, qui s’étend sur un demi-siècle. Et Elias Sanbar d’admirer sa «belle langue ». On ne rendra jamais assez hommage à Jean Daniel, à son engagement. Juste qui ne sera pas en paix tant qu’un accord équitable n’aura pas été atteint entre ces deux nationalismes aux prises sur la même terre.

Pourtant, l’accablement saisit qui considère à la fois ces textes si courageux… et la situation actuelle. En 2008, il n’y a toujours pas d’ Etat Palestinien viable! A quoi ont servi toutes ces initiatives, ces tournées, ces visites, la feuille de route, le Quartette, la conférence d’Annapolis en novembre 2007? Le processus d’Oslo, les discussions de l’année 2000, la «conversion» tardive mais stratégique de Sharon, etc? A rien.

Pourquoi ce blocage, alors que, depuis des années, la majorité des Israéliens acceptent un Etat Palestinien ? Tout le monde sait qu’une partie de l’opinion israélienne ,– nationalistes, religieux, colons, partisans du Grand Israël-, minoritaire mais efficace, a tout fait, depuis des décennies, pour rendre irréversible la possession par Israël des territoires occupés en 1967, sans que personne réussisse à les faire renoncer, y compris en inspirant l’assassinat d’un Premier Ministre israélien. Que les préalables du type: «on ne peut pas parler avec des terroristes,etc.», ont pour fonction de tout bloquer. Que ces forces d’obstruction ont bénéficié du basculement du pouvoir au sein des organisations juives américaines au profit du Likoud; du rapprochement de ces derniers avec les évangélistes fanatiques du Sud des Etats-Unis (40 millions); de leur alliance – dans les années 90- avec les néo-conservateurs. Qu’ils ont progressivement découragé les Européens –faciles à intimider- de tenter quoi que ce soit. La victoire, peu surprenante, du Hamas étant comme un prétexte nouveau pour ne pas bouger.
Même en France, qui a défendu la première la solution juste et raisonnable de deux Etats, on a vu l’opinion éprise de paix se lasser (1).

Il faut dire aussi que cette stratégie du fait accompli a constamment été aidée par les divisions et les surenchères, les atermoiements, les erreurs de jugement des Palestiniens, les provocations terroristes, le cynisme utilitaire et la lâcheté des régimes arabes.

Ce statu quo est intolérable. Insécurité existentielle pour les Israéliens, piégés dans la seule escalade sécuritaire, alors que, dans leur grande majorité, ils acceptent un Etat Palestinien ; conditions de vie abjectes pour les Palestiniens. Les relations Islam/Occident sont partout envenimées. Jean Daniel l’a dit cent fois. Que faire alors?

D’abord, ne pas attendre des négociations israélo-palestiniennes. Qu’ont-ils à négocier ensemble? Les Palestiniens ne peuvent pas, à la place des Israéliens évacuer les territoires occupés. Ils ne peuvent pas non plus satisfaire, au préalable, les exigences sécuritaires des Israéliens, et tout a été fait pour cela. Seul un Etat Palestinien viable et consolidé fournira petit à petit, après, ces légitimes garanties de sécurité à ses voisins. Que voulait dire Rabin par sa phrase inouïe « Je poursuivrai le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme »? 1/ Que le processus de paix n’est pas un cadeau fait aux Palestiniens, ni au monde extérieur, mais l’intérêt d’Israël.; 2/ que ce n’est pas aux terroristes de décider.

Il faut à Israël un nouveau Rabin. Pourquoi Ehud Olmert n’essaierait-il pas de l’être? Qui peut l’aider? Les diasporas américaines et françaises (on peut toujours rêver), mais surtout les Etats-Unis . Pourquoi George Bush ne soutiendrait-il pas cette politique? Il n’a plus rien à perdre. A Ramallah, il a dit que l’Etat Palestinien viable ( «pas un gruyère ») était urgent! Sinon, faudra-t-il attendre la fin du prochain second mandat, en…. 2016? Impensable.
En avançant, les Israéliens feront surgir un leader palestinien nationaliste capable d’engager son peuple dans le processus, y compris le Hamas. Les Etats-Unis, Israël, l’Europe, les pays arabes, les diasporas palestiniennes et israéliennes devront l’aider massivement à établir son autorité, à maîtriser les jusqu’au-boutistes, à assurer la sécurité. Un plan régional de développement serait lancé en parallèle (mais pas à la place de l’accord politique). Des garanties militaires seraient données, américaines aux Israéliens, internationales aux Palestiniens.

La solution? Comme le dit Kissinger, « tout le monde la connaît ». Elle a été approchée à Taba en 2001. Les Israéliens savent que le Grand Israël ne se fera pas. Les Palestiniens savent qu’ils n’auront pas mieux que Taba. Alors, pourquoi ces affrontements d’arrière-garde? Le temps n’est-il pas venu d’une politique qui privera les forcenés de leur droit de veto sur le sort de ces peuples otages?

Comme on aimerait lire les articles de Jean Daniel sur la mise en œuvre de ce processus, point d’orgue d’un demi-siècle d’engagement courageux! Qui sait?

HV

(*) «Israël, les Arabes, la Palestine: chroniques 1956-2008», par Jean Daniel, Galaade, 859 p., 29, 90 euros.
(1) Même les livres les plus percutants ont été salués distraitement, que ce soit celui de René Backmann sur le mur («Un mur en Palestine», ceux de Charles Enderlin sur le conflit («les Années perdues: Intifada et guerres au Proche-Orient 2001-2006»), ou celui de John Mearsheimer et Stephen Walt sur l’influence négative du «lobby pro-israélien» sur la politique étrangère américaine («le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine»).

Comment sortir du statu quo au Proche-Orient?

Hubert Vedrine

Comment sortir du statu quo au Proche-Orient?

Elie Barnavi a raison de comparer Jean Daniel à Albert Camus, de saluer son «intimidante hauteur de vues », éclatante dans ce recueil de textes, qui s’étend sur un demi-siècle. Et Elias Sanbar d’admirer sa «belle langue ». On ne rendra jamais assez hommage à Jean Daniel, à son engagement. Juste qui ne sera pas en paix tant qu’un accord équitable n’aura pas été atteint entre ces deux nationalismes aux prises sur la même terre.

Pourtant, l’accablement saisit qui considère à la fois ces textes si courageux… et la situation actuelle. En 2008, il n’y a toujours pas d’ Etat Palestinien viable! A quoi ont servi toutes ces initiatives, ces tournées, ces visites, la feuille de route, le Quartette, la conférence d’Annapolis en novembre 2007? Le processus d’Oslo, les discussions de l’année 2000, la «conversion» tardive mais stratégique de Sharon, etc? A rien.

Pourquoi ce blocage, alors que, depuis des années, la majorité des Israéliens acceptent un Etat Palestinien ? Tout le monde sait qu’une partie de l’opinion israélienne ,– nationalistes, religieux, colons, partisans du Grand Israël-, minoritaire mais efficace, a tout fait, depuis des décennies, pour rendre irréversible la possession par Israël des territoires occupés en 1967, sans que personne réussisse à les faire renoncer, y compris en inspirant l’assassinat d’un Premier Ministre israélien. Que les préalables du type: «on ne peut pas parler avec des terroristes,etc.», ont pour fonction de tout bloquer. Que ces forces d’obstruction ont bénéficié du basculement du pouvoir au sein des organisations juives américaines au profit du Likoud; du rapprochement de ces derniers avec les évangélistes fanatiques du Sud des Etats-Unis (40 millions); de leur alliance – dans les années 90- avec les néo-conservateurs. Qu’ils ont progressivement découragé les Européens –faciles à intimider- de tenter quoi que ce soit. La victoire, peu surprenante, du Hamas étant comme un prétexte nouveau pour ne pas bouger.
Même en France, qui a défendu la première la solution juste et raisonnable de deux Etats, on a vu l’opinion éprise de paix se lasser (1).

Il faut dire aussi que cette stratégie du fait accompli a constamment été aidée par les divisions et les surenchères, les atermoiements, les erreurs de jugement des Palestiniens, les provocations terroristes, le cynisme utilitaire et la lâcheté des régimes arabes.

Ce statu quo est intolérable. Insécurité existentielle pour les Israéliens, piégés dans la seule escalade sécuritaire, alors que, dans leur grande majorité, ils acceptent un Etat Palestinien ; conditions de vie abjectes pour les Palestiniens. Les relations Islam/Occident sont partout envenimées. Jean Daniel l’a dit cent fois. Que faire alors?

D’abord, ne pas attendre des négociations israélo-palestiniennes. Qu’ont-ils à négocier ensemble? Les Palestiniens ne peuvent pas, à la place des Israéliens évacuer les territoires occupés. Ils ne peuvent pas non plus satisfaire, au préalable, les exigences sécuritaires des Israéliens, et tout a été fait pour cela. Seul un Etat Palestinien viable et consolidé fournira petit à petit, après, ces légitimes garanties de sécurité à ses voisins. Que voulait dire Rabin par sa phrase inouïe « Je poursuivrai le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme »? 1/ Que le processus de paix n’est pas un cadeau fait aux Palestiniens, ni au monde extérieur, mais l’intérêt d’Israël.; 2/ que ce n’est pas aux terroristes de décider.

Il faut à Israël un nouveau Rabin. Pourquoi Ehud Olmert n’essaierait-il pas de l’être? Qui peut l’aider? Les diasporas américaines et françaises (on peut toujours rêver), mais surtout les Etats-Unis . Pourquoi George Bush ne soutiendrait-il pas cette politique? Il n’a plus rien à perdre. A Ramallah, il a dit que l’Etat Palestinien viable ( «pas un gruyère ») était urgent! Sinon, faudra-t-il attendre la fin du prochain second mandat, en…. 2016? Impensable.
En avançant, les Israéliens feront surgir un leader palestinien nationaliste capable d’engager son peuple dans le processus, y compris le Hamas. Les Etats-Unis, Israël, l’Europe, les pays arabes, les diasporas palestiniennes et israéliennes devront l’aider massivement à établir son autorité, à maîtriser les jusqu’au-boutistes, à assurer la sécurité. Un plan régional de développement serait lancé en parallèle (mais pas à la place de l’accord politique). Des garanties militaires seraient données, américaines aux Israéliens, internationales aux Palestiniens.

La solution? Comme le dit Kissinger, « tout le monde la connaît ». Elle a été approchée à Taba en 2001. Les Israéliens savent que le Grand Israël ne se fera pas. Les Palestiniens savent qu’ils n’auront pas mieux que Taba. Alors, pourquoi ces affrontements d’arrière-garde? Le temps n’est-il pas venu d’une politique qui privera les forcenés de leur droit de veto sur le sort de ces peuples otages?

Comme on aimerait lire les articles de Jean Daniel sur la mise en œuvre de ce processus, point d’orgue d’un demi-siècle d’engagement courageux! Qui sait?

HV

(*) «Israël, les Arabes, la Palestine: chroniques 1956-2008», par Jean Daniel, Galaade, 859 p., 29, 90 euros.
(1) Même les livres les plus percutants ont été salués distraitement, que ce soit celui de René Backmann sur le mur («Un mur en Palestine», ceux de Charles Enderlin sur le conflit («les Années perdues: Intifada et guerres au Proche-Orient 2001-2006»), ou celui de John Mearsheimer et Stephen Walt sur l’influence négative du «lobby pro-israélien» sur la politique étrangère américaine («le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine»).

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13/03/2008