Aux Israéliens et Palestiniens de bonne volonté

J’étais à la Knesset, le 4 mars 1982, quand François Mitterrand, premier président de la Ve République à se rendre en Israël, a prononcé un de ses plus grands discours, inspiré par l’amitié et l’affection qu’il ressentait pour le peuple juif et pour Israël, mais aussi par l’inquiétude, qu’il avait conclu en évoquant la perspective d’un État pour les Palestiniens, condition pour lui, à l’issue d’une longue réflexion, de la sécurité d’Israël à long terme. Et j’ai entendu Begin rétorquer : « La seule chose qui s’oppose à une amitié véritable entre la France et Israël, c’est votre soutien à un État palestinien. » Si les États-Unis avaient relayé à l’époque l’audace de François Mitterrand, la suite aurait pu être différente.

C’est ainsi que j’ai été jeté dans le grand bain du Proche-Orient. Autour de François Mitterrand, notre rôle était d’être en contact avec les responsables qui, de part et d’autre, admettaient qu’il y avait un problème à résoudre, et donc qu’il fallait trouver une solution. Ce sont ces gens-là, bravant courageusement dans leur camp oppositions, haines et menaces, avec qui j’ai travaillé, pendant les quatorze années où j’ai été auprès de François Mitterrand à l’Élysée, puis pendant les cinq années où j’ai été ministre dans le gouvernement Jospin pendant la présidence Chirac, et encore après, alors même que les espérances semblaient anéanties.

Espoir et accablement

Il y a, depuis plus de 75 ans, dans chaque camp, un gouffre entre maximalistes qui combattent toute concession et partisans d’un compromis territorial. Du côté palestinien et arabe, beaucoup n’ont jamais accepté l’existence d’Israël, même pas le plan de partage adopté par l’ONU le 29 novembre 1947, à une époque où seuls sept États arabes en étaient membres et où les Palestiniens n’étaient pas représentés. Ceux-là se sont opposés par la suite, par tous les moyens, à toute acceptation d’Israël. Mais d’autres ont décidé de renoncer au terrorisme et ont été prêts à reconnaître Israël dans ses frontières de 1948 dès lors que les Palestiniens auraient eux- mêmes leur propre État.

Même fossé en Israël et dans le monde juif, entre ceux qui ne considéraient même pas les Palestiniens comme un peuple en soi (Golda Meir), et qui, a fortiori, puisse avoir un jour son propre État, et ceux qui se sont progressivement résignés, pour des raisons de sécurité, par réalisme ou humanité, à l’existence d’un petit État palestinien. Cela a été la révolution mentale d’Itzhak Rabin, et de quelques-uns de ses successeurs, avant qu’ils soient supplantés, à partir des années Netanyahou, par des ultranationalistes et messianiques, partisans, en réalité, d’un grand Israël, qui n’acceptent aucun État palestinien, même démilitarisé, qui rêvent de l’expulsion des Palestiniens de Cisjordanie vers la Jordanie, ou l’Égypte, et qui ont encouragé, ces dernières années, en Cisjordanie, les colons les plus extrémistes qui terrorisent les populations cisjordaniennes. Il y a certes un conflit « israélo- palestinien » – deux peuples pour une seule terre –, mais aussi un affrontement violent au sein des mondes israélien et palestinien.

J’ai vécu, en liaison avec ces acteurs, presque tous les épisodes des tentatives de paix. J’ai partagé leur espoir, leur fièvre, leur accablement. J’ai vu comment, après avoir été osé, avec un courage extraordinaire par Itzhak Rabin et par Yasser Arafat, avoir été soutenu au début par les Européens, quelques pays arabes, les Norvégiens (processus d’Oslo) et les Américains, le processus de paix avait été torpillé à la suite de l’assassinat d’Itzhak Rabin par un extrémiste juif et des attentats par des terroristes palestiniens en Israël. Et je ne cesse de repenser au courage extraordinaire de Rabin, qui, après avoir réprimé sans pitié la première Intifada, en était venu à dire : « Je combattrai le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, mais je poursuivrai le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme. » Ce qui voulait dire : « Ce ne sont pas les terroristes qui décident, c’est moi. » Il en est mort !

Les dirigeants travaillistes qui lui ont succédé – Shimon Peres, Ehud Olmert et Ehud Barak – ont essayé de persévérer, mais jamais avec la même force. Ariel Sharon était un cas à part. Il aurait trouvé une solution, il avait quitté le Likoud dans ce but. Plusieurs compagnons d’Arafat comme Issam Sartawi, ont été assassinés, et l’opposition interne virulente à sa ligne, attisée par certains pays arabes, est restée violente. Ne voulant pas ou ne pou- vant pas trancher, Arafat est resté ambigu, même après avoir déclaré à Paris, en 1989, sous pression de François Mitterrand et de Roland Dumas, que la charte de l’OLP qui prévoyait la destruction d’Israël, était « cadouque ». Les gouvernements arabes ont progressivement laissé tomber et la montée de l’islamisme politique, leur ennemi juré, leur a fourni un prétexte idéal ! Les Européens ont continué à évoquer verbalement la solution à deux États, sans rien faire. Netanyahou a donc pu mettre en œuvre, avec des alliés de plus en plus extrémistes, une politique nationaliste, voire suprémaciste. Et les Européens se sont de plus en plus abstenus de toute critique pour ne pas être traités d’antisémites !

Bombe à retardement

En réalité, le seul pays où il a pu y avoir, à l’initiative de quelques journaux comme Haaretz, de quelques ONG, de journalistes cou- rageux comme Charles Enderlin (cf. Au nom du temple. L’arrivée au pouvoir des juifs messianiques, éditions Points, réédité en 2023), de quelques figures de l’ancien camp de la paix comme Élie Barnavi, de plusieurs anciens chefs militaires soutenus par JCall, et, depuis le Maroc, par André Azoulay, un débat sur cette politique, était… Israël ! Donald Trump, 100 % pro- Likoud, a enrôlé les gouvernements arabes, indifférents au sort des Palestiniens et seulement mobilisés contre l’Iran et les Frères musulmans, dans une alliance d’Abraham risquée dans des pays arabes avec une opinion survoltée. Mais ceux-ci s’étaient tellement convaincus que la question palestinienne n’existait plus, que l’Arabie elle-même, en tout cas MBS, était prête à aller au bout du processus de normalisation – oubliant en cela la proposition ignorée par Israël du roi Abdallah en 2022 (la paix contre les territoires) –, sans comprendre qu’elle offrait ainsi, sur un plateau, au Hamas, au Hezbollah, et sans doute à l’Iran, la bombe à retardement de Gaza, « plus grande prison à ciel ouvert du monde », dixit Nicolas Sarkozy.

Le processus de paix saboté avait précisément pour objet d’empêcher des horreurs comme l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre et l’inévitable et épouvantable contre-offensive militaire qui en est résulté. C’est poignant. Après les efforts prometteurs des années 1980 et 1990, il y a eu la tentative cafouilleuse de Camp David II à l’été 2000 ; la tentative de rattrapage ratée en octobre 2000 à Paris (j’y étais) – et enfin la négociation de Taba en janvier 2001, la plus prometteuse de toutes. Condoleezza Rice, conseillère de Georges W. Bush, alignée sur le Likoud, a balayé tout cela. Je n’oublie pas les conversations entre Ehud Olmert et Mahmoud Abbas (successeur d’Arafat décédé le 11 novembre 2004) en 2008. On sait que les extrémistes l’ont emporté. On ne peut pas mieux dire que Thomas Friedman dans le New York Times : « La situation actuelle est le résultat de la politique menée par les pires des Israéliens et les pires des Palestiniens ; l’avenir ne pourra être construit que par les meilleurs des Israéliens avec les meilleurs des Palestiniens. »

Déshumanisation

C’est horrible à dire mais, dans cette tragédie, les fanatiques ont une logique, même si elle est épouvantable. Et les divers lobbys et organisations n’ont pas pour objectif de trouver une solution. Mais les autres ? Comment tant de juifs pacifistes et humanistes ont pu prétendre de bonne foi qu’Israël n’avait pas d’interlocuteurs, alors que tout avait été fait pour cela ? Que l’État palestinien serait nécessairement islamiste (le Hamas le prouverait), alors que l’État palestinien d’Arafat aurait été un rempart ? Ou au contraire s’illusionner sur tel ou tel nouveau dirigeant israélien, à peine moins extrémiste ? Et être froidement indifférents au sort infernal des habitants de Gaza ou de Cisjordanie en proie aux exactions des colons, être sourds aux alertes lancées par tant d’Israéliens inquiets ? Cette déshumanisation radicale de l’adversaire est aussi frappante chez beaucoup de Palestiniens, d’Arabes et de manifestants « pro-opprimés » en Occident. Qu’il y ait, depuis 1967, une résistance à la colonisation et à l’occupation est une évidence. Mais en quoi est-ce un acte de « résistance » de déchiqueter des bébés dans un kibboutz ? Comment être fermé au besoin absolu de sécurité des Israéliens et, à travers eux, des juifs du monde entier, à leur souffrance historique ? Comment tant de gens bien peuvent s’abandonner à la rage aveugle, à la volonté de vengeance ? S’y est ajouté le cynisme des gouvernements arabes, la complaisance des Européens, l’imbécillité stratégique des « amis d’Israël », États-Unis en tête… Finalement, les explorateurs de la paix n’ont pu contenir la furie. Malheur sans fin pour les peuples ! Alors ? Grand Israël, par expulsion de tous les Palestiniens ? Irréalisable, quoi qu’espèrent les suprémacistes israéliens. Anéantissement d’Israël ? Impensable. Les islamistes les plus violents n’y croient même pas. L’Iran défendra in fine ses inté- rêts premiers, qui ne sont pas ceux d’une guerre générale. Les musulmans du monde entier, révoltés, ont bien d’autres défis vitaux à relever. Donc compromis territorial.

Cela impliquerait la mise à l’écart de Netanyahou par le Likoud, qui susciterait un nouveau leadership et de nouvelles élections en Israël, permettant la relance d’une dynamique qui devra être soutenue par les États-Unis, un nouveau gouvernement israélien, un nouveau leadership palestinien, l’Arabie, l’Égypte, la Jordanie, peut- être la France – il le faudrait –, et un ou deux autres Européens (mais pas les Vingt-Sept).

On retrouverait alors les questions traitées à Taba : le statut de Jérusalem ; la question des réfugiés et celle de la répartition du pou- voir de l’État palestinien entre la Cisjordanie et Gaza ; et enfin, le sort des 700 000 colons : indemnisation, expulsion ou compromis ? On peut y ajouter (mais seulement après) la question d’une confédération État palestinien-Jordanie et la relation de sécurité entre l’État palestinien et Israël.

Si c’est impossible, il faut se préparer à l’enfer. Mais la politique la plus dure n’ayant pas assuré la sécurité aux Israéliens, des mouvements de fond sont possibles. Soyons néanmoins conscients que les extrémistes essaieront de tuer dans l’œuf, à nouveau, la relance de tout processus de paix.

Une question essentielle demeure : pourquoi tous ceux qui savent le compromis inéluctable s’épuisent-ils à condamner les arguments révoltants de l’autre camp au lieu de s’acharner à imposer une solution ? H.V.

Aux Israéliens et Palestiniens de bonne volonté

Hubert Vedrine

J’étais à la Knesset, le 4 mars 1982, quand François Mitterrand, premier président de la Ve République à se rendre en Israël, a prononcé un de ses plus grands discours, inspiré par l’amitié et l’affection qu’il ressentait pour le peuple juif et pour Israël, mais aussi par l’inquiétude, qu’il avait conclu en évoquant la perspective d’un État pour les Palestiniens, condition pour lui, à l’issue d’une longue réflexion, de la sécurité d’Israël à long terme. Et j’ai entendu Begin rétorquer : « La seule chose qui s’oppose à une amitié véritable entre la France et Israël, c’est votre soutien à un État palestinien. » Si les États-Unis avaient relayé à l’époque l’audace de François Mitterrand, la suite aurait pu être différente.

C’est ainsi que j’ai été jeté dans le grand bain du Proche-Orient. Autour de François Mitterrand, notre rôle était d’être en contact avec les responsables qui, de part et d’autre, admettaient qu’il y avait un problème à résoudre, et donc qu’il fallait trouver une solution. Ce sont ces gens-là, bravant courageusement dans leur camp oppositions, haines et menaces, avec qui j’ai travaillé, pendant les quatorze années où j’ai été auprès de François Mitterrand à l’Élysée, puis pendant les cinq années où j’ai été ministre dans le gouvernement Jospin pendant la présidence Chirac, et encore après, alors même que les espérances semblaient anéanties.

Espoir et accablement

Il y a, depuis plus de 75 ans, dans chaque camp, un gouffre entre maximalistes qui combattent toute concession et partisans d’un compromis territorial. Du côté palestinien et arabe, beaucoup n’ont jamais accepté l’existence d’Israël, même pas le plan de partage adopté par l’ONU le 29 novembre 1947, à une époque où seuls sept États arabes en étaient membres et où les Palestiniens n’étaient pas représentés. Ceux-là se sont opposés par la suite, par tous les moyens, à toute acceptation d’Israël. Mais d’autres ont décidé de renoncer au terrorisme et ont été prêts à reconnaître Israël dans ses frontières de 1948 dès lors que les Palestiniens auraient eux- mêmes leur propre État.

Même fossé en Israël et dans le monde juif, entre ceux qui ne considéraient même pas les Palestiniens comme un peuple en soi (Golda Meir), et qui, a fortiori, puisse avoir un jour son propre État, et ceux qui se sont progressivement résignés, pour des raisons de sécurité, par réalisme ou humanité, à l’existence d’un petit État palestinien. Cela a été la révolution mentale d’Itzhak Rabin, et de quelques-uns de ses successeurs, avant qu’ils soient supplantés, à partir des années Netanyahou, par des ultranationalistes et messianiques, partisans, en réalité, d’un grand Israël, qui n’acceptent aucun État palestinien, même démilitarisé, qui rêvent de l’expulsion des Palestiniens de Cisjordanie vers la Jordanie, ou l’Égypte, et qui ont encouragé, ces dernières années, en Cisjordanie, les colons les plus extrémistes qui terrorisent les populations cisjordaniennes. Il y a certes un conflit « israélo- palestinien » – deux peuples pour une seule terre –, mais aussi un affrontement violent au sein des mondes israélien et palestinien.

J’ai vécu, en liaison avec ces acteurs, presque tous les épisodes des tentatives de paix. J’ai partagé leur espoir, leur fièvre, leur accablement. J’ai vu comment, après avoir été osé, avec un courage extraordinaire par Itzhak Rabin et par Yasser Arafat, avoir été soutenu au début par les Européens, quelques pays arabes, les Norvégiens (processus d’Oslo) et les Américains, le processus de paix avait été torpillé à la suite de l’assassinat d’Itzhak Rabin par un extrémiste juif et des attentats par des terroristes palestiniens en Israël. Et je ne cesse de repenser au courage extraordinaire de Rabin, qui, après avoir réprimé sans pitié la première Intifada, en était venu à dire : « Je combattrai le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, mais je poursuivrai le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme. » Ce qui voulait dire : « Ce ne sont pas les terroristes qui décident, c’est moi. » Il en est mort !

Les dirigeants travaillistes qui lui ont succédé – Shimon Peres, Ehud Olmert et Ehud Barak – ont essayé de persévérer, mais jamais avec la même force. Ariel Sharon était un cas à part. Il aurait trouvé une solution, il avait quitté le Likoud dans ce but. Plusieurs compagnons d’Arafat comme Issam Sartawi, ont été assassinés, et l’opposition interne virulente à sa ligne, attisée par certains pays arabes, est restée violente. Ne voulant pas ou ne pou- vant pas trancher, Arafat est resté ambigu, même après avoir déclaré à Paris, en 1989, sous pression de François Mitterrand et de Roland Dumas, que la charte de l’OLP qui prévoyait la destruction d’Israël, était « cadouque ». Les gouvernements arabes ont progressivement laissé tomber et la montée de l’islamisme politique, leur ennemi juré, leur a fourni un prétexte idéal ! Les Européens ont continué à évoquer verbalement la solution à deux États, sans rien faire. Netanyahou a donc pu mettre en œuvre, avec des alliés de plus en plus extrémistes, une politique nationaliste, voire suprémaciste. Et les Européens se sont de plus en plus abstenus de toute critique pour ne pas être traités d’antisémites !

Bombe à retardement

En réalité, le seul pays où il a pu y avoir, à l’initiative de quelques journaux comme Haaretz, de quelques ONG, de journalistes cou- rageux comme Charles Enderlin (cf. Au nom du temple. L’arrivée au pouvoir des juifs messianiques, éditions Points, réédité en 2023), de quelques figures de l’ancien camp de la paix comme Élie Barnavi, de plusieurs anciens chefs militaires soutenus par JCall, et, depuis le Maroc, par André Azoulay, un débat sur cette politique, était… Israël ! Donald Trump, 100 % pro- Likoud, a enrôlé les gouvernements arabes, indifférents au sort des Palestiniens et seulement mobilisés contre l’Iran et les Frères musulmans, dans une alliance d’Abraham risquée dans des pays arabes avec une opinion survoltée. Mais ceux-ci s’étaient tellement convaincus que la question palestinienne n’existait plus, que l’Arabie elle-même, en tout cas MBS, était prête à aller au bout du processus de normalisation – oubliant en cela la proposition ignorée par Israël du roi Abdallah en 2022 (la paix contre les territoires) –, sans comprendre qu’elle offrait ainsi, sur un plateau, au Hamas, au Hezbollah, et sans doute à l’Iran, la bombe à retardement de Gaza, « plus grande prison à ciel ouvert du monde », dixit Nicolas Sarkozy.

Le processus de paix saboté avait précisément pour objet d’empêcher des horreurs comme l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre et l’inévitable et épouvantable contre-offensive militaire qui en est résulté. C’est poignant. Après les efforts prometteurs des années 1980 et 1990, il y a eu la tentative cafouilleuse de Camp David II à l’été 2000 ; la tentative de rattrapage ratée en octobre 2000 à Paris (j’y étais) – et enfin la négociation de Taba en janvier 2001, la plus prometteuse de toutes. Condoleezza Rice, conseillère de Georges W. Bush, alignée sur le Likoud, a balayé tout cela. Je n’oublie pas les conversations entre Ehud Olmert et Mahmoud Abbas (successeur d’Arafat décédé le 11 novembre 2004) en 2008. On sait que les extrémistes l’ont emporté. On ne peut pas mieux dire que Thomas Friedman dans le New York Times : « La situation actuelle est le résultat de la politique menée par les pires des Israéliens et les pires des Palestiniens ; l’avenir ne pourra être construit que par les meilleurs des Israéliens avec les meilleurs des Palestiniens. »

Déshumanisation

C’est horrible à dire mais, dans cette tragédie, les fanatiques ont une logique, même si elle est épouvantable. Et les divers lobbys et organisations n’ont pas pour objectif de trouver une solution. Mais les autres ? Comment tant de juifs pacifistes et humanistes ont pu prétendre de bonne foi qu’Israël n’avait pas d’interlocuteurs, alors que tout avait été fait pour cela ? Que l’État palestinien serait nécessairement islamiste (le Hamas le prouverait), alors que l’État palestinien d’Arafat aurait été un rempart ? Ou au contraire s’illusionner sur tel ou tel nouveau dirigeant israélien, à peine moins extrémiste ? Et être froidement indifférents au sort infernal des habitants de Gaza ou de Cisjordanie en proie aux exactions des colons, être sourds aux alertes lancées par tant d’Israéliens inquiets ? Cette déshumanisation radicale de l’adversaire est aussi frappante chez beaucoup de Palestiniens, d’Arabes et de manifestants « pro-opprimés » en Occident. Qu’il y ait, depuis 1967, une résistance à la colonisation et à l’occupation est une évidence. Mais en quoi est-ce un acte de « résistance » de déchiqueter des bébés dans un kibboutz ? Comment être fermé au besoin absolu de sécurité des Israéliens et, à travers eux, des juifs du monde entier, à leur souffrance historique ? Comment tant de gens bien peuvent s’abandonner à la rage aveugle, à la volonté de vengeance ? S’y est ajouté le cynisme des gouvernements arabes, la complaisance des Européens, l’imbécillité stratégique des « amis d’Israël », États-Unis en tête… Finalement, les explorateurs de la paix n’ont pu contenir la furie. Malheur sans fin pour les peuples ! Alors ? Grand Israël, par expulsion de tous les Palestiniens ? Irréalisable, quoi qu’espèrent les suprémacistes israéliens. Anéantissement d’Israël ? Impensable. Les islamistes les plus violents n’y croient même pas. L’Iran défendra in fine ses inté- rêts premiers, qui ne sont pas ceux d’une guerre générale. Les musulmans du monde entier, révoltés, ont bien d’autres défis vitaux à relever. Donc compromis territorial.

Cela impliquerait la mise à l’écart de Netanyahou par le Likoud, qui susciterait un nouveau leadership et de nouvelles élections en Israël, permettant la relance d’une dynamique qui devra être soutenue par les États-Unis, un nouveau gouvernement israélien, un nouveau leadership palestinien, l’Arabie, l’Égypte, la Jordanie, peut- être la France – il le faudrait –, et un ou deux autres Européens (mais pas les Vingt-Sept).

On retrouverait alors les questions traitées à Taba : le statut de Jérusalem ; la question des réfugiés et celle de la répartition du pou- voir de l’État palestinien entre la Cisjordanie et Gaza ; et enfin, le sort des 700 000 colons : indemnisation, expulsion ou compromis ? On peut y ajouter (mais seulement après) la question d’une confédération État palestinien-Jordanie et la relation de sécurité entre l’État palestinien et Israël.

Si c’est impossible, il faut se préparer à l’enfer. Mais la politique la plus dure n’ayant pas assuré la sécurité aux Israéliens, des mouvements de fond sont possibles. Soyons néanmoins conscients que les extrémistes essaieront de tuer dans l’œuf, à nouveau, la relance de tout processus de paix.

Une question essentielle demeure : pourquoi tous ceux qui savent le compromis inéluctable s’épuisent-ils à condamner les arguments révoltants de l’autre camp au lieu de s’acharner à imposer une solution ? H.V.

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19/02/2024