Après les européennes: un plan pour sauver l’Europe des «européistes».

Sauf révision radicale, l’Europe, ce projet nécessaire (le contraire d’un rêve!) va se déliter et chavirer s’il est laissé aux mains des « européistes «. Les européistes? Ceux qui veulent toujours « plus d’Europe «, une « Union sans cesse plus étroite «, et que l’Europe soit gouvernée de Bruxelles, les gouvernements nationaux étant ramenés au rôle d’un « Sénat «. Qui répètent, obstinément, depuis vingt ans, les mêmes arguments inopérants, suivis après chaque scrutin des mêmes lamentations. Qui refusent de voir que la répétition mécanique de slogans éculés, les incantations, la grandiloquence historique, l’injonction d’avoir à voter « bien «, et la stigmatisation de ceux qui s’apprêtent à mal voter – « l’excommunication des populistes « (Paul Thibaud) – n’ont aucun effet, ou même l’effet inverse. On peut être vraiment européen sans être « européiste «.

Exemple d’argument vain : « L’Europe c’est la paix. « Si cela signifie que c’est l’Europe qui a fait la paix, c’est inexact. L’Europe était le champ de bataille. Ce sont l’URSS puis les Etats-Unis et leurs alliés, qui ont vaincu Hitler et imposé la paix, et les Etats-Unis qui ont créé, avec le plan Marshall, la matrice de la coopération nouvelle entre Européens d’après-guerre. Premiers pères fondateurs : Staline et Truman! Affirmer que c’est « l’Europe « qui a empêché une nouvelle guerre n’est pas convaincant non plus. Il n’y a jamais eu, depuis l’après-guerre, le moindre risque de guerre entre Européens de l’ouest, dans la même alliance militaire depuis 1949, et tous guéris du nationalisme et préoccupés de reconstruction économique. S’il y a eu un risque de guerre en Europe, cela était du fait de l’affrontement entre les Etats-Unis et l’URSS, et ce n’est pas « l’Europe « qui nous en a protégé, mais l’alliance atlantique et la dissuasion nucléaire. L’Europe n’est pas la mère de la paix mais sa fille. Tout au plus peut-on dire que la construction européenne a transformé une paix américaine qui aurait pu rester froide, en une union. Ce n’est pas rien. Mais que signifie alors en 2014 « l’Europe, c’est la paix «? Est-ce à dire qu’en cas de tension, de désaccord grave, de mauvais vote, etc. on risque la guerre? Ce n’est pas sérieux! Et donc cela ne déplace pas une voix.

Tout est à l’avenant. La diabolisation du FN a ainsi échoué, et l’a même alimenté, etc. On a parlé de séisme, de honte, de tsunami en raison des 25% atteints par le FN le 25 mai. Que celui-ci plastronne et triomphe ne peut étonner. Mais pourquoi les autres entrent-ils dans son jeu? Sur 41,1 millions d’électeurs (et 65 millions d’habitants), le FN a recueilli 4,71 millions de voix : moins que les 4,8 millions de Jean-Marie Le Pen en 2002, ou que les 6,4 millions de Marine Le Pen en 2012. C’est beaucoup, mais ce n’est pas une progression. Ecrire cela n’est pas relativiser, mais être exact. Jamais il n’aurait atteint optiquement 25% si l’abstention n’avait pas été aussi massive : 23 millions d’électeurs (56,5%, contre 59,37% en 2009). On dit que les abstentionnistes auraient voté dans les mêmes proportions. C’est improuvable. Le raisonnement vaut pour plusieurs autres pays européens. Le problème principal n’est donc pas le « triomphe des europhobes «, qui est une résultante apparente, mais le décrochage massif des sceptiques, au sens vrai du terme : au moins 60% puisqu’on doit y ajouter aux abstentionnistes pas mal de votants.

Que faire?

Persévérer à l’identique, se satisfaire de ce que le Conseil européen soit peut-être obligé de désigner comme président de la Commission le candidat du parti arrivé en tête au nom de la démocratisation, ré-évoquer dans la précipitation tout ce que l’Europe doit faire pour répondre aux peuples, c’est-à-dire un peu tout ce qui ne va pas, c’est entretenir l’idée démoralisante que tout se joue au niveau européen, que « l’Europe « va se substituer à nos propres Etats nationaux et nous dispenser de nos efforts et, au total, préparer de nouvelles désillusions et un rejet encore pire. Mais en quoi alors consisterait une « révision radicale « capable de détacher les « sceptiques « des phobiques? D’abord, que le Conseil européen décrète une pause – à l’exception de l’harmonisation dans la zone euro – qui s’imposerait à la Commission, au Parlement et à la Cour de justice pour que les peuples comprennent qu’il n’y a plus de téléologie, de processus aveugle et inarrêtable qui vampirise identités et souveraineté. Pas de nouveau traité. Plus d’abandon de souveraineté, mais exercice en commun, et qu’on cesse d’exiger à tout propos « plus d’Europe « (perçu comme moins de France, etc.), une « Union sans cesse plus étroite «, « plus d’intégration « (comme si ce terme était attractif), d’invoquer des slogans fumeux comme les « Etats-Unis d’Europe « (les deux processus historiques n’ont rien à voir). Qu’un coup d’arrêt soit donné au nivellement intrusif des modes de vie sous prétexte des exigences de la concurrence aveuglement interprétées, que les demandes de directives émanent des institutions communautaires… ou de certains Etats-membres eux-mêmes (la concurrence, au cœur du conflit droit/démocratie). Une pause de l’élargissement serait annoncée pour dix ans (et le poste de commissaire laissé vacant pendant ce temps-là). Il s’agirait d’un véritable compromis historique entre les élites européennes ou européistes et les populations.

Il faut être prêt à la crise pour cela, le sauvetage du projet européen en dépend.

Mais aussi clarifier plus : il serait demandé à d’anciens dirigeants européens d’indiquer les compétences ou les processus qui pourraient être restitués aux Etats-membres. En attendant, la Commission se tiendrait strictement à ses compétences dans un esprit de subsidiarité.

Moins d’attentes excessives et confuses envers « l’Europe «, un recentrage, génèrera moins de déceptions et de rejets.
La capacité des 26 Etats-membres de Schengen à assumer leurs engagements serait vérifiée, comme on l’a fait pour les banques. Une politique cadre de gestion par quotas des flux migratoires serait ensuite définie dans ce cadre et concertée, en fonction de la conjoncture économique, avec les pays de départ et de transit.

Enfin, l’Union se concentrerait sur l’essentiel, là où le niveau européen a une réelle valeur ajoutée. D’abord, l’harmonisation économique dans la zone euro, contrôlée par les parlements nationaux et le Parlement européen, avec une « policy mix « qui associerait assainissement des finances publiques à un rythme soutenable, et croissance.
Une impulsion ciblée serait donnée dans trois domaines clefs : là où l’Union peut aider à préparer l’avenir : formation, recherche, innovation, transition écologique; sur de nouveaux grands projets (énergie); et sur ce qui permet à l’Union de peser plus et mieux dans le monde. Sur le traité Etats Unis/UE, l’UE doit négocier avec vigilance et exigence mais ne pas avoir peur de négocier. Sur les grandes questions de politique étrangère, les Etats les plus antagonistes seraient chargés de préparer une synthèse, sur le modèle de St Malo.

Cette réorientation radicale est possible à condition que des compromis (Hollande/Merkel, Hollande/Cameron, Merkel/Cameron, etc. selon les cas) soient trouvés. En aucun cas on ne s’en remet à l’Europe. C’est une politique française dans et pour l’Europe. Les peuples européens se réapproprient le projet, et vers 2020, on verra s’ils veulent aller plus loin.

Après les européennes: un plan pour sauver l’Europe des «européistes».

Hubert Vedrine

Après les européennes: un plan pour sauver l’Europe des «européistes».

Sauf révision radicale, l’Europe, ce projet nécessaire (le contraire d’un rêve!) va se déliter et chavirer s’il est laissé aux mains des « européistes «. Les européistes? Ceux qui veulent toujours « plus d’Europe «, une « Union sans cesse plus étroite «, et que l’Europe soit gouvernée de Bruxelles, les gouvernements nationaux étant ramenés au rôle d’un « Sénat «. Qui répètent, obstinément, depuis vingt ans, les mêmes arguments inopérants, suivis après chaque scrutin des mêmes lamentations. Qui refusent de voir que la répétition mécanique de slogans éculés, les incantations, la grandiloquence historique, l’injonction d’avoir à voter « bien «, et la stigmatisation de ceux qui s’apprêtent à mal voter – « l’excommunication des populistes « (Paul Thibaud) – n’ont aucun effet, ou même l’effet inverse. On peut être vraiment européen sans être « européiste «.

Exemple d’argument vain : « L’Europe c’est la paix. « Si cela signifie que c’est l’Europe qui a fait la paix, c’est inexact. L’Europe était le champ de bataille. Ce sont l’URSS puis les Etats-Unis et leurs alliés, qui ont vaincu Hitler et imposé la paix, et les Etats-Unis qui ont créé, avec le plan Marshall, la matrice de la coopération nouvelle entre Européens d’après-guerre. Premiers pères fondateurs : Staline et Truman! Affirmer que c’est « l’Europe « qui a empêché une nouvelle guerre n’est pas convaincant non plus. Il n’y a jamais eu, depuis l’après-guerre, le moindre risque de guerre entre Européens de l’ouest, dans la même alliance militaire depuis 1949, et tous guéris du nationalisme et préoccupés de reconstruction économique. S’il y a eu un risque de guerre en Europe, cela était du fait de l’affrontement entre les Etats-Unis et l’URSS, et ce n’est pas « l’Europe « qui nous en a protégé, mais l’alliance atlantique et la dissuasion nucléaire. L’Europe n’est pas la mère de la paix mais sa fille. Tout au plus peut-on dire que la construction européenne a transformé une paix américaine qui aurait pu rester froide, en une union. Ce n’est pas rien. Mais que signifie alors en 2014 « l’Europe, c’est la paix «? Est-ce à dire qu’en cas de tension, de désaccord grave, de mauvais vote, etc. on risque la guerre? Ce n’est pas sérieux! Et donc cela ne déplace pas une voix.

Tout est à l’avenant. La diabolisation du FN a ainsi échoué, et l’a même alimenté, etc. On a parlé de séisme, de honte, de tsunami en raison des 25% atteints par le FN le 25 mai. Que celui-ci plastronne et triomphe ne peut étonner. Mais pourquoi les autres entrent-ils dans son jeu? Sur 41,1 millions d’électeurs (et 65 millions d’habitants), le FN a recueilli 4,71 millions de voix : moins que les 4,8 millions de Jean-Marie Le Pen en 2002, ou que les 6,4 millions de Marine Le Pen en 2012. C’est beaucoup, mais ce n’est pas une progression. Ecrire cela n’est pas relativiser, mais être exact. Jamais il n’aurait atteint optiquement 25% si l’abstention n’avait pas été aussi massive : 23 millions d’électeurs (56,5%, contre 59,37% en 2009). On dit que les abstentionnistes auraient voté dans les mêmes proportions. C’est improuvable. Le raisonnement vaut pour plusieurs autres pays européens. Le problème principal n’est donc pas le « triomphe des europhobes «, qui est une résultante apparente, mais le décrochage massif des sceptiques, au sens vrai du terme : au moins 60% puisqu’on doit y ajouter aux abstentionnistes pas mal de votants.

Que faire?

Persévérer à l’identique, se satisfaire de ce que le Conseil européen soit peut-être obligé de désigner comme président de la Commission le candidat du parti arrivé en tête au nom de la démocratisation, ré-évoquer dans la précipitation tout ce que l’Europe doit faire pour répondre aux peuples, c’est-à-dire un peu tout ce qui ne va pas, c’est entretenir l’idée démoralisante que tout se joue au niveau européen, que « l’Europe « va se substituer à nos propres Etats nationaux et nous dispenser de nos efforts et, au total, préparer de nouvelles désillusions et un rejet encore pire. Mais en quoi alors consisterait une « révision radicale « capable de détacher les « sceptiques « des phobiques? D’abord, que le Conseil européen décrète une pause – à l’exception de l’harmonisation dans la zone euro – qui s’imposerait à la Commission, au Parlement et à la Cour de justice pour que les peuples comprennent qu’il n’y a plus de téléologie, de processus aveugle et inarrêtable qui vampirise identités et souveraineté. Pas de nouveau traité. Plus d’abandon de souveraineté, mais exercice en commun, et qu’on cesse d’exiger à tout propos « plus d’Europe « (perçu comme moins de France, etc.), une « Union sans cesse plus étroite «, « plus d’intégration « (comme si ce terme était attractif), d’invoquer des slogans fumeux comme les « Etats-Unis d’Europe « (les deux processus historiques n’ont rien à voir). Qu’un coup d’arrêt soit donné au nivellement intrusif des modes de vie sous prétexte des exigences de la concurrence aveuglement interprétées, que les demandes de directives émanent des institutions communautaires… ou de certains Etats-membres eux-mêmes (la concurrence, au cœur du conflit droit/démocratie). Une pause de l’élargissement serait annoncée pour dix ans (et le poste de commissaire laissé vacant pendant ce temps-là). Il s’agirait d’un véritable compromis historique entre les élites européennes ou européistes et les populations.

Il faut être prêt à la crise pour cela, le sauvetage du projet européen en dépend.

Mais aussi clarifier plus : il serait demandé à d’anciens dirigeants européens d’indiquer les compétences ou les processus qui pourraient être restitués aux Etats-membres. En attendant, la Commission se tiendrait strictement à ses compétences dans un esprit de subsidiarité.

Moins d’attentes excessives et confuses envers « l’Europe «, un recentrage, génèrera moins de déceptions et de rejets.
La capacité des 26 Etats-membres de Schengen à assumer leurs engagements serait vérifiée, comme on l’a fait pour les banques. Une politique cadre de gestion par quotas des flux migratoires serait ensuite définie dans ce cadre et concertée, en fonction de la conjoncture économique, avec les pays de départ et de transit.

Enfin, l’Union se concentrerait sur l’essentiel, là où le niveau européen a une réelle valeur ajoutée. D’abord, l’harmonisation économique dans la zone euro, contrôlée par les parlements nationaux et le Parlement européen, avec une « policy mix « qui associerait assainissement des finances publiques à un rythme soutenable, et croissance.
Une impulsion ciblée serait donnée dans trois domaines clefs : là où l’Union peut aider à préparer l’avenir : formation, recherche, innovation, transition écologique; sur de nouveaux grands projets (énergie); et sur ce qui permet à l’Union de peser plus et mieux dans le monde. Sur le traité Etats Unis/UE, l’UE doit négocier avec vigilance et exigence mais ne pas avoir peur de négocier. Sur les grandes questions de politique étrangère, les Etats les plus antagonistes seraient chargés de préparer une synthèse, sur le modèle de St Malo.

Cette réorientation radicale est possible à condition que des compromis (Hollande/Merkel, Hollande/Cameron, Merkel/Cameron, etc. selon les cas) soient trouvés. En aucun cas on ne s’en remet à l’Europe. C’est une politique française dans et pour l’Europe. Les peuples européens se réapproprient le projet, et vers 2020, on verra s’ils veulent aller plus loin.

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08/06/2014