Année 2005, principale inconnue: que veulent les Européens?

En 2005 bien des problèmes mondiaux continueront à nous assaillir, à commencer par le terrorisme islamiste. Mais celui-ce ne peut ni vaincre, ni connaître à court terme une défaite définitive. Concentrons nous, parmi de nombreuses autres questions, sur une interrogation centrale: que va faire Bush? Et une inconnue principale: que veulent vraiment les Européens?

Commençons par le président américain, nettement réélu, légitimé et qui n’a donc aucune raison de changer. Mais qui a des décisions lourdes de conséquences à prendre. En Irak il aura bien du mal à tenir à la fois ses promesses – la démocratie – et à atteindre son véritable objectif – l’installation d’un régime pro-américain. Les élections peuvent marquer un progrès mais aussi bien attiser la guerre civile. La recherche d’un accord politique viable sur les institutions entre les majoritaires chiites et les minoritaires sunnites et kurdes devrait être la priorité américaine.

Envers l’Iran, le Président américain se bornera-t-il à essayer d’obtenir des sanctions du Conseil de sécurité ou cédera-t-il aux pressions pour une action militaire préventive contre les sites nucléaires? Au Proche Orient, les événements récents (la mort d’Arafat, le retour des travaillistes au gouvernement en israël) le pousseront-il à s’affranchir du simple soutien au Likoud, à encourager Sharon à aller au-delà du retrait de Gaza (Gaza first), et à ressusciter un processus de paix? Ailleurs face aux Chinois qui s’emploient à ce que leur ascension fulgurante ne suscite pas une coalition inquiète, face à Poutine, l’allié du 12 septembre, mais qui a traité la question ukrainienne à l’ancienne, comment va évoluer Washington, qui balance: en les considérant comme une menace, comme des concurrents, comme des partenaires? Quant à ses alliés va-t-il seulement adopter un ton plus aimable ou tenir compte de leurs avis? On mesure l’impact mondial de ces futurs arbitrages, sur lesquels les Européens ne pèseront qu’unis.

Mais justement en 2005, et encore longtemps, l’inconnue principale restera l’Europe, ou plutôt les Européens. Que veulent-ils vraiment? Vivre confortablement? Rayonner sur le monde? Devenir une puissance? Devenir une fédération? Préserver leurs identités? Ce n’est pas clair. A s’en tenir aux faits, c’est l’élargissement leur vraie priorité, en tout cas celle des élites. Soit volontairement, soit par défaut, par incapacité à concevoir des limites et à choisir entre les projets européens possibles. En tout cas, l’Europe politique rêvée à l’origine est caduque. Quant au cadre institutionnel, on saura en 2006, ou avant, avec le référendum en Grande Bretagne, si nous en restons au traité de Nice ou si nous adoptons le traité constitutionnel, ce qui serait logique.

Les débats provoqués par sa ratification pourront avoir une vertu clarificatrice. Suffiront-ils à dissiper ce climat anxiogène et démobilisant qui naît pour les citoyens de cette fuite en avant institutionnelle et géographique, de cette confusion des projets et de l’érosion de l’influence française? Ce n’est pas sûr. Pour cela et pour combler en Europe le fossé pernicieux élites/opinions, il faudrait renoncer à uniformiser cette bonne trentaine de peuples européens, s’astreindre à dix ans de stabilité pour retrouver une adhésion démocratique. Etant donné que l’intégration dans l’Union élargie n’ira pas au-delà du traité constitutionnel, qu’un noyau dur composé d’un petit nombre fixe de pays très intégrés est improbable et que les coopérations renforcées resteront très compliquées, les avancées futures, outre l’inéluctable renforcement de la zone euro, se feront à géométrie variable, à travers de grands projets.

Il y en a deux principaux: préserver et promouvoir le type de société européenne. Et faire de l’Europe, une «puissance tranquille». Mais pour ce dernier il faudra surmonter les réticences atlantistes, pacifistes, hédonistes ou inquiètes de nos partenaires. Cela suppose de redonner aux idées françaises souvent justes une plus grande force de conviction et d’entraînement.

Année 2005, principale inconnue: que veulent les Européens?

Hubert Vedrine

Année 2005, principale inconnue: que veulent les Européens?

En 2005 bien des problèmes mondiaux continueront à nous assaillir, à commencer par le terrorisme islamiste. Mais celui-ce ne peut ni vaincre, ni connaître à court terme une défaite définitive. Concentrons nous, parmi de nombreuses autres questions, sur une interrogation centrale: que va faire Bush? Et une inconnue principale: que veulent vraiment les Européens?

Commençons par le président américain, nettement réélu, légitimé et qui n’a donc aucune raison de changer. Mais qui a des décisions lourdes de conséquences à prendre. En Irak il aura bien du mal à tenir à la fois ses promesses – la démocratie – et à atteindre son véritable objectif – l’installation d’un régime pro-américain. Les élections peuvent marquer un progrès mais aussi bien attiser la guerre civile. La recherche d’un accord politique viable sur les institutions entre les majoritaires chiites et les minoritaires sunnites et kurdes devrait être la priorité américaine.

Envers l’Iran, le Président américain se bornera-t-il à essayer d’obtenir des sanctions du Conseil de sécurité ou cédera-t-il aux pressions pour une action militaire préventive contre les sites nucléaires? Au Proche Orient, les événements récents (la mort d’Arafat, le retour des travaillistes au gouvernement en israël) le pousseront-il à s’affranchir du simple soutien au Likoud, à encourager Sharon à aller au-delà du retrait de Gaza (Gaza first), et à ressusciter un processus de paix? Ailleurs face aux Chinois qui s’emploient à ce que leur ascension fulgurante ne suscite pas une coalition inquiète, face à Poutine, l’allié du 12 septembre, mais qui a traité la question ukrainienne à l’ancienne, comment va évoluer Washington, qui balance: en les considérant comme une menace, comme des concurrents, comme des partenaires? Quant à ses alliés va-t-il seulement adopter un ton plus aimable ou tenir compte de leurs avis? On mesure l’impact mondial de ces futurs arbitrages, sur lesquels les Européens ne pèseront qu’unis.

Mais justement en 2005, et encore longtemps, l’inconnue principale restera l’Europe, ou plutôt les Européens. Que veulent-ils vraiment? Vivre confortablement? Rayonner sur le monde? Devenir une puissance? Devenir une fédération? Préserver leurs identités? Ce n’est pas clair. A s’en tenir aux faits, c’est l’élargissement leur vraie priorité, en tout cas celle des élites. Soit volontairement, soit par défaut, par incapacité à concevoir des limites et à choisir entre les projets européens possibles. En tout cas, l’Europe politique rêvée à l’origine est caduque. Quant au cadre institutionnel, on saura en 2006, ou avant, avec le référendum en Grande Bretagne, si nous en restons au traité de Nice ou si nous adoptons le traité constitutionnel, ce qui serait logique.

Les débats provoqués par sa ratification pourront avoir une vertu clarificatrice. Suffiront-ils à dissiper ce climat anxiogène et démobilisant qui naît pour les citoyens de cette fuite en avant institutionnelle et géographique, de cette confusion des projets et de l’érosion de l’influence française? Ce n’est pas sûr. Pour cela et pour combler en Europe le fossé pernicieux élites/opinions, il faudrait renoncer à uniformiser cette bonne trentaine de peuples européens, s’astreindre à dix ans de stabilité pour retrouver une adhésion démocratique. Etant donné que l’intégration dans l’Union élargie n’ira pas au-delà du traité constitutionnel, qu’un noyau dur composé d’un petit nombre fixe de pays très intégrés est improbable et que les coopérations renforcées resteront très compliquées, les avancées futures, outre l’inéluctable renforcement de la zone euro, se feront à géométrie variable, à travers de grands projets.

Il y en a deux principaux: préserver et promouvoir le type de société européenne. Et faire de l’Europe, une «puissance tranquille». Mais pour ce dernier il faudra surmonter les réticences atlantistes, pacifistes, hédonistes ou inquiètes de nos partenaires. Cela suppose de redonner aux idées françaises souvent justes une plus grande force de conviction et d’entraînement.

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02/01/2005