«Une diplomatie moins impulsive»

Syrie, Libye, Afghanistan, Europe, l’Occident est-il devenu impuissant?

Impuissant, non, mais nous ne sommes plus omnipotents. Les occidentaux ont perdu du temps avec la «fin de l’Histoire», puis «la guerre contre le terrorisme», alors qu’on vivait la fin du monopole occidental! En plus, la France, est un peu vexée de ne plus donner le ton sur les valeurs, parfois dépressive, tout en ayant toujours une haute idée d’elle-même, et les européens ne sont pas d’accord entre eux… Cela dit, nous sommes encore puissants mais tout doit se négocier.

Mais alors, quelles sont les marges de manœuvre?

Il y en a si on comprend les mécanismes nouveaux du monde réel. On a quand même mis 25 ans à réaliser que les marchés émergents devenaient des puissances émergentes. Rattrapons le temps perdu. Être réaliste ce n’est pas être fataliste! Ne nous décourageons pas, donnons moins de leçons au reste du monde, cessons de faire de la politique étrangère à usage interne, et travaillons à restaurer des rapports de force plus équilibrés.

Vous êtes également très critique à l’égard de l’Europe?

Elle n’est pas assez réaliste. Son moralisme déclaratoire est souvent un aveu d’impuissance: sermonner au lieu d’agir. Pendant ce temps là l’Histoire continue et l’Europe risque de devenir l’idiot bien intentionné du village global! Autre exemple: Avec Obama les européens ont raté une occasion. Au lieu de se mettre d’accord avec ce président à vision mondiale sur les grands sujets (la Russie, la Chine, les défis énergétiques, l’écologie…), les européens se sont seulement réjouis que «l’Amérique ait élu un noir!», vision simpliste que Obama lui-même récusait. Cela a renforcé Obama dans l’idée que l’Europe était secondaire. Il faut qu’elle comprenne mieux ce monde nouveau.

Qu’a réussi Nicolas Sarkozy dans ce contexte ces cinq dernières années?

Son bilan est mitigé. Sa présidence de l’Union européenne en 2008 a été productive, la création du G20 est une vraie avancée et la résolution 19.73 pour intervenir en Libye une réussite française, grâce aussi à Alain Juppé qui, à la fin, a remis notre diplomatie d’aplomb. Mais il y a aussi beaucoup de fébrilité et d’initiatives qui n’ont pas vécu. Un grand nombre de pays ont été heurtés par des comportements brutaux, ou par les outrances de la diplomatie d’opinion, comme la Turquie, et le Mexique, avec l’affaire de la pénalisation du négationnisme du génocide arménien et le cas Florence Cassez. Avec l’Allemagne, il y a eu trop de suivisme ces deux dernières années peut-être pour corriger un excès d’agressivité à son égard entre 2007 et 2010. Ajoutons à cela depuis dix ans, trop de changements de titulaire au Quai d’Orsay depuis dix ans, qui ont pas donné de continuité et qui, conjugués à la baisse de son budget (pourtant déjà infime), ont trop paralysé notre instrument diplomatique. Bref, la dictature de l’instant, les réactions à court terme sous l’effet des images et de l’opinion (1), tout ça ne constitue pas une boussole stratégique.

Que pourra y changer François Hollande, s’il est élu?

Beaucoup car les défauts de la politique récente tiennent en grande partie à la psychologie du chef de l’État. Ils seraient donc corrigés avec François Hollande, qui aura un comportement, plus rationnel, moins impulsif et ne ramènera pas tout à lui. Une fois élu, c’est mon hypothèse, les partenaires de la France apprécieront sa façon d’être et sa fiabilité. Et il est parfaitement conscient de tous ces enjeux.

Aura-t-il vraiment la possibilité de renégocier le traité de discipline budgétaire?

Regardez: l’Espagne qui signe et annonce qu’elle n’arrivera pas à tenir ses engagements, la croissance allemande qui est revue à la baisse, Mario Monti lui-même pour qui il manque un volet croissance, les néerlandais dont l’économie souffre, l’Irlande qui veut un référendum, le FMI et même les Etats-Unis qui jugent ce pacte borné. En mai prochain, l’idée qu’il faille ratifier le traité tel quel ne fera plus l’unanimité. Une politique de croissance, complémentaire à l’assainissement des finances publiques, s’imposera.

Qu’en est-il du clivage entre ceux que vous appelez les gaullo-mitterandiens et les atlantistes néoconservateurset qui se situeraient autant à droite qu’à gauche?

Il existe. Contrairement à ce qu’on croit, il n’y a plus de vrai consensus en politique étrangère, et il y a des divergences au sein de chaque camp. A gauche comme à droite, certains pensent que l’Occident est menacé par l’Islam et la Chine et que donc il ne faut critiquer ni les États-Unis et ni Israël, ce qui réduit d’autant notre autonomie. Certains d’entre eux ont été pour la guerre en Irak. Et sur l’Iran? A voir … Il y a aussi un vrai clivage sur le degré souhaitable d’européanisation. En revanche le clivage idéalistes/réalistes est artificiel. Une dynamique nouvelle fondée sur un arbitrage clair permettrait de surmonter tout cela.

Face à tous ses défis, êtes-vous candidat pour être le prochain ministre des affaires étrangères?

Si vous tenez absolument à une réponse, je ne fais pas campagne pour.

(1) Voir à ce sujet, La Guerre au nom de l’humanité, de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, PUF, préfacé par Hubert Védrine

*Dans la mêlée mondiale 2009-20122, Fayard, 509 p. 22 euros.

«Une diplomatie moins impulsive»

Hubert Vedrine

«Une diplomatie moins impulsive»

Syrie, Libye, Afghanistan, Europe, l’Occident est-il devenu impuissant?

Impuissant, non, mais nous ne sommes plus omnipotents. Les occidentaux ont perdu du temps avec la «fin de l’Histoire», puis «la guerre contre le terrorisme», alors qu’on vivait la fin du monopole occidental! En plus, la France, est un peu vexée de ne plus donner le ton sur les valeurs, parfois dépressive, tout en ayant toujours une haute idée d’elle-même, et les européens ne sont pas d’accord entre eux… Cela dit, nous sommes encore puissants mais tout doit se négocier.

Mais alors, quelles sont les marges de manœuvre?

Il y en a si on comprend les mécanismes nouveaux du monde réel. On a quand même mis 25 ans à réaliser que les marchés émergents devenaient des puissances émergentes. Rattrapons le temps perdu. Être réaliste ce n’est pas être fataliste! Ne nous décourageons pas, donnons moins de leçons au reste du monde, cessons de faire de la politique étrangère à usage interne, et travaillons à restaurer des rapports de force plus équilibrés.

Vous êtes également très critique à l’égard de l’Europe?

Elle n’est pas assez réaliste. Son moralisme déclaratoire est souvent un aveu d’impuissance: sermonner au lieu d’agir. Pendant ce temps là l’Histoire continue et l’Europe risque de devenir l’idiot bien intentionné du village global! Autre exemple: Avec Obama les européens ont raté une occasion. Au lieu de se mettre d’accord avec ce président à vision mondiale sur les grands sujets (la Russie, la Chine, les défis énergétiques, l’écologie…), les européens se sont seulement réjouis que «l’Amérique ait élu un noir!», vision simpliste que Obama lui-même récusait. Cela a renforcé Obama dans l’idée que l’Europe était secondaire. Il faut qu’elle comprenne mieux ce monde nouveau.

Qu’a réussi Nicolas Sarkozy dans ce contexte ces cinq dernières années?

Son bilan est mitigé. Sa présidence de l’Union européenne en 2008 a été productive, la création du G20 est une vraie avancée et la résolution 19.73 pour intervenir en Libye une réussite française, grâce aussi à Alain Juppé qui, à la fin, a remis notre diplomatie d’aplomb. Mais il y a aussi beaucoup de fébrilité et d’initiatives qui n’ont pas vécu. Un grand nombre de pays ont été heurtés par des comportements brutaux, ou par les outrances de la diplomatie d’opinion, comme la Turquie, et le Mexique, avec l’affaire de la pénalisation du négationnisme du génocide arménien et le cas Florence Cassez. Avec l’Allemagne, il y a eu trop de suivisme ces deux dernières années peut-être pour corriger un excès d’agressivité à son égard entre 2007 et 2010. Ajoutons à cela depuis dix ans, trop de changements de titulaire au Quai d’Orsay depuis dix ans, qui ont pas donné de continuité et qui, conjugués à la baisse de son budget (pourtant déjà infime), ont trop paralysé notre instrument diplomatique. Bref, la dictature de l’instant, les réactions à court terme sous l’effet des images et de l’opinion (1), tout ça ne constitue pas une boussole stratégique.

Que pourra y changer François Hollande, s’il est élu?

Beaucoup car les défauts de la politique récente tiennent en grande partie à la psychologie du chef de l’État. Ils seraient donc corrigés avec François Hollande, qui aura un comportement, plus rationnel, moins impulsif et ne ramènera pas tout à lui. Une fois élu, c’est mon hypothèse, les partenaires de la France apprécieront sa façon d’être et sa fiabilité. Et il est parfaitement conscient de tous ces enjeux.

Aura-t-il vraiment la possibilité de renégocier le traité de discipline budgétaire?

Regardez: l’Espagne qui signe et annonce qu’elle n’arrivera pas à tenir ses engagements, la croissance allemande qui est revue à la baisse, Mario Monti lui-même pour qui il manque un volet croissance, les néerlandais dont l’économie souffre, l’Irlande qui veut un référendum, le FMI et même les Etats-Unis qui jugent ce pacte borné. En mai prochain, l’idée qu’il faille ratifier le traité tel quel ne fera plus l’unanimité. Une politique de croissance, complémentaire à l’assainissement des finances publiques, s’imposera.

Qu’en est-il du clivage entre ceux que vous appelez les gaullo-mitterandiens et les atlantistes néoconservateurset qui se situeraient autant à droite qu’à gauche?

Il existe. Contrairement à ce qu’on croit, il n’y a plus de vrai consensus en politique étrangère, et il y a des divergences au sein de chaque camp. A gauche comme à droite, certains pensent que l’Occident est menacé par l’Islam et la Chine et que donc il ne faut critiquer ni les États-Unis et ni Israël, ce qui réduit d’autant notre autonomie. Certains d’entre eux ont été pour la guerre en Irak. Et sur l’Iran? A voir … Il y a aussi un vrai clivage sur le degré souhaitable d’européanisation. En revanche le clivage idéalistes/réalistes est artificiel. Une dynamique nouvelle fondée sur un arbitrage clair permettrait de surmonter tout cela.

Face à tous ses défis, êtes-vous candidat pour être le prochain ministre des affaires étrangères?

Si vous tenez absolument à une réponse, je ne fais pas campagne pour.

(1) Voir à ce sujet, La Guerre au nom de l’humanité, de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, PUF, préfacé par Hubert Védrine

*Dans la mêlée mondiale 2009-20122, Fayard, 509 p. 22 euros.

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12/04/2012