«Une coalition entre gauche et droite s’impose»

Au terme de cette campagne insensée nous allons quand même élire un président puis une assemblée pour gouverner et réformer. Car comme en 1958 la France ne restera maitresse de son destin, et ne retrouvera une cohésion sociale et mentale que grâce à quelques réformes clefs. La France doit reformer sa cohésion sociale, non pas par plus d’assistance et de dette, mais en redonnant à chacun par le travail, le mérite (et non les rentes), mais aussi par l’éducation, profondément transformée dans ses méthodes, et une mise en œuvre intelligente de la laïcité, une place dans la société et une espérance dans l’avenir. Cela passe par la correction des règles qui maintiennent le chômage de masse à environ 10%, par un big bang de la formation, mais aussi par la reprise de contrôle de la dépense publique. Elle est tellement excessive qu’elle nous oblige à des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde et à une pression fiscale asphyxiante, tout en alimentant une dette qui pèse injustement sur les générations futures.

Les Français savent tout cela. Mais s’ils sont inquiets de voir notre modèle républicain et social au bord de la rupture, ils craignent que des réformes mal conçues par des élites en qui ils ont perdu toute confiance ne finissent par l’achever plutôt que de le sauver. Un candidat, un président, qui voudra réformer (même en jouant sur les mots : ne pas réformer mais transformer) devra surmonter d’abord cette méfiance viscérale, en trouvant, avant l’élection, les mots et le ton pour convaincre qu’il ne s’agit pas d’obéir à des diktats extérieurs mais de préserver ce qui fait le ciment de la France, de recoudre un pays en voie d’implosion, de mobiliser son potentiel. Bien sûr, cela suppose de rompre avec la complaisance clientéliste des dernières décennies, l’accumulation de micro-engagements catégoriels, la surenchère électorale derrière les minorités de toute sorte, pour reparler à tous du pays en tant que pays, de la France en tant que nation qui doit pouvoir toujours décider de son avenir, de l’intérêt général. Ce sera très difficile d’inverser la vapeur, surtout dans un contexte électoral, mais c’est la condition du sursaut.

A supposer (et en espérant) qu’un tel candidat soit élu Président, pour obtenir une majorité claire aux législatives de juin il devra expliquer comment il rendra plus efficaces les politiques publiques, indiquer dans quels domaines et pour quelles réformes il procédera par ordonnances, ou autrement, préciser son calendrier (quoi dans les 100 jours, puis quoi dans la première année, la deuxième) en écartant dans un premier temps tout recours au referendum (même si celui-ci reste bien sûr une possibilité constitutionnelle). La réfutation des contre-vérités démagogiques devra réussir à toucher le grand public, pour prévenir la formation de la coalition du statu quo et la paralysie générale. Convaincre chaque jour, encore, et toujours.

Le nouveau Président devra ensuite passer à la mise en œuvre dès la constitution du gouvernement issu des élections législatives. Décrets, ordonnances, lois. La pédagogie, là, devra alors être plus concrète. Rappeler aussi les réformes utiles pour tous accomplies par presque tous les pays développés, handicapés par un Etat providence devenu infinançable et sauvé par des décisions courageuses, mais le faire sans jamais copier «un» modèle unique, fut-ce l’Allemagne ou la Suède. Chaque réforme doit être adaptée au contexte français. Par exemple, se référer sans explication à la «flexi-sécurité» d’origine danoise inquiète. Pas de malentendu : la réussite de cette politique est évidente. Mais la France étant ce qu’elle est, «flexibilité» est compris comme le droit de licencier sans limite, même dans les professions archi protégées, comme sous l’Ancien Régime! Il faut donc commencer par convaincre de la réalité de la sécurité/sécurisation du parcours professionnel de chacun (la gauche a fait pas mal dans ce sens, et n’a pas été assez créditée de ses efforts) avant d’expliquer le paradoxe selon lequel les entreprises n’embauchent pas si elles ne peuvent pas débaucher. La loi El-Khomeri est un contre-exemple méthodologique à méditer. Très bonne loi, au début, elle n’est pas comprise parce que pas expliquée ou trop tard par un exécutif déjà inaudible qui commet en plus l’erreur initiale de s’aliéner la CFDT. Au final, réduite à peu de choses, elle est rejetée par une majorité de Français non concernés, ou dont le sort ne pourrait être qu’amélioré par sa mise en œuvre!

Même si les réforme sont bien pensées et bien présentées par un exécutif encore écouté, et la pédagogie bien faite, il y aura quand même à un moment donné un moment de vérité d’abord parlementaire (habilitation des ordonnances) et, peut-être, une épreuve de force dans la rue avec des groupuscules ou même certains syndicats déterminés à empêcher tout changement pour préserver leur pouvoir de blocage ou pour ne pas être mis en minorité au Congrès suivant. C’est une dramaturgie nationale connue, assez différente de ce qui se passe dans les autres pays développés, celle du déclin.

Dans le premier cas, tout dépend des rapports de force ou de confiance au sein de la majorité parlementaire, ou de la coalition puisque la vraie base solide d’un Président, même une fois élu, n’est guère supérieure à 20/25%. Dans l’hypothèse, possible, d’une assemblée sans majorité claire, il faudrait alors bâtir une coalition momentanée, pour un temps donné fixé à l’avance, pour améliorer l’efficacité du marché du travail et celle de la formation, et réduire les dépenses publiques et donc le déficit et la dette, ce qui permettra de retrouver notre crédibilité en Europe. Il ne s’agit pas d’Union nationale, ni même d’un accord global bi-partisan à l’allemande, mais d’une façon de surmonter les blocages croisés dont les modalités de dénouement seraient prévues dès le départ : chaque camp doit pouvoir retrouver son identité à la fin. Si cela s’avère impossible, il faudrait a minima obtenir de l’opposition qu’elle définisse ses lignes rouges, et que le gouvernement s’engage en retour à ne pas les franchir à condition, dans l’intérêt du pays, que l’opposition battue aux élections s’engage à ne pas jouer l’obstruction sur le reste. C’est à l’avance, avant même l’élection, que des gestes, un ton, des engagements appropriés, de la part des candidats non extrémistes permettront à l’opposition de demain de se comporter de façon responsable.

L’épreuve de la rue est-elle évitable si les «réformes» sont bien préparées, présentées et négociées? A fortiori si elles sont assumées de façon bipartisane? Peut-être, mais le pouvoir de blocage ou d’obstruction par des minorités, pas toujours infimes, ne disparaîtra pas par miracle. L’Histoire de la France depuis 1945 pèse. Pour que les opposants irréductibles ou extrémismes ne soit pas vus par l’opinion comme une minorité courageuse qui se bat aux avant-postes dans l’intérêt général des salariés, mais comme des corporatismes paralysant de façon illégitime le fonctionnement de la démocratie voire mettant en danger les actions à mener pour assurer la survie de notre modèle, il faut que le sens de la politique mise en œuvre soit clairement perçu et dépasse pour chacun les considérations catégorielles. Pour cela les explications et la pédagogie sont inopérantes si elles arrivent au dernier moment. En dernier recours il s’agira d’une bataille d’opinion qu’il faut préparer de longue date pour la gagner à chaque étape, spécialement la dernière, et pas seulement au moment de l’annonce ou des débuts, car l’opinion peut se rétracter à tout moment.

Une fois la première réforme importante engagée, celle de l’efficacité, du marché du travail ou du système éducatif, une pédagogie plus ambitieuse pourra être déployée pour enclencher un cercle vertueux qui pourrait dénouer le nœud de défiance, de manque de confiance en eux des Français des dernières décennies, et libérer ainsi le formidable potentiel créateur et le dynamisme de notre pays.

Hubert Védrine et «Le CLUB»

«Une coalition entre gauche et droite s’impose»

Hubert Vedrine

«Une coalition entre gauche et droite s’impose»

Au terme de cette campagne insensée nous allons quand même élire un président puis une assemblée pour gouverner et réformer. Car comme en 1958 la France ne restera maitresse de son destin, et ne retrouvera une cohésion sociale et mentale que grâce à quelques réformes clefs. La France doit reformer sa cohésion sociale, non pas par plus d’assistance et de dette, mais en redonnant à chacun par le travail, le mérite (et non les rentes), mais aussi par l’éducation, profondément transformée dans ses méthodes, et une mise en œuvre intelligente de la laïcité, une place dans la société et une espérance dans l’avenir. Cela passe par la correction des règles qui maintiennent le chômage de masse à environ 10%, par un big bang de la formation, mais aussi par la reprise de contrôle de la dépense publique. Elle est tellement excessive qu’elle nous oblige à des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde et à une pression fiscale asphyxiante, tout en alimentant une dette qui pèse injustement sur les générations futures.

Les Français savent tout cela. Mais s’ils sont inquiets de voir notre modèle républicain et social au bord de la rupture, ils craignent que des réformes mal conçues par des élites en qui ils ont perdu toute confiance ne finissent par l’achever plutôt que de le sauver. Un candidat, un président, qui voudra réformer (même en jouant sur les mots : ne pas réformer mais transformer) devra surmonter d’abord cette méfiance viscérale, en trouvant, avant l’élection, les mots et le ton pour convaincre qu’il ne s’agit pas d’obéir à des diktats extérieurs mais de préserver ce qui fait le ciment de la France, de recoudre un pays en voie d’implosion, de mobiliser son potentiel. Bien sûr, cela suppose de rompre avec la complaisance clientéliste des dernières décennies, l’accumulation de micro-engagements catégoriels, la surenchère électorale derrière les minorités de toute sorte, pour reparler à tous du pays en tant que pays, de la France en tant que nation qui doit pouvoir toujours décider de son avenir, de l’intérêt général. Ce sera très difficile d’inverser la vapeur, surtout dans un contexte électoral, mais c’est la condition du sursaut.

A supposer (et en espérant) qu’un tel candidat soit élu Président, pour obtenir une majorité claire aux législatives de juin il devra expliquer comment il rendra plus efficaces les politiques publiques, indiquer dans quels domaines et pour quelles réformes il procédera par ordonnances, ou autrement, préciser son calendrier (quoi dans les 100 jours, puis quoi dans la première année, la deuxième) en écartant dans un premier temps tout recours au referendum (même si celui-ci reste bien sûr une possibilité constitutionnelle). La réfutation des contre-vérités démagogiques devra réussir à toucher le grand public, pour prévenir la formation de la coalition du statu quo et la paralysie générale. Convaincre chaque jour, encore, et toujours.

Le nouveau Président devra ensuite passer à la mise en œuvre dès la constitution du gouvernement issu des élections législatives. Décrets, ordonnances, lois. La pédagogie, là, devra alors être plus concrète. Rappeler aussi les réformes utiles pour tous accomplies par presque tous les pays développés, handicapés par un Etat providence devenu infinançable et sauvé par des décisions courageuses, mais le faire sans jamais copier «un» modèle unique, fut-ce l’Allemagne ou la Suède. Chaque réforme doit être adaptée au contexte français. Par exemple, se référer sans explication à la «flexi-sécurité» d’origine danoise inquiète. Pas de malentendu : la réussite de cette politique est évidente. Mais la France étant ce qu’elle est, «flexibilité» est compris comme le droit de licencier sans limite, même dans les professions archi protégées, comme sous l’Ancien Régime! Il faut donc commencer par convaincre de la réalité de la sécurité/sécurisation du parcours professionnel de chacun (la gauche a fait pas mal dans ce sens, et n’a pas été assez créditée de ses efforts) avant d’expliquer le paradoxe selon lequel les entreprises n’embauchent pas si elles ne peuvent pas débaucher. La loi El-Khomeri est un contre-exemple méthodologique à méditer. Très bonne loi, au début, elle n’est pas comprise parce que pas expliquée ou trop tard par un exécutif déjà inaudible qui commet en plus l’erreur initiale de s’aliéner la CFDT. Au final, réduite à peu de choses, elle est rejetée par une majorité de Français non concernés, ou dont le sort ne pourrait être qu’amélioré par sa mise en œuvre!

Même si les réforme sont bien pensées et bien présentées par un exécutif encore écouté, et la pédagogie bien faite, il y aura quand même à un moment donné un moment de vérité d’abord parlementaire (habilitation des ordonnances) et, peut-être, une épreuve de force dans la rue avec des groupuscules ou même certains syndicats déterminés à empêcher tout changement pour préserver leur pouvoir de blocage ou pour ne pas être mis en minorité au Congrès suivant. C’est une dramaturgie nationale connue, assez différente de ce qui se passe dans les autres pays développés, celle du déclin.

Dans le premier cas, tout dépend des rapports de force ou de confiance au sein de la majorité parlementaire, ou de la coalition puisque la vraie base solide d’un Président, même une fois élu, n’est guère supérieure à 20/25%. Dans l’hypothèse, possible, d’une assemblée sans majorité claire, il faudrait alors bâtir une coalition momentanée, pour un temps donné fixé à l’avance, pour améliorer l’efficacité du marché du travail et celle de la formation, et réduire les dépenses publiques et donc le déficit et la dette, ce qui permettra de retrouver notre crédibilité en Europe. Il ne s’agit pas d’Union nationale, ni même d’un accord global bi-partisan à l’allemande, mais d’une façon de surmonter les blocages croisés dont les modalités de dénouement seraient prévues dès le départ : chaque camp doit pouvoir retrouver son identité à la fin. Si cela s’avère impossible, il faudrait a minima obtenir de l’opposition qu’elle définisse ses lignes rouges, et que le gouvernement s’engage en retour à ne pas les franchir à condition, dans l’intérêt du pays, que l’opposition battue aux élections s’engage à ne pas jouer l’obstruction sur le reste. C’est à l’avance, avant même l’élection, que des gestes, un ton, des engagements appropriés, de la part des candidats non extrémistes permettront à l’opposition de demain de se comporter de façon responsable.

L’épreuve de la rue est-elle évitable si les «réformes» sont bien préparées, présentées et négociées? A fortiori si elles sont assumées de façon bipartisane? Peut-être, mais le pouvoir de blocage ou d’obstruction par des minorités, pas toujours infimes, ne disparaîtra pas par miracle. L’Histoire de la France depuis 1945 pèse. Pour que les opposants irréductibles ou extrémismes ne soit pas vus par l’opinion comme une minorité courageuse qui se bat aux avant-postes dans l’intérêt général des salariés, mais comme des corporatismes paralysant de façon illégitime le fonctionnement de la démocratie voire mettant en danger les actions à mener pour assurer la survie de notre modèle, il faut que le sens de la politique mise en œuvre soit clairement perçu et dépasse pour chacun les considérations catégorielles. Pour cela les explications et la pédagogie sont inopérantes si elles arrivent au dernier moment. En dernier recours il s’agira d’une bataille d’opinion qu’il faut préparer de longue date pour la gagner à chaque étape, spécialement la dernière, et pas seulement au moment de l’annonce ou des débuts, car l’opinion peut se rétracter à tout moment.

Une fois la première réforme importante engagée, celle de l’efficacité, du marché du travail ou du système éducatif, une pédagogie plus ambitieuse pourra être déployée pour enclencher un cercle vertueux qui pourrait dénouer le nœud de défiance, de manque de confiance en eux des Français des dernières décennies, et libérer ainsi le formidable potentiel créateur et le dynamisme de notre pays.

Hubert Védrine et «Le CLUB»

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22/03/2017