Ancien secrétaire général de l’Elysée sous François Mitterrand, et ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin, Hubert Védrine revient pour Libération sur la nouvelle donne créée par la perspective d’un accord historique sur le nucléaire iranien signé à Genève dans la nuit du 23 au 24 novembre avec les pays du «5+1» (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne).
L’accord intérimaire de Genève sur le nucléaire marque-t-il le retour de l’Iran?
L’engagement de ce processus est un événement considérable. Il peut conduire, un jour, à la réinsertion de l’Iran dans le jeu international dont il s’est exclu – ou a été exclu – depuis la révolution islamique de 1979. L’enjeu est énorme, l’acceptation et la normalisation de l’Iran islamiste. La question des projets nucléaires iraniens a, en plus, aggravé les tensions internationales, notamment au Moyen-Orient, depuis plus de dix ans. Des occasions ont été perdues, par exemple après l’élection de Mohammad Khatami en 1998, (j’avais été le voir, mis en garde par Jacques Chirac). Et surtout en 2004-2005, quand des négociations étaient peut-être possibles. Mais les Etats-Unis ne voulaient sans doute pas relégitimer ce régime, même via un éventuel bon accord sur le nucléaire. Cela me rappelle les désaccords entre les Occidentaux qui voulaient aider Gorbatchev – Kohl, Mitterrand, Delors – et ceux – Bush père, John Major, Mulroney – qui ne voulaient rien faire qui compromette la chute de l’URSS.
Jusqu’où peut aller cette dynamique?
H.V. Si les engagements pris (arrêts, contrôles) sont tenus pendant la période intermédiaire, on ira en principe vers une levée des sanctions par étapes, à décider à New York, Washington et Bruxelles. Pour les durs du régime iranien, les Pasdarans, qui ont vécu de la tension, c’est une menace à terme sur leur pouvoir.
Les pasdarans qui contrôlent l’ossature économique du pays pourraient être les premiers bénéficiaires d’un allégement des sanctions…
H.V. Oui s’ils se convertissent à l’économie ouverte! Si les obstacles sont surmontés, si la ligne Rohani, qui semble ratifiée par le guide, s’impose, l’Iran pourrait passer en quelques années, de pays étranglé par les sanctions à un Etat pré-émergent, avec un potentiel énorme. Sous le couvercle du régime, la société iranienne est déjà plus moderne que la société saoudienne. La diaspora iranienne des Etats-Unis soutiendra ce mouvement. Si les durs s’en convainquent, le processus avancera. Ils se diviseront peut être. Il faut donc être à la fois vigilant sur l’application loyale par les Iraniens de l’accord intérimaire, comme le dit Laurent Fabius, mais aussi très vigilant avec les groupes qui voudront torpiller l’accord. Je serais étonné que pendant la période intérimaire, aucune tentative n’ait lieu pour faire avorter le processus.
Venant d’où?
H.V. Beaucoup de forces vont essayer de faire dérailler ce processus. En Iran bien sûr mais aussi en Arabie Saoudite, en Israël et surtout aux Etats-Unis. Les Saoudiens sont obsédés par l’encerclement chiite – c’est pourquoi ils veulent faire tomber à tout prix le maillon alaouite syrien. Mais que peuvent-ils faire? Les Israéliens, c’est plus important car ils ont une influence importante aux Etats-Unis, notamment sur le Congrès qui détient la clef des sanctions. Autant sur le dossier palestinien Nétanyahou n’est pas représentatif de toute l’opinion israélienne, plus ouverte que lui, autant sur l’Iran, il exprime une inquiétude générale. Nous allons voir si Obama sera capable de contenir ces forces et de faire primer l’intérêt des Etats-Unis à long terme contre un parti républicain déchainé et déterminé à ce qu’il ne remporte aucun succès. Il devra batailler fermement et habilement pour faire lever les sanctions.
N’y-a-t-il pas aussi l’idée que l’Iran puisse être à long terme un partenaire fiable et remplacer l’Arabie Saoudite?
H.V. Vous allez un peu vite! Mais il est possible qu’il y ait déjà, à Washington comme à Téhéran, des stratèges qui caressent cette hypothèse, d’où la crainte des Saoudiens. Mais si l’Iran rentre dans le jeu, ce ne sera pas le même Iran, et l’Arabie ne sera pas exclue! Quant aux Israéliens, s’ils avaient des gouvernants visionnaires, des hommes d’Etat à la Rabin, ils pourraient jouer cette dynamique à long terme. Il faut sortir par le haut, et en sécurité pour tous, de cet affrontement stérile et sans fin où le monde était censé ne se préoccuper que de l’éventuelle bombe iranienne! Il y a eu de ce fait une stérilisation de la pensée géopolitique, y compris à Paris. Il faudra par ailleurs éviter aussi que ce nouveau processus se paye d’un abandon cynique et dangereux de la question palestinienne à des négociations bilatérales vouées d’avance à l’échec.
Cela va aussi dans le sens d’une participation de l’Iran à des négociations sur la Syrie?
Si Genève II a réellement lieu et progresse, il faut évidemment y impliquer tous les protagonistes y compris l’Iran. Ce serait dangereux de les laisser en dehors.
Barack Obama se montre-t-il finalement visionnaire en politique étrangère après avoir déçu?
Les attentes hors du commun liées à sa personne, à ses origines, à son parcours étaient irrationnelles. Sur la Syrie ou ailleurs sa ligne diplomatique peut paraître hésitante ou déconcertante. Mais sa vision stratégique globale est claire : plus une «hyperpuissance», mais le n°1 quand même, dans un monde d’émergents où les Etats-Unis restent le «hub». Il ne se «replie» pas sur l’Amérique, il redéploie logiquement ses forces; presque plus en Europe (mais en gardant l’OTAN), le moins possible au Moyen Orient (mais il y aura toujours la garantie à Israël), une stratégie nouvelle sur l’Iran et une stratégie commerciale offensive en Asie, plus la maîtrise des technologies civiles et militaires les plus avancées, et de la haute mer. Cela a un sens.
Cet accord ne marque-t-il pas aussi le grande retour de la Russie?
H.V. Les Occidentaux, qui avaient misé sur Dimitri Medvedev, ont fait de Vladimir Poutine un épouvantail, oubliant qu’il est le résultat direct des années Eltsine et du chaos créé par la libéralisation économique sauvage imposée notamment par les conseillers américains après l’effondrement de l’URSS. Nous avons la chance que cette politique aveugle n’ait pas donné pire que Poutine. Bien sûr, ce dernier est très choquant du point de vue des critères européens et de ce fait, depuis des années, nombre de pays occidentaux – mais pas l’Allemagne – n’ont plus de politique russe, sinon celle de le détester. C’est un peu court. Pour interrompre la marginalisation de la Russie, il use d’un pouvoir de nuisance. Mais en aidant Obama à se dégager des engagements qu’il avait lui-même pris sur les armes chimiques en Syrie, en étant constructif sur le nucléaire iranien, Poutine a peut-être commencé à transformer ce pouvoir de nuisance en autre chose de plus constructif. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle a changé sur le fond : l’extension vers l’est de l’Otan, comme de l’Union Européenne, l’insupporte toujours autant, comme on le voit avec la crise ukrainienne, où il faudrait une pause et une neutralisation du problème pour quelques années, pour que ce pays ne soit pas écartelé et se développe sans avoir à faire des choix impossibles.
La France est-elle prise à contre-pied par cette nouvelle donne?
H.V. Cela dépend qui! Tout le monde est maintenant conscient de la nouvelle donne. Ceux qui sont devenus «néo-conversateurs» croient être dans la bonne ligne occidentaliste. C’est peut-être une illusion. Il n’y a plus vraiment de consensus en France. A vrai dire, il y a toujours eu un débat entre d’un côté gaullistes, puis gaullo-mitterrandiens et de l’autre, atlantistes et néo-conservateurs, européistes ou non. La ligne traditionnelle de la V° République en politique étrangère avait déjà été mise à mal par Nicolas Sarkozy. Dans les endroits où l’on pense la politique étrangère française – l’Elysée, le Quai d’Orsay, un peu la Défense, les think-tanks – l’idée qu’il faut sortir des vieux schémas «gaullo-mitterrandiens» était devenue ces dernières années une mode. Sur l’Iran, il y a plusieurs groupes inquiets, des pro-israéliens, des anti-iraniens viscéraux rappelant sans cesse ce que fut le rôle de ce régime dans le terrorisme, les missionnaires de l’antiprolifération, qui sont souvent d’ailleurs aussi parmi les plus brillants de nos diplomates. Mais cela ne signifie pas pour autant un isolement de la France. Dans les négociations sur le nucléaire iranien, elle n’était pas la seule à estimer que le premier projet d’accord préparé par John Kerry était insuffisant. Pour diverses raisons Laurent Fabius est monté sur le devant de la scène mais les autres membres du «5 +1» (les cinq membres permanents du conseil sécurité plus l’Allemagne) jugeaient aussi l’accord insuffisant. L’accord suivant – intérimaire – est meilleur. La recomposition intellectuelle de notre diplomatie est loin d’être achevée.
Quel rôle pour l’Europe?
H.V. Vaste question! Il faudrait réinventer un gaullisme à l’échelle européenne, fidélité aux alliances, liberté de mouvement par rapport aux émergents (l’ancien «Sud»), envers lesquels nous devons être entreprenants et conquérants. Mais il n’y a pas de politique étrangère ni même d’analyse commune, entre Européens. Le simple fait de raisonner en termes de puissance est considéré comme mal par nombre d’entre eux. L’Allemagne mène une politique presque isolationniste, comme une grande Suisse sauf en économie, la France est regardée comme devant se réformer. Le redéploiement américain nous donne pourtant une opportunité formidable. Ils sont prêts à ce que nous jouions un rôle accru. Ou nous continuons en politique étrangère européenne le moulin à prière des bonnes intentions générales – droits de l’homme, paix, développementetc… – sans influence réelle. Ou, pour surmonter nos différences, legs de l’histoire, nous demandons aux Etats ayant les conceptions les plus divergentes sur tel ou tel point (Pologne et Italie par exemple sur la Russie) de trouver une synthèse acceptable par tous. A plus court terme, l’Europe aura à se déterminer sur la levée des sanctions de l’Iran. Ils peuvent être un moteur du processus.
Ancien secrétaire général de l’Elysée sous François Mitterrand, et ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin, Hubert Védrine revient pour Libération sur la nouvelle donne créée par la perspective d’un accord historique sur le nucléaire iranien signé à Genève dans la nuit du 23 au 24 novembre avec les pays du «5+1» (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne).
L’accord intérimaire de Genève sur le nucléaire marque-t-il le retour de l’Iran?
L’engagement de ce processus est un événement considérable. Il peut conduire, un jour, à la réinsertion de l’Iran dans le jeu international dont il s’est exclu – ou a été exclu – depuis la révolution islamique de 1979. L’enjeu est énorme, l’acceptation et la normalisation de l’Iran islamiste. La question des projets nucléaires iraniens a, en plus, aggravé les tensions internationales, notamment au Moyen-Orient, depuis plus de dix ans. Des occasions ont été perdues, par exemple après l’élection de Mohammad Khatami en 1998, (j’avais été le voir, mis en garde par Jacques Chirac). Et surtout en 2004-2005, quand des négociations étaient peut-être possibles. Mais les Etats-Unis ne voulaient sans doute pas relégitimer ce régime, même via un éventuel bon accord sur le nucléaire. Cela me rappelle les désaccords entre les Occidentaux qui voulaient aider Gorbatchev – Kohl, Mitterrand, Delors – et ceux – Bush père, John Major, Mulroney – qui ne voulaient rien faire qui compromette la chute de l’URSS.
Jusqu’où peut aller cette dynamique?
H.V. Si les engagements pris (arrêts, contrôles) sont tenus pendant la période intermédiaire, on ira en principe vers une levée des sanctions par étapes, à décider à New York, Washington et Bruxelles. Pour les durs du régime iranien, les Pasdarans, qui ont vécu de la tension, c’est une menace à terme sur leur pouvoir.
Les pasdarans qui contrôlent l’ossature économique du pays pourraient être les premiers bénéficiaires d’un allégement des sanctions…
H.V. Oui s’ils se convertissent à l’économie ouverte! Si les obstacles sont surmontés, si la ligne Rohani, qui semble ratifiée par le guide, s’impose, l’Iran pourrait passer en quelques années, de pays étranglé par les sanctions à un Etat pré-émergent, avec un potentiel énorme. Sous le couvercle du régime, la société iranienne est déjà plus moderne que la société saoudienne. La diaspora iranienne des Etats-Unis soutiendra ce mouvement. Si les durs s’en convainquent, le processus avancera. Ils se diviseront peut être. Il faut donc être à la fois vigilant sur l’application loyale par les Iraniens de l’accord intérimaire, comme le dit Laurent Fabius, mais aussi très vigilant avec les groupes qui voudront torpiller l’accord. Je serais étonné que pendant la période intérimaire, aucune tentative n’ait lieu pour faire avorter le processus.
Venant d’où?
H.V. Beaucoup de forces vont essayer de faire dérailler ce processus. En Iran bien sûr mais aussi en Arabie Saoudite, en Israël et surtout aux Etats-Unis. Les Saoudiens sont obsédés par l’encerclement chiite – c’est pourquoi ils veulent faire tomber à tout prix le maillon alaouite syrien. Mais que peuvent-ils faire? Les Israéliens, c’est plus important car ils ont une influence importante aux Etats-Unis, notamment sur le Congrès qui détient la clef des sanctions. Autant sur le dossier palestinien Nétanyahou n’est pas représentatif de toute l’opinion israélienne, plus ouverte que lui, autant sur l’Iran, il exprime une inquiétude générale. Nous allons voir si Obama sera capable de contenir ces forces et de faire primer l’intérêt des Etats-Unis à long terme contre un parti républicain déchainé et déterminé à ce qu’il ne remporte aucun succès. Il devra batailler fermement et habilement pour faire lever les sanctions.
N’y-a-t-il pas aussi l’idée que l’Iran puisse être à long terme un partenaire fiable et remplacer l’Arabie Saoudite?
H.V. Vous allez un peu vite! Mais il est possible qu’il y ait déjà, à Washington comme à Téhéran, des stratèges qui caressent cette hypothèse, d’où la crainte des Saoudiens. Mais si l’Iran rentre dans le jeu, ce ne sera pas le même Iran, et l’Arabie ne sera pas exclue! Quant aux Israéliens, s’ils avaient des gouvernants visionnaires, des hommes d’Etat à la Rabin, ils pourraient jouer cette dynamique à long terme. Il faut sortir par le haut, et en sécurité pour tous, de cet affrontement stérile et sans fin où le monde était censé ne se préoccuper que de l’éventuelle bombe iranienne! Il y a eu de ce fait une stérilisation de la pensée géopolitique, y compris à Paris. Il faudra par ailleurs éviter aussi que ce nouveau processus se paye d’un abandon cynique et dangereux de la question palestinienne à des négociations bilatérales vouées d’avance à l’échec.
Cela va aussi dans le sens d’une participation de l’Iran à des négociations sur la Syrie?
Si Genève II a réellement lieu et progresse, il faut évidemment y impliquer tous les protagonistes y compris l’Iran. Ce serait dangereux de les laisser en dehors.
Barack Obama se montre-t-il finalement visionnaire en politique étrangère après avoir déçu?
Les attentes hors du commun liées à sa personne, à ses origines, à son parcours étaient irrationnelles. Sur la Syrie ou ailleurs sa ligne diplomatique peut paraître hésitante ou déconcertante. Mais sa vision stratégique globale est claire : plus une «hyperpuissance», mais le n°1 quand même, dans un monde d’émergents où les Etats-Unis restent le «hub». Il ne se «replie» pas sur l’Amérique, il redéploie logiquement ses forces; presque plus en Europe (mais en gardant l’OTAN), le moins possible au Moyen Orient (mais il y aura toujours la garantie à Israël), une stratégie nouvelle sur l’Iran et une stratégie commerciale offensive en Asie, plus la maîtrise des technologies civiles et militaires les plus avancées, et de la haute mer. Cela a un sens.
Cet accord ne marque-t-il pas aussi le grande retour de la Russie?
H.V. Les Occidentaux, qui avaient misé sur Dimitri Medvedev, ont fait de Vladimir Poutine un épouvantail, oubliant qu’il est le résultat direct des années Eltsine et du chaos créé par la libéralisation économique sauvage imposée notamment par les conseillers américains après l’effondrement de l’URSS. Nous avons la chance que cette politique aveugle n’ait pas donné pire que Poutine. Bien sûr, ce dernier est très choquant du point de vue des critères européens et de ce fait, depuis des années, nombre de pays occidentaux – mais pas l’Allemagne – n’ont plus de politique russe, sinon celle de le détester. C’est un peu court. Pour interrompre la marginalisation de la Russie, il use d’un pouvoir de nuisance. Mais en aidant Obama à se dégager des engagements qu’il avait lui-même pris sur les armes chimiques en Syrie, en étant constructif sur le nucléaire iranien, Poutine a peut-être commencé à transformer ce pouvoir de nuisance en autre chose de plus constructif. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle a changé sur le fond : l’extension vers l’est de l’Otan, comme de l’Union Européenne, l’insupporte toujours autant, comme on le voit avec la crise ukrainienne, où il faudrait une pause et une neutralisation du problème pour quelques années, pour que ce pays ne soit pas écartelé et se développe sans avoir à faire des choix impossibles.
La France est-elle prise à contre-pied par cette nouvelle donne?
H.V. Cela dépend qui! Tout le monde est maintenant conscient de la nouvelle donne. Ceux qui sont devenus «néo-conversateurs» croient être dans la bonne ligne occidentaliste. C’est peut-être une illusion. Il n’y a plus vraiment de consensus en France. A vrai dire, il y a toujours eu un débat entre d’un côté gaullistes, puis gaullo-mitterrandiens et de l’autre, atlantistes et néo-conservateurs, européistes ou non. La ligne traditionnelle de la V° République en politique étrangère avait déjà été mise à mal par Nicolas Sarkozy. Dans les endroits où l’on pense la politique étrangère française – l’Elysée, le Quai d’Orsay, un peu la Défense, les think-tanks – l’idée qu’il faut sortir des vieux schémas «gaullo-mitterrandiens» était devenue ces dernières années une mode. Sur l’Iran, il y a plusieurs groupes inquiets, des pro-israéliens, des anti-iraniens viscéraux rappelant sans cesse ce que fut le rôle de ce régime dans le terrorisme, les missionnaires de l’antiprolifération, qui sont souvent d’ailleurs aussi parmi les plus brillants de nos diplomates. Mais cela ne signifie pas pour autant un isolement de la France. Dans les négociations sur le nucléaire iranien, elle n’était pas la seule à estimer que le premier projet d’accord préparé par John Kerry était insuffisant. Pour diverses raisons Laurent Fabius est monté sur le devant de la scène mais les autres membres du «5 +1» (les cinq membres permanents du conseil sécurité plus l’Allemagne) jugeaient aussi l’accord insuffisant. L’accord suivant – intérimaire – est meilleur. La recomposition intellectuelle de notre diplomatie est loin d’être achevée.
Quel rôle pour l’Europe?
H.V. Vaste question! Il faudrait réinventer un gaullisme à l’échelle européenne, fidélité aux alliances, liberté de mouvement par rapport aux émergents (l’ancien «Sud»), envers lesquels nous devons être entreprenants et conquérants. Mais il n’y a pas de politique étrangère ni même d’analyse commune, entre Européens. Le simple fait de raisonner en termes de puissance est considéré comme mal par nombre d’entre eux. L’Allemagne mène une politique presque isolationniste, comme une grande Suisse sauf en économie, la France est regardée comme devant se réformer. Le redéploiement américain nous donne pourtant une opportunité formidable. Ils sont prêts à ce que nous jouions un rôle accru. Ou nous continuons en politique étrangère européenne le moulin à prière des bonnes intentions générales – droits de l’homme, paix, développementetc… – sans influence réelle. Ou, pour surmonter nos différences, legs de l’histoire, nous demandons aux Etats ayant les conceptions les plus divergentes sur tel ou tel point (Pologne et Italie par exemple sur la Russie) de trouver une synthèse acceptable par tous. A plus court terme, l’Europe aura à se déterminer sur la levée des sanctions de l’Iran. Ils peuvent être un moteur du processus.