Que faire en Mediterranée ?

Aujourd’hui, c’est un ensemble assez hétérogène de 440 millions d’habitants environ, et de 22 pays si on considère seulement les pays riverains – plus si on y inclut toute l’Union européenne – et qui se différencie entre nord et sud; chrétiens, musulmans et juifs; européens, turcs, israéliens et arabes; dont une partie (le nord) est couverte par une alliance militaire, l’alliance atlantique; où les États-Unis maintiennent leur VIème flotte; qui comprend des passages stratégiques à l’ouest (Gibraltar), au sud-est (Suez) et au nord-est (Dardanelles); qui comprend un grave conflit irrésolu (Israël / Palestine), un contentieux sérieux (Chypre/ Turquie/UE) des frontières fermées (Algérie/Maroc). Et qui depuis des siècles a été autant un espace de conflits et de tensions que d’échanges.

Le processus dit de Barcelone (1995) partenariat euro-méditerranéen (Euromed) était bien intentionné (le Nord aide le Sud) mais paternaliste, et assorti de nombreuses conditions politiques et économiques, jugées excessives par le sud.
L’union de la Méditerranée, première version, partenariale, celle du discours de Tanger, en octobre 2007, corrigeait ce défaut. L’Union pour la Méditerranée, deuxième version au sommet de Paris du 14 Juillet 2008 après le veto allemand de mars 2008, redevenait essentiellement une politique du Nord de l’UE.

Les pays du Sud n’avaient pas spécialement demandé cette «UpM», étaient en désaccord entre eux, ou se concurrençaient pour les postes à créer, et avaient d’autres priorités (l’aide bilatérale, les visas, des statuts particuliers). La Turquie soupçonnait cette initiative d’avoir été lancée pour détourner sa candidature européenne. Une fois passé le sommet de Paris, rien n’avança et les évènements au Proche-Orient (Gaza) achevèrent de tout paralyser. L’idée, lancée de façon improvisée pour la relégitimer, que l’UpM puisse aider à trouver une solution au Proche-Orient, était évidemment vouée à faire long feu. Il reste de tout cela un secrétariat à Barcelone, dont il faut espérer qu’il facilitera l’identification et le financement de bons projets, d’ailleurs largement déjà préparés par la Commission, laquelle consacre 7,2 milliards par an à des dons bilatéraux aux onze pays du Sud, la Banque Européenne d’Investissement prêtant, elle, 2 milliards par an. Une «Union pour des Projets» conserve du sens, avec un léger secrétariat opérationnel, à condition d’être souple et à géométrie variable, et de travailler avec la Commission.

L’UpM peut elle être relancée à la faveur du «printemps arabe»? Ce n’est pas évident. Relancer l’ensemble de «l’Union» (terme pour le moins optimiste) ne marchera pas, car les évènements récents ont aggravé les disparités et les tensions entre pays arabes. Soutenir plus particulièrement les pays en voie de démocratisation s’impose, mais cela ne relève pas de l’UpM globale (ils sont 2+1: Tunisie, Égypte, et Maroc). Le G8 s’est déjà intéressé à deux d’entre eux. Et l’Europe ne peut pas renoncer à avoir une politique envers les autres pays arabes, en guerre civile ou sous le statu quo.

Que faire justement envers eux?
Notre intérêt est, idéalement: que les processus de démocratisation progressent bien, sans créer de chaos démocratique, et franchissent sans drame les obstacles prévisibles. Que les guerres civiles ou les tensions en Lybie, en Syrie, au Yémen (et au Bahrein) s’achèvent et que des processus de modernisation politique y soient entamés de façons contrôlée, avec toutes les forces vices de ces pays. Que des pays arrêtés comme l’Algérie entrent, même prudemment, dans ce mouvement. Que l’Arabie, qui craint que l’Iran ne profite de cette instabilité, résiste à la tentation de mettre sur pied une Sainte Alliance anti démocratisation et, au contraire, trouve son propre chemin…
Ce n’est pas un rêve, mais un scénario idéal. Mais bien sûr, toutes les évolutions ou régressions, même les pires, sont possibles.

Comment favoriser les hypothèses positives?
En pratiquant un suivi attentif, général, et pays par pays, un fin dosage de décisions politiques, diplomatiques, financières et militaires, adapté à chaque cas et à chaque moment. En nous armant de patience (ce sont des processus longs, à rebondissements multiples). En travaillant à une harmonisation des pays du Sud de l’Europe, qui sont en première ligne, malgré leurs problèmes aigus actuels, et d’abord sur les migrations, et à celle de la ligne générale des 27; et de ce qui se fait dans les diverses instances multilatérales. En essayant d’éviter les contradictions ou malentendus stratégiques avec les États-Unis (sur le Proche Orient). En ne plaquant rien schématiquement, en étant à l’écoute des nouveauxresponsables, qui vont apparaître, par des révolutions ou des élections, en voyant avec eux ce qu’ils attendent de nous. En nous concertant systématiquement, enfin, avec la Turquie.

Bien sûr un processus de paix sérieux au Proche-Orient favoriserait énormément toutes ces initiatives, et toutes les coopérations en Méditerranée, y compris au sein d’une UpM par projets. Mais il n’y en a pas de sérieux pour le moment, et il n’y en aura pas dans le meilleur des cas, au mieux, jusqu’à l’éventuelle réélection de Barak Obama, sauf si il y avait en Israël un bouleversement électoral.

Un travail particulier peut être fait sur la zone Europe-Maghreb, plus cohérente, peut être en réactivant le groupe dit des «5+5» Cela supposerait d’approcher la question des migrations de façon honnête, raisonnable et équilibrée, de mieux nous harmoniser, d’abord avec nos partenaires de Schengen, groupe qui doit être doté d’une capacité de réaction, en commençant par les plus concernés du Sud de l’Europe. Et après, en cogérant ces flux, de façon prévisionnelle, avec le Maghreb, et les pays d’Afrique, avec les pays de départ donc, et de transit. Exercice très difficile, mais qui s’imposera.
Multiplication des investissements, coopérations multiples, grands projets concrets à géométrie variable, cogestion migratoire, suivi politique: il y a beaucoup à faire, à condition de ne pas gaspiller du temps et de l’énergie à relancer de grandes machines à faire du vent, ou des «Unions» à l’évidence prématurées, et d’agir avec les partenaires qui le veulent vraiment.

Que faire en Mediterranée ?

Hubert Vedrine

Que faire en Mediterranée ?

Aujourd’hui, c’est un ensemble assez hétérogène de 440 millions d’habitants environ, et de 22 pays si on considère seulement les pays riverains – plus si on y inclut toute l’Union européenne – et qui se différencie entre nord et sud; chrétiens, musulmans et juifs; européens, turcs, israéliens et arabes; dont une partie (le nord) est couverte par une alliance militaire, l’alliance atlantique; où les États-Unis maintiennent leur VIème flotte; qui comprend des passages stratégiques à l’ouest (Gibraltar), au sud-est (Suez) et au nord-est (Dardanelles); qui comprend un grave conflit irrésolu (Israël / Palestine), un contentieux sérieux (Chypre/ Turquie/UE) des frontières fermées (Algérie/Maroc). Et qui depuis des siècles a été autant un espace de conflits et de tensions que d’échanges.

Le processus dit de Barcelone (1995) partenariat euro-méditerranéen (Euromed) était bien intentionné (le Nord aide le Sud) mais paternaliste, et assorti de nombreuses conditions politiques et économiques, jugées excessives par le sud.
L’union de la Méditerranée, première version, partenariale, celle du discours de Tanger, en octobre 2007, corrigeait ce défaut. L’Union pour la Méditerranée, deuxième version au sommet de Paris du 14 Juillet 2008 après le veto allemand de mars 2008, redevenait essentiellement une politique du Nord de l’UE.

Les pays du Sud n’avaient pas spécialement demandé cette «UpM», étaient en désaccord entre eux, ou se concurrençaient pour les postes à créer, et avaient d’autres priorités (l’aide bilatérale, les visas, des statuts particuliers). La Turquie soupçonnait cette initiative d’avoir été lancée pour détourner sa candidature européenne. Une fois passé le sommet de Paris, rien n’avança et les évènements au Proche-Orient (Gaza) achevèrent de tout paralyser. L’idée, lancée de façon improvisée pour la relégitimer, que l’UpM puisse aider à trouver une solution au Proche-Orient, était évidemment vouée à faire long feu. Il reste de tout cela un secrétariat à Barcelone, dont il faut espérer qu’il facilitera l’identification et le financement de bons projets, d’ailleurs largement déjà préparés par la Commission, laquelle consacre 7,2 milliards par an à des dons bilatéraux aux onze pays du Sud, la Banque Européenne d’Investissement prêtant, elle, 2 milliards par an. Une «Union pour des Projets» conserve du sens, avec un léger secrétariat opérationnel, à condition d’être souple et à géométrie variable, et de travailler avec la Commission.

L’UpM peut elle être relancée à la faveur du «printemps arabe»? Ce n’est pas évident. Relancer l’ensemble de «l’Union» (terme pour le moins optimiste) ne marchera pas, car les évènements récents ont aggravé les disparités et les tensions entre pays arabes. Soutenir plus particulièrement les pays en voie de démocratisation s’impose, mais cela ne relève pas de l’UpM globale (ils sont 2+1: Tunisie, Égypte, et Maroc). Le G8 s’est déjà intéressé à deux d’entre eux. Et l’Europe ne peut pas renoncer à avoir une politique envers les autres pays arabes, en guerre civile ou sous le statu quo.

Que faire justement envers eux?
Notre intérêt est, idéalement: que les processus de démocratisation progressent bien, sans créer de chaos démocratique, et franchissent sans drame les obstacles prévisibles. Que les guerres civiles ou les tensions en Lybie, en Syrie, au Yémen (et au Bahrein) s’achèvent et que des processus de modernisation politique y soient entamés de façons contrôlée, avec toutes les forces vices de ces pays. Que des pays arrêtés comme l’Algérie entrent, même prudemment, dans ce mouvement. Que l’Arabie, qui craint que l’Iran ne profite de cette instabilité, résiste à la tentation de mettre sur pied une Sainte Alliance anti démocratisation et, au contraire, trouve son propre chemin…
Ce n’est pas un rêve, mais un scénario idéal. Mais bien sûr, toutes les évolutions ou régressions, même les pires, sont possibles.

Comment favoriser les hypothèses positives?
En pratiquant un suivi attentif, général, et pays par pays, un fin dosage de décisions politiques, diplomatiques, financières et militaires, adapté à chaque cas et à chaque moment. En nous armant de patience (ce sont des processus longs, à rebondissements multiples). En travaillant à une harmonisation des pays du Sud de l’Europe, qui sont en première ligne, malgré leurs problèmes aigus actuels, et d’abord sur les migrations, et à celle de la ligne générale des 27; et de ce qui se fait dans les diverses instances multilatérales. En essayant d’éviter les contradictions ou malentendus stratégiques avec les États-Unis (sur le Proche Orient). En ne plaquant rien schématiquement, en étant à l’écoute des nouveauxresponsables, qui vont apparaître, par des révolutions ou des élections, en voyant avec eux ce qu’ils attendent de nous. En nous concertant systématiquement, enfin, avec la Turquie.

Bien sûr un processus de paix sérieux au Proche-Orient favoriserait énormément toutes ces initiatives, et toutes les coopérations en Méditerranée, y compris au sein d’une UpM par projets. Mais il n’y en a pas de sérieux pour le moment, et il n’y en aura pas dans le meilleur des cas, au mieux, jusqu’à l’éventuelle réélection de Barak Obama, sauf si il y avait en Israël un bouleversement électoral.

Un travail particulier peut être fait sur la zone Europe-Maghreb, plus cohérente, peut être en réactivant le groupe dit des «5+5» Cela supposerait d’approcher la question des migrations de façon honnête, raisonnable et équilibrée, de mieux nous harmoniser, d’abord avec nos partenaires de Schengen, groupe qui doit être doté d’une capacité de réaction, en commençant par les plus concernés du Sud de l’Europe. Et après, en cogérant ces flux, de façon prévisionnelle, avec le Maghreb, et les pays d’Afrique, avec les pays de départ donc, et de transit. Exercice très difficile, mais qui s’imposera.
Multiplication des investissements, coopérations multiples, grands projets concrets à géométrie variable, cogestion migratoire, suivi politique: il y a beaucoup à faire, à condition de ne pas gaspiller du temps et de l’énergie à relancer de grandes machines à faire du vent, ou des «Unions» à l’évidence prématurées, et d’agir avec les partenaires qui le veulent vraiment.

source:https://www.hubertvedrine.net Homepage > Publications > Que faire en Mediterranée ?
29/08/2011