Les entreprises européennes dans la compétition mondiale

Je voudrais insister sur le fossé qui est en train de se creuser entre l’Europe des entreprises et l’Europe politique, et plus encore entre les élites et la grande opinion. En rappelant néanmoins que cette Europe s’est faite démocratiquement. L’Europe actuelle résulte de négociations démocratiques entre des gouvernements démocratiques, parfaitement élus, qui négocient ensemble depuis des dizaines d’années. Dans la période récente, on a négocié de façon presque ininterrompue: Maastricht, avec de grands résultats; Amsterdam avec très peu de résultats; Nice avec des résultats réels mais contestés; ce que l’on appelle improprement la «constitution» qui est un traité et sera peut-être ratifié. Il y a des différences d’un traité à l’autre, des perfectionnements d’un traité à l’autre, des modifications, mais il n’y a pas de bouleversement complet. Je ne pense pas qu’il faille sous-estimer ce qui a été construit jusqu’ici, même si c’est encore insuffisant.

Quant à l’erreur historique selon certains, de la préférence donnée à l’élargissement sur l’approfondissement, n’oublions pas que cela a été la réponse systématiquement donnée par l’ensemble des Européens depuis que la question est posée depuis quinze ans. La première fois qu’elle a été posée, c’était en 1992, dans un conseil européen à Lisbonne, quand Jacques Delors, très soutenu par François Mitterrand, avait dit qu’on ne pouvait pas élargir à 16 (parce qu’à l’époque il y avait la Norvège) sans mieux préparer au préalable nos institutions et le chancelier Kohl s’était mis en colère. Cela a donné lieu à un désaccord Kohl/Mitterrand bien réel contrairement à beaucoup d’autres désaccords fictifs sur lesquels on a brodé. Kohl avait mis en cause l’égoïsme français, l’attachement de la France à ses privilèges, à la PAC, à ses habitudes, etc. Et la France avait été tout à fait isolée dans ce conseil, comme dans tous les autres conseils où il a été question de l’élargissement. Systématiquement. Mais c’est un isolement démocratique, si je puis dire.

L’Europe que nous avons sous les yeux, peut être frustrante, est le résultat de la négociation démocratique. Le paradoxe actuel, c’est que cette Europe qui frustre les grands acteurs de l’économie, de la finance, de l’industrie, etc. qui voudrait plus encore d’intégration et moins encore d’Etats nations. Le chiffre sur lequel on doit réfléchir politiquement, ce sont les 57 % d’abstention en moyenne dans l’Union européenne à 25 lors des dernières élections européennes. Seuls les pro-européens très convaincus et les anti-européens militants ont voté et ils sont peu nombreux au total. Ceux qui n’ont pas voté sont, en quelque sorte, l’ensemble des eurosceptiques. Mais on mélange abusivement dans ce terme les vrais hostiles, qui sont marginaux, et les sceptiques, beaucoup plus nombreux, qui sont plutôt des gens découragés, désabusés, qui ne s’y retrouvent plus et baissent les bras parce qu’ils ne voient plus comment ils pourraient influencer cette fuite en avant.

Mon analyse, est que l’Europe est devenue anxiogène pour les populations, parce que c’est un objet non identifiable et insaisissable, dont les limites sont fluctuantes. La proposition de Laurent Fabius sur les trois cercles aurait le mérite de remettre les choses en ordre, mais elle est loin d’être acquise à ce stade. L’Europe telle qu’elle se fait devient un ensemble vague, qui se dilate. Il y a incertitude sur les limites, donc sur l’identité. Les mois récents ont montré que les élites européennes elles-mêmes sont incapables de se mettre d’accord sur ce qu’est l’identité européenne aujourd’hui, comme l’a montré cette ridicule manifestation de révisionnisme historique qui conduit au retrait de la citation de Thucydide.

Instabilité aussi sur les pouvoirs et les institutions qui sont en changement permanent. Il est donc difficile de demander aux européens, des citoyens de tel ou tel pays, de s’approprier en plus une Europe en formation perpétuelle dont ils ne savent pas comment elle fonctionne, une sorte de chantier permanent. Et il y a enfin un élément d’incertitude en ce qui concerne la question de la puissance. Il me semble qu’il y a un abîme, maintenant, entre les élites intégrationnistes, les politiques en tout cas les français, qui cherchent l’Europe-puissance, les économiques qui trouvent commodes la plus grande intégration possible et une grande partie des gens normaux pour qui, aller plus loin dans l’intégration européenne, c’est aller plus loin dans la désintégration des Etats nations. La désintégration de l’espace national, qui reste pour beaucoup de gens, à tort ou à raison, le seul espace démocratique, le seul espace républicain, en tout cas le seul espace civique compréhensible, ne serait-ce que pour des raisons de langue et de mentalités.

Pour pouvoir aller plus loin, à la fois dans le sens de grands projets économiques et industriels, que sur la question de l’Europe politique et de l’Europe-puissance, il faudrait analyser de plus près cette résistance des opinions. Et comprendre pourquoi les grands dirigeants économiques de tel ou tel pays d’Europe ont à cœur de bâtir de grandes entreprises mondiales, car ceux qui ont cette volonté, cet élan, cette vitalité, ne s’en tiennent pas au cadre européen. Ils sont heureux que l’Europe les aide, mais ils ne bornent pas leurs ambitions aux frontières incertaines de l’Europe. Quant à ceux qui pensent à une Europe-puissance, ils se heurtent à une répugnance par rapport à la puissance en tant que telle. De répugnance, ou de distanciation, ou de désintérêt, de la part d’une immense partie des Européens. Cette idée d’Europe-puissance plaît beaucoup aux Français depuis longtemps, parce qu’ils pensent que ce serait une sorte de France en plus grand, ce qui est naïf, bien sûr. Il y aurait une sorte de revanche française. La fameuse Europe de Victor Hugo était d’ailleurs une sorte d’immense vaisseau amiral, la France, environné de quelques petits esquifs, comme la Belgique ou autres, pour lui rendre hommage. Il a fallu des événements traumatisants comme l’affaire irakienne pour se rendre compte à quel point ce projet français n’était pas automatiquement partagé par les autres.

Quelles réticences par rapport à l’idée de l’Europe-puissance? D’abord, je pense qu’il y a des réticences pacifistes, neutralistes, hédonistes ou «Suisse». J’ai la plus grande considération historique pour la façon dont les Suisses ont eux-mêmes historiquement surmonté leurs clivages religieux, culturels et linguistiques et se sont intelligemment mis à l’abri des tourmentes du reste de l’Europe. Ce n’est donc pas une option méprisable, mais ce n’est pas une option de puissance. C’est l’option d’un espace protégé, dans lequel on vit exceptionnellement bien, avec des garanties, toutes sortes de libertés, beaucoup de droits, peu de devoirs, un niveau de vie sans équivalent dans l’histoire de l’humanité; mais cela ne fait pas une puissance. Et je me demande si ce n’est pas la même chose en matière d’aventure industrielle. Beaucoup d’Européens pensent qu’ils se sont enivrés à tort de puissance pendant des siècles, jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Et ils se disent que puisque les Américains ont envie d’être les gendarmes du monde. Tant mieux, qu’ils le fassent! On est choqué quand ils le font d’une façon trop grossière, trop maladroite, parce que cela heurte nos croyances d’aujourd’hui… Mais cela ne conduit pas les Européens à vouloir faire la même chose. On ne pourra pas faire l’économie d’une discussion, voire d’une controverse politique, avec cette grande partie de l’opinion publique européenne réticente.
Je suis convaincu qu’un meilleur traité vaut mieux qu’un mauvais traité, bien sûr. Et que des mécanismes de décision plus clairs permettent d’avancer, mais cela ne suffira pas. Il faudrait que soit abordée la question politique et la question psychologique. Comprendre pourquoi il y a une résistance profonde dans la majorité des Européens à l’idée de la puissance, qui leur paraît dangereuse, coûteuse, et les inquiète, et qui pour eux n’est pas une priorité. Ils veulent préserver leur cadre démocratique national dont Jacques Delors a rappelé que c’est le seul cadre de cohésion sociale qui fonctionne pour le moment. C’est ce qu’ils veulent, et pour le reste, ils ne savent pas très bien où on les emmène.

Pour surmonter cette question, il ne suffit pas de faire des colloques distingués. Il faudra une controverse politique vaste, avec une argumentation très simple: s’il n’y a pas d’Europe-puissance, il y aura une Europe impuissante, il y aura une Europe vulnérable. Cela rejoint la question de l’absence de compétitivité et de la non-application des engagements de Lisbonne. Et dans quelques années l’Europe sera incapable de préserver ce à quoi elle tient vraiment, son mode de vie. Tous les Européens sont d’accord là-dessus. Mais ils n’ont pas encore fait le lien entre cette défense vitale et cette idée d’Europe puissance, le besoin de champions industriels ou la nécessité d’être moins ingénus sur la question des délocalisations. Cette puissance viserait à préserver ce qu’il y a de mieux dans le mode de vie européen tout en l’adaptant audacieusement. C’est la combinaison à trouver.

Je souhaiterais qu’il y ait des dirigeants politiques assez audacieux pour aller au-delà de la tuyauterie, des mécanismes et des traités, et engager une controverse créatrice. L’opinion européenne se forgerait sans doute à travers cette dispute. À condition qu’elle soit sincère et qu’elle dure un certain temps, à un moment donné, politiquement, on pourrait en retirer les bénéfices. Si on ne fait pas cet exercice de vérité, je crains qu’un traité meilleur qu’un autre ne suffise pas, que le gouffre des 57 % d’abstention ne s’accroisse, et que la fuite en avant des élites intégrationnistes ne finisse par ressembler au dessin animé où le personnage court au-delà de la falaise, dans le vide. C’est un risque que nous courons tous.

L’Europe-puissance, cela serait aussi une clarification par rapport aux Nations unies, par rapport aux conditions du recours à la force dans la vie internationale, par rapport au respect de la diversité, par rapport à la question des autres pôles dans le monde. Il y a une définition à trouver pout les relations de l’éventuelle Europe-puissance avec les États-Unis, et elle ne peut être ni la soumission, ni la guérilla, mais forcément un partenariat. Cela supposera un jour un véritable compromis politique entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Les entreprises européennes dans la compétition mondiale

Hubert Vedrine

Les entreprises européennes dans la compétition mondiale

Je voudrais insister sur le fossé qui est en train de se creuser entre l’Europe des entreprises et l’Europe politique, et plus encore entre les élites et la grande opinion. En rappelant néanmoins que cette Europe s’est faite démocratiquement. L’Europe actuelle résulte de négociations démocratiques entre des gouvernements démocratiques, parfaitement élus, qui négocient ensemble depuis des dizaines d’années. Dans la période récente, on a négocié de façon presque ininterrompue: Maastricht, avec de grands résultats; Amsterdam avec très peu de résultats; Nice avec des résultats réels mais contestés; ce que l’on appelle improprement la «constitution» qui est un traité et sera peut-être ratifié. Il y a des différences d’un traité à l’autre, des perfectionnements d’un traité à l’autre, des modifications, mais il n’y a pas de bouleversement complet. Je ne pense pas qu’il faille sous-estimer ce qui a été construit jusqu’ici, même si c’est encore insuffisant.

Quant à l’erreur historique selon certains, de la préférence donnée à l’élargissement sur l’approfondissement, n’oublions pas que cela a été la réponse systématiquement donnée par l’ensemble des Européens depuis que la question est posée depuis quinze ans. La première fois qu’elle a été posée, c’était en 1992, dans un conseil européen à Lisbonne, quand Jacques Delors, très soutenu par François Mitterrand, avait dit qu’on ne pouvait pas élargir à 16 (parce qu’à l’époque il y avait la Norvège) sans mieux préparer au préalable nos institutions et le chancelier Kohl s’était mis en colère. Cela a donné lieu à un désaccord Kohl/Mitterrand bien réel contrairement à beaucoup d’autres désaccords fictifs sur lesquels on a brodé. Kohl avait mis en cause l’égoïsme français, l’attachement de la France à ses privilèges, à la PAC, à ses habitudes, etc. Et la France avait été tout à fait isolée dans ce conseil, comme dans tous les autres conseils où il a été question de l’élargissement. Systématiquement. Mais c’est un isolement démocratique, si je puis dire.

L’Europe que nous avons sous les yeux, peut être frustrante, est le résultat de la négociation démocratique. Le paradoxe actuel, c’est que cette Europe qui frustre les grands acteurs de l’économie, de la finance, de l’industrie, etc. qui voudrait plus encore d’intégration et moins encore d’Etats nations. Le chiffre sur lequel on doit réfléchir politiquement, ce sont les 57 % d’abstention en moyenne dans l’Union européenne à 25 lors des dernières élections européennes. Seuls les pro-européens très convaincus et les anti-européens militants ont voté et ils sont peu nombreux au total. Ceux qui n’ont pas voté sont, en quelque sorte, l’ensemble des eurosceptiques. Mais on mélange abusivement dans ce terme les vrais hostiles, qui sont marginaux, et les sceptiques, beaucoup plus nombreux, qui sont plutôt des gens découragés, désabusés, qui ne s’y retrouvent plus et baissent les bras parce qu’ils ne voient plus comment ils pourraient influencer cette fuite en avant.

Mon analyse, est que l’Europe est devenue anxiogène pour les populations, parce que c’est un objet non identifiable et insaisissable, dont les limites sont fluctuantes. La proposition de Laurent Fabius sur les trois cercles aurait le mérite de remettre les choses en ordre, mais elle est loin d’être acquise à ce stade. L’Europe telle qu’elle se fait devient un ensemble vague, qui se dilate. Il y a incertitude sur les limites, donc sur l’identité. Les mois récents ont montré que les élites européennes elles-mêmes sont incapables de se mettre d’accord sur ce qu’est l’identité européenne aujourd’hui, comme l’a montré cette ridicule manifestation de révisionnisme historique qui conduit au retrait de la citation de Thucydide.

Instabilité aussi sur les pouvoirs et les institutions qui sont en changement permanent. Il est donc difficile de demander aux européens, des citoyens de tel ou tel pays, de s’approprier en plus une Europe en formation perpétuelle dont ils ne savent pas comment elle fonctionne, une sorte de chantier permanent. Et il y a enfin un élément d’incertitude en ce qui concerne la question de la puissance. Il me semble qu’il y a un abîme, maintenant, entre les élites intégrationnistes, les politiques en tout cas les français, qui cherchent l’Europe-puissance, les économiques qui trouvent commodes la plus grande intégration possible et une grande partie des gens normaux pour qui, aller plus loin dans l’intégration européenne, c’est aller plus loin dans la désintégration des Etats nations. La désintégration de l’espace national, qui reste pour beaucoup de gens, à tort ou à raison, le seul espace démocratique, le seul espace républicain, en tout cas le seul espace civique compréhensible, ne serait-ce que pour des raisons de langue et de mentalités.

Pour pouvoir aller plus loin, à la fois dans le sens de grands projets économiques et industriels, que sur la question de l’Europe politique et de l’Europe-puissance, il faudrait analyser de plus près cette résistance des opinions. Et comprendre pourquoi les grands dirigeants économiques de tel ou tel pays d’Europe ont à cœur de bâtir de grandes entreprises mondiales, car ceux qui ont cette volonté, cet élan, cette vitalité, ne s’en tiennent pas au cadre européen. Ils sont heureux que l’Europe les aide, mais ils ne bornent pas leurs ambitions aux frontières incertaines de l’Europe. Quant à ceux qui pensent à une Europe-puissance, ils se heurtent à une répugnance par rapport à la puissance en tant que telle. De répugnance, ou de distanciation, ou de désintérêt, de la part d’une immense partie des Européens. Cette idée d’Europe-puissance plaît beaucoup aux Français depuis longtemps, parce qu’ils pensent que ce serait une sorte de France en plus grand, ce qui est naïf, bien sûr. Il y aurait une sorte de revanche française. La fameuse Europe de Victor Hugo était d’ailleurs une sorte d’immense vaisseau amiral, la France, environné de quelques petits esquifs, comme la Belgique ou autres, pour lui rendre hommage. Il a fallu des événements traumatisants comme l’affaire irakienne pour se rendre compte à quel point ce projet français n’était pas automatiquement partagé par les autres.

Quelles réticences par rapport à l’idée de l’Europe-puissance? D’abord, je pense qu’il y a des réticences pacifistes, neutralistes, hédonistes ou «Suisse». J’ai la plus grande considération historique pour la façon dont les Suisses ont eux-mêmes historiquement surmonté leurs clivages religieux, culturels et linguistiques et se sont intelligemment mis à l’abri des tourmentes du reste de l’Europe. Ce n’est donc pas une option méprisable, mais ce n’est pas une option de puissance. C’est l’option d’un espace protégé, dans lequel on vit exceptionnellement bien, avec des garanties, toutes sortes de libertés, beaucoup de droits, peu de devoirs, un niveau de vie sans équivalent dans l’histoire de l’humanité; mais cela ne fait pas une puissance. Et je me demande si ce n’est pas la même chose en matière d’aventure industrielle. Beaucoup d’Européens pensent qu’ils se sont enivrés à tort de puissance pendant des siècles, jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Et ils se disent que puisque les Américains ont envie d’être les gendarmes du monde. Tant mieux, qu’ils le fassent! On est choqué quand ils le font d’une façon trop grossière, trop maladroite, parce que cela heurte nos croyances d’aujourd’hui… Mais cela ne conduit pas les Européens à vouloir faire la même chose. On ne pourra pas faire l’économie d’une discussion, voire d’une controverse politique, avec cette grande partie de l’opinion publique européenne réticente.
Je suis convaincu qu’un meilleur traité vaut mieux qu’un mauvais traité, bien sûr. Et que des mécanismes de décision plus clairs permettent d’avancer, mais cela ne suffira pas. Il faudrait que soit abordée la question politique et la question psychologique. Comprendre pourquoi il y a une résistance profonde dans la majorité des Européens à l’idée de la puissance, qui leur paraît dangereuse, coûteuse, et les inquiète, et qui pour eux n’est pas une priorité. Ils veulent préserver leur cadre démocratique national dont Jacques Delors a rappelé que c’est le seul cadre de cohésion sociale qui fonctionne pour le moment. C’est ce qu’ils veulent, et pour le reste, ils ne savent pas très bien où on les emmène.

Pour surmonter cette question, il ne suffit pas de faire des colloques distingués. Il faudra une controverse politique vaste, avec une argumentation très simple: s’il n’y a pas d’Europe-puissance, il y aura une Europe impuissante, il y aura une Europe vulnérable. Cela rejoint la question de l’absence de compétitivité et de la non-application des engagements de Lisbonne. Et dans quelques années l’Europe sera incapable de préserver ce à quoi elle tient vraiment, son mode de vie. Tous les Européens sont d’accord là-dessus. Mais ils n’ont pas encore fait le lien entre cette défense vitale et cette idée d’Europe puissance, le besoin de champions industriels ou la nécessité d’être moins ingénus sur la question des délocalisations. Cette puissance viserait à préserver ce qu’il y a de mieux dans le mode de vie européen tout en l’adaptant audacieusement. C’est la combinaison à trouver.

Je souhaiterais qu’il y ait des dirigeants politiques assez audacieux pour aller au-delà de la tuyauterie, des mécanismes et des traités, et engager une controverse créatrice. L’opinion européenne se forgerait sans doute à travers cette dispute. À condition qu’elle soit sincère et qu’elle dure un certain temps, à un moment donné, politiquement, on pourrait en retirer les bénéfices. Si on ne fait pas cet exercice de vérité, je crains qu’un traité meilleur qu’un autre ne suffise pas, que le gouffre des 57 % d’abstention ne s’accroisse, et que la fuite en avant des élites intégrationnistes ne finisse par ressembler au dessin animé où le personnage court au-delà de la falaise, dans le vide. C’est un risque que nous courons tous.

L’Europe-puissance, cela serait aussi une clarification par rapport aux Nations unies, par rapport aux conditions du recours à la force dans la vie internationale, par rapport au respect de la diversité, par rapport à la question des autres pôles dans le monde. Il y a une définition à trouver pout les relations de l’éventuelle Europe-puissance avec les États-Unis, et elle ne peut être ni la soumission, ni la guérilla, mais forcément un partenariat. Cela supposera un jour un véritable compromis politique entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

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01/07/2004