Le terrorisme ne peut pas gagner contre les démocraties

Tout d’abord, comme tout le monde, je n’y ai pas cru. Puis, j’ai rejoint mon bureau. Alors, j’ai pensé aux amis que j’avais à New-York. Je les ai appelés. Et je me suis demandé d’où cela pouvait venir. Très vite, bien sûr, j’ai pensé que l’une des pistes principales était celle du terrorisme islamiste. En effet, il y avait eu des signes annonciateurs, des précédents, sans doute moins spectaculaires.

Dix ans sont passés. La réponse de l’Occident a-t-elle été à la hauteur de l’événement?
Oui, au début. Avec la contre-attaque en Afghanistan, qui a été soutenue par le monde entier.
Mais, après, non! La guerre en Irak était hors-sujet. Et puis, vouloir un Afghanistan moderne était un objectif hors de portée. Proclamer que la guerre contre le terrorisme était l’enjeu n°1 constituait une erreur. Pourquoi donner aux terroristes un tel succès de propagande? Il fallait au contraire être discret. Et implacable. Considérer toute la politique mondiale à travers ce prisme était une vision simpliste. En outre, il aurait fallu imposer la création d’un Etat palestinien. Cela n’aurait pas tout réglé, mais on ne peut rien régler sans cela.

La France a refusé d’aller en Irak. Auriez-vous pu prononcer le même discours que celui de Dominique de Villepin devant les Nations-Unies?
Oui, sans doute. Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont eu une position juste, et ceux qui leur en ont voulu, aux États-Unis et – pire encore – en France, ont eu scandaleusement tort. Mais ç’aurait été encore mieux de convaincre George W. Bush de ne pas se fourvoyer dans cette guerre injustifiée… et de ne pas avoir à prononcer ce – beau – discours qui, en définitive, n’a rien empêché. Peut-être était-ce impossible?….

Avec la disparition de Ben Laden, le terrorisme a-t-il perdu la guerre?
C’est une victoire claire et nette de l’Amérique et une victoire personnelle d’Obama qui s’est montré courageux en prenant un vrai risque. Cela dit, ce n’était pas une « guerre «, et il peut toujours y avoir des résurgences du terrorisme. De toute façon, je pense que le terrorisme ne peut pas gagner contre des démocraties.

En 2001, l’Amérique était la première puissance mondiale. En 2011, elle paie ses efforts de guerre, elle connaît une dette considérable et semble douter d’elle-même. L’Amérique ne sort-elle pas épuisée, sinon affaiblie, de cette décennie?
La « guerre contre le terrorisme «, version simpliste de George W. Bush a occulté le fait majeur de la décennie : nous vivons la fin du monopole séculaire de la puissance occidentale et la montée des pays émergents. Quelle peut-être la stratégie pour l’Occident, et d’abord pour les États-Unis, afin de garder son leadership qui est d’ailleurs tout relatif. C’est un vrai sujet de réflexion pour nous.

Comment être attentif aux colères qui montent dans les peuples les plus misérables, souvent sensibles aux discours les plus extrémistes?
Il n’y a pas de lien direct entre misère et terrorisme. La vraie question c’est l’humiliation des peuples. Par exemple, il faudrait une paix juste et viable au Proche-Orient, et ça passe, selon moi, par un autre gouvernement en Israël. Il faudrait en outre des gouvernements arabes modernes, capables de répondre enfin aux aspirations de leurs populations. Et puis, aussi, des penseurs musulmans capables de moderniser l’islam. De toute façon, plutôt que de mener une « guerre « susceptible d’être gagnée ou perdue, nous devons maintenir une vigilance anti-terroriste aussi longtemps que ce sera nécessaire.

Le terrorisme ne peut pas gagner contre les démocraties

Hubert Vedrine

Le terrorisme ne peut pas gagner contre les démocraties

Tout d’abord, comme tout le monde, je n’y ai pas cru. Puis, j’ai rejoint mon bureau. Alors, j’ai pensé aux amis que j’avais à New-York. Je les ai appelés. Et je me suis demandé d’où cela pouvait venir. Très vite, bien sûr, j’ai pensé que l’une des pistes principales était celle du terrorisme islamiste. En effet, il y avait eu des signes annonciateurs, des précédents, sans doute moins spectaculaires.

Dix ans sont passés. La réponse de l’Occident a-t-elle été à la hauteur de l’événement?
Oui, au début. Avec la contre-attaque en Afghanistan, qui a été soutenue par le monde entier.
Mais, après, non! La guerre en Irak était hors-sujet. Et puis, vouloir un Afghanistan moderne était un objectif hors de portée. Proclamer que la guerre contre le terrorisme était l’enjeu n°1 constituait une erreur. Pourquoi donner aux terroristes un tel succès de propagande? Il fallait au contraire être discret. Et implacable. Considérer toute la politique mondiale à travers ce prisme était une vision simpliste. En outre, il aurait fallu imposer la création d’un Etat palestinien. Cela n’aurait pas tout réglé, mais on ne peut rien régler sans cela.

La France a refusé d’aller en Irak. Auriez-vous pu prononcer le même discours que celui de Dominique de Villepin devant les Nations-Unies?
Oui, sans doute. Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont eu une position juste, et ceux qui leur en ont voulu, aux États-Unis et – pire encore – en France, ont eu scandaleusement tort. Mais ç’aurait été encore mieux de convaincre George W. Bush de ne pas se fourvoyer dans cette guerre injustifiée… et de ne pas avoir à prononcer ce – beau – discours qui, en définitive, n’a rien empêché. Peut-être était-ce impossible?….

Avec la disparition de Ben Laden, le terrorisme a-t-il perdu la guerre?
C’est une victoire claire et nette de l’Amérique et une victoire personnelle d’Obama qui s’est montré courageux en prenant un vrai risque. Cela dit, ce n’était pas une « guerre «, et il peut toujours y avoir des résurgences du terrorisme. De toute façon, je pense que le terrorisme ne peut pas gagner contre des démocraties.

En 2001, l’Amérique était la première puissance mondiale. En 2011, elle paie ses efforts de guerre, elle connaît une dette considérable et semble douter d’elle-même. L’Amérique ne sort-elle pas épuisée, sinon affaiblie, de cette décennie?
La « guerre contre le terrorisme «, version simpliste de George W. Bush a occulté le fait majeur de la décennie : nous vivons la fin du monopole séculaire de la puissance occidentale et la montée des pays émergents. Quelle peut-être la stratégie pour l’Occident, et d’abord pour les États-Unis, afin de garder son leadership qui est d’ailleurs tout relatif. C’est un vrai sujet de réflexion pour nous.

Comment être attentif aux colères qui montent dans les peuples les plus misérables, souvent sensibles aux discours les plus extrémistes?
Il n’y a pas de lien direct entre misère et terrorisme. La vraie question c’est l’humiliation des peuples. Par exemple, il faudrait une paix juste et viable au Proche-Orient, et ça passe, selon moi, par un autre gouvernement en Israël. Il faudrait en outre des gouvernements arabes modernes, capables de répondre enfin aux aspirations de leurs populations. Et puis, aussi, des penseurs musulmans capables de moderniser l’islam. De toute façon, plutôt que de mener une « guerre « susceptible d’être gagnée ou perdue, nous devons maintenir une vigilance anti-terroriste aussi longtemps que ce sera nécessaire.

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10/09/2011