Israéliens, Palestiniens, il faut bouger!

Le conflit israélo-palestinien, et donc israélo-arabe, demeure irrésolu depuis des décennies. Certes, depuis 1993 et les accords d’Oslo, une Autorité palestinienne a pu s’installer à Gaza et à Ramallah. Mais le problème d’organisation de la coexistence en paix des deux peuples reste entier; même, depuis un an et, plus encore, depuis la disparition traumatisante des espérances de Camp David-Taba, il s’aggrave.

Déjà 669 morts palestiniens, 178 morts israéliens, des milliers de blessés. C’est peu dire que les deux camps ne sont font plus confiance. Il s’est creusé entre eux, même entre les plus courageux partisans de la paix, un fossé de défiance apparemment infranchissable que les drames récents approfondissent encore. Les Israéliens semblent ne plus croire qu’à la répression et à la force militaire pour les délivrer du cauchemar des attentas terroristes et de l’angoisse de l’encerclement. Les Palestiniens sont désespérés et poussés à bout par l’asphyxie économique, les humiliations permanentes, les provocations des colons ou de l’armée. Leur amertume finit par se retourner contre leurs propres dirigeants.

Et pourtant, il y aura toujours côte à côte, au Proche-Orient, des Israéliens et des Palestiniens qui n’auront d’autre choix que de cœxister. Les Israéliens ne pourront pas chasser les Palestiniens, ni l’inverse! Ils le savent tous, mais n’arrivent pas à en tirer les conséquences. Il n’y a toujours pas accord entre eux pour arrêter l’engrenage et recommencer à chercher une vraie solution.

Laquelle? Seule, comme la France le préconise depuis 1982, l’Union européenne depuis 1999 et les Etats-Unis dorénavant, une solution claire et franche, la création d’un Etat palestinien viable, permettra de sortir de ce drame et de commencer à bâtir un nouveau Proche-Orient.

Cela supposera, de la part des Israéliens, de se résoudre à l’évacuation de l’essentiel des territoires occupés et donc des colonies, et à la reconnaissance d’une capitale palestinienne à Jérusalem Est – c’est-à-dire, en gros, ce qui se dessinait, il y a un an, entre Camp David et Taba.

Et cela supposera de la part des Palestiniens de prendre des engagements contraignants garantissant aux Israéliens que l’accord leur apportera la sécurité et que ni les mécanismes de retour de réfugiés – plusieurs solutions existent – ni les capacités militaires du futur Etat palestinien ne représenteront pour eux une menace.

On objectera qu’Israël ne veut toujours pas de cette solution et que les esprits sont, de part et d’autre, plus éloignés que jamais de tout dialogue; que des forces visibles ou cachées s’emploient à étouffer dans l’œuf toute reprise d’un processus de paix et même à faire prévaloir le pire, comme on l’a vu depuis la rencontre Pérès – Arafat malgré leurs efforts; ou à exiger délibérément des préalables irréalisables.

Sans doute. Mais peut-on se résigner à ce que les Palestiniens s’enfoncent, pour notre honte, dans des conditions de vie abjectes avec pour seul horizon un haine sans nom? Et que, pour notre désespoir, et le leur, les Israéliens n’aient plus jamais d’autre perspective que l’angoisse et une répression de plus en plus militarisée, là où l’exemplarité démocratique de ce pays devrait au contraire entraîner le Proche-Orient tout entier?

Ce serait intolérable pour eux, et pour nous. Il y va aussi de la paix et de la sécurité internationale? Il faut régler ce problème qui n’a que trop duré.

Cela a toujours été difficile d’agir de l’extérieur su le conflit du Proche-Orient, chaque camp ayant tendance à récuser l’intervention de tout pays, ou organisation, qui ne s’aligne pas par avance sus ses positions. Pourtant, malgré ces préventions, le dialogue s’intensifie. Tous les protagonistes, y compris. Ariel Sharon, reconnaissent aujourd’hui la France et l’Europe comme des interlocuteurs légitimes et acceptent de parler franchement ave eux. D’autre part, les positions des Européens sont aujourd’hui très homogènes. La coordination est bonne entre nos initiatives et la démarche, de plus en plus affirmé, du président Bush et de Colin Powell.

Ce qui est maintenant urgent, c’est d’enclencher le processus, en débloquant les verrous qui les paralysent. J’ai dit à Ariel Sharon: »Vous avez raison de chercher avant tout, comme tout votre gouvernement la sécurité pour les Israéliens, c’est votre mandat et votre responsabilité, nous respectons votre engagement sue ce point. Mais vous n’obtiendront pas la sécurité ainsi, de façon purement militaire. Cessez de conditionner la recherche d’une solution politique à l’impossible obtention préalable d’un arrêt complet des violences. Rouvrez les discussions sur une solution politique, votre coalition dût-elle protester. Personne ne vous contestera le droit de continuer à combattre le terrorisme avec une détermination inchangée, même après que les négociations auront repris. Personne n’incarne autant que vous l’exigence de sécurité pour Israël. Faites-en un levier pour la paix.»

Et je dis qu président de l’Autorité palestinienne, et à tous les dirigeants palestiniens: »Vous allez devoir décider de coexister vraiment avec l’Etat d’Israël, en éliminant du discours et du projet palestiniens toujours ambiguïté sur les frontières, la sécurité, l’identité future. Préparez-vous. Le monde entier va bientôt vous demander des garanties et des engagement précis.»

Qu’est-ce que le monde attend maintenant, de façon pressante, des deux parties?

– Des Israéliens, l’arrêt total des opérations militaires anti-palestiniennes; le gel véritable des colonies, y compris de leur pseudo-croissance naturelle; la levée des mesures d’asphyxie financière des territoires; l’acceptation de l’ouverture des négociations politiques.

– Des Palestiniens, un engagement total de la police palestinienne contre les organisations et réseaux terroristes; la mobilisation de toutes les autorités palestiniennes pour combattre réellement les incitations à la haine anti-israélienne dans les livres, les médias, les discours.

– Des deux, un accord pour des négociations politiques, sans préalable, l’acceptation d’un mécanisme international impartial d’observation. Cela permettrait de mettre en œuvre les conclusions de la Commission Mitchell et, plus encore, d’aller au-delà, c’est-à-dire à des négociations politiques.

Les obstacles à ces avancées décisives sont bien connus, ils se situent à l’intérieur des systèmes israélien ou palestinien de décision, et souvent dans la psychologie de leurs dirigeants.

En général, les Israéliens refusent une présence internationale par principe et pour la raison suffisante que les Palestiniens l’exigent; ils acceptent encore moins une médiation internationale, qu’ils récusent par avance comme partiale, sauf celle des Etats-Unis, et encore. Les Israéliens refusent toute pression, même amicale. Et le système politique israélien ne facilite pas le chois courageux. Pourtant, cette action internationale pourrait être précieuse pour les Israéliens, depuis une meilleure surveillance du terrain, tuile contre le terrorisme, jusqu’à la présence active dans les négociations, pour obtenir et solenniser les engagements pris pour le respect futur de la sécurité et de l’identité d’Israël.

Quant au mode de fonctionnement de l’Autorité palestinienne, outre qu’il frustre les Palestiniens avides de modernité et de démocratie, il favorise le report à toujours plus tard des engagements qu’il faudra pourtant prendre à l’égard des Israéliens. Aux dirigeants de futur Etat palestinien de se montrer hommes d’Etat.

Aujourd’hui, il s’agit pour les Israéliens et les Palestiniens de sortir ensemble de l’impasse. Ils doivent accepter que les Américains, de plus en plus déterminés à ne plus laisser les choses en l’état, la France, engagée pour la paix au Proche-Orient depuis si longtemps, les autres Européens, la Russie, les pays arabes, notamment l’Egypte, la Jordanie, le secrétaire général des Nations unis, d’autres encore, les aident à surmonter dans chaque camp des obstacles ou des oppositions internes devenus insupportables, mais sans doute impossibles à franchir sans une aide extérieure.

Si je ne propose pas, à ce stade, de nouvelle initiative diplomatique, c’est parce que plusieurs formules de relance des négociations sont déjà sur la table, et disponibles. C’est aussi parce que, sans une volonté authentique d’aboutir, aucune ne donnera de résultat.

Je m’adresse aux Israéliens et aux Palestiniens, aux hommes d’Etat israéliens et palestiniens: il faut bouger! Faisons-le tous ensemble. Hors de cela, il n’y a que le malheur comme perspective.

Israéliens, Palestiniens, il faut bouger!

Hubert Vedrine

Israéliens, Palestiniens, il faut bouger!

Le conflit israélo-palestinien, et donc israélo-arabe, demeure irrésolu depuis des décennies. Certes, depuis 1993 et les accords d’Oslo, une Autorité palestinienne a pu s’installer à Gaza et à Ramallah. Mais le problème d’organisation de la coexistence en paix des deux peuples reste entier; même, depuis un an et, plus encore, depuis la disparition traumatisante des espérances de Camp David-Taba, il s’aggrave.

Déjà 669 morts palestiniens, 178 morts israéliens, des milliers de blessés. C’est peu dire que les deux camps ne sont font plus confiance. Il s’est creusé entre eux, même entre les plus courageux partisans de la paix, un fossé de défiance apparemment infranchissable que les drames récents approfondissent encore. Les Israéliens semblent ne plus croire qu’à la répression et à la force militaire pour les délivrer du cauchemar des attentas terroristes et de l’angoisse de l’encerclement. Les Palestiniens sont désespérés et poussés à bout par l’asphyxie économique, les humiliations permanentes, les provocations des colons ou de l’armée. Leur amertume finit par se retourner contre leurs propres dirigeants.

Et pourtant, il y aura toujours côte à côte, au Proche-Orient, des Israéliens et des Palestiniens qui n’auront d’autre choix que de cœxister. Les Israéliens ne pourront pas chasser les Palestiniens, ni l’inverse! Ils le savent tous, mais n’arrivent pas à en tirer les conséquences. Il n’y a toujours pas accord entre eux pour arrêter l’engrenage et recommencer à chercher une vraie solution.

Laquelle? Seule, comme la France le préconise depuis 1982, l’Union européenne depuis 1999 et les Etats-Unis dorénavant, une solution claire et franche, la création d’un Etat palestinien viable, permettra de sortir de ce drame et de commencer à bâtir un nouveau Proche-Orient.

Cela supposera, de la part des Israéliens, de se résoudre à l’évacuation de l’essentiel des territoires occupés et donc des colonies, et à la reconnaissance d’une capitale palestinienne à Jérusalem Est – c’est-à-dire, en gros, ce qui se dessinait, il y a un an, entre Camp David et Taba.

Et cela supposera de la part des Palestiniens de prendre des engagements contraignants garantissant aux Israéliens que l’accord leur apportera la sécurité et que ni les mécanismes de retour de réfugiés – plusieurs solutions existent – ni les capacités militaires du futur Etat palestinien ne représenteront pour eux une menace.

On objectera qu’Israël ne veut toujours pas de cette solution et que les esprits sont, de part et d’autre, plus éloignés que jamais de tout dialogue; que des forces visibles ou cachées s’emploient à étouffer dans l’œuf toute reprise d’un processus de paix et même à faire prévaloir le pire, comme on l’a vu depuis la rencontre Pérès – Arafat malgré leurs efforts; ou à exiger délibérément des préalables irréalisables.

Sans doute. Mais peut-on se résigner à ce que les Palestiniens s’enfoncent, pour notre honte, dans des conditions de vie abjectes avec pour seul horizon un haine sans nom? Et que, pour notre désespoir, et le leur, les Israéliens n’aient plus jamais d’autre perspective que l’angoisse et une répression de plus en plus militarisée, là où l’exemplarité démocratique de ce pays devrait au contraire entraîner le Proche-Orient tout entier?

Ce serait intolérable pour eux, et pour nous. Il y va aussi de la paix et de la sécurité internationale? Il faut régler ce problème qui n’a que trop duré.

Cela a toujours été difficile d’agir de l’extérieur su le conflit du Proche-Orient, chaque camp ayant tendance à récuser l’intervention de tout pays, ou organisation, qui ne s’aligne pas par avance sus ses positions. Pourtant, malgré ces préventions, le dialogue s’intensifie. Tous les protagonistes, y compris. Ariel Sharon, reconnaissent aujourd’hui la France et l’Europe comme des interlocuteurs légitimes et acceptent de parler franchement ave eux. D’autre part, les positions des Européens sont aujourd’hui très homogènes. La coordination est bonne entre nos initiatives et la démarche, de plus en plus affirmé, du président Bush et de Colin Powell.

Ce qui est maintenant urgent, c’est d’enclencher le processus, en débloquant les verrous qui les paralysent. J’ai dit à Ariel Sharon: »Vous avez raison de chercher avant tout, comme tout votre gouvernement la sécurité pour les Israéliens, c’est votre mandat et votre responsabilité, nous respectons votre engagement sue ce point. Mais vous n’obtiendront pas la sécurité ainsi, de façon purement militaire. Cessez de conditionner la recherche d’une solution politique à l’impossible obtention préalable d’un arrêt complet des violences. Rouvrez les discussions sur une solution politique, votre coalition dût-elle protester. Personne ne vous contestera le droit de continuer à combattre le terrorisme avec une détermination inchangée, même après que les négociations auront repris. Personne n’incarne autant que vous l’exigence de sécurité pour Israël. Faites-en un levier pour la paix.»

Et je dis qu président de l’Autorité palestinienne, et à tous les dirigeants palestiniens: »Vous allez devoir décider de coexister vraiment avec l’Etat d’Israël, en éliminant du discours et du projet palestiniens toujours ambiguïté sur les frontières, la sécurité, l’identité future. Préparez-vous. Le monde entier va bientôt vous demander des garanties et des engagement précis.»

Qu’est-ce que le monde attend maintenant, de façon pressante, des deux parties?

– Des Israéliens, l’arrêt total des opérations militaires anti-palestiniennes; le gel véritable des colonies, y compris de leur pseudo-croissance naturelle; la levée des mesures d’asphyxie financière des territoires; l’acceptation de l’ouverture des négociations politiques.

– Des Palestiniens, un engagement total de la police palestinienne contre les organisations et réseaux terroristes; la mobilisation de toutes les autorités palestiniennes pour combattre réellement les incitations à la haine anti-israélienne dans les livres, les médias, les discours.

– Des deux, un accord pour des négociations politiques, sans préalable, l’acceptation d’un mécanisme international impartial d’observation. Cela permettrait de mettre en œuvre les conclusions de la Commission Mitchell et, plus encore, d’aller au-delà, c’est-à-dire à des négociations politiques.

Les obstacles à ces avancées décisives sont bien connus, ils se situent à l’intérieur des systèmes israélien ou palestinien de décision, et souvent dans la psychologie de leurs dirigeants.

En général, les Israéliens refusent une présence internationale par principe et pour la raison suffisante que les Palestiniens l’exigent; ils acceptent encore moins une médiation internationale, qu’ils récusent par avance comme partiale, sauf celle des Etats-Unis, et encore. Les Israéliens refusent toute pression, même amicale. Et le système politique israélien ne facilite pas le chois courageux. Pourtant, cette action internationale pourrait être précieuse pour les Israéliens, depuis une meilleure surveillance du terrain, tuile contre le terrorisme, jusqu’à la présence active dans les négociations, pour obtenir et solenniser les engagements pris pour le respect futur de la sécurité et de l’identité d’Israël.

Quant au mode de fonctionnement de l’Autorité palestinienne, outre qu’il frustre les Palestiniens avides de modernité et de démocratie, il favorise le report à toujours plus tard des engagements qu’il faudra pourtant prendre à l’égard des Israéliens. Aux dirigeants de futur Etat palestinien de se montrer hommes d’Etat.

Aujourd’hui, il s’agit pour les Israéliens et les Palestiniens de sortir ensemble de l’impasse. Ils doivent accepter que les Américains, de plus en plus déterminés à ne plus laisser les choses en l’état, la France, engagée pour la paix au Proche-Orient depuis si longtemps, les autres Européens, la Russie, les pays arabes, notamment l’Egypte, la Jordanie, le secrétaire général des Nations unis, d’autres encore, les aident à surmonter dans chaque camp des obstacles ou des oppositions internes devenus insupportables, mais sans doute impossibles à franchir sans une aide extérieure.

Si je ne propose pas, à ce stade, de nouvelle initiative diplomatique, c’est parce que plusieurs formules de relance des négociations sont déjà sur la table, et disponibles. C’est aussi parce que, sans une volonté authentique d’aboutir, aucune ne donnera de résultat.

Je m’adresse aux Israéliens et aux Palestiniens, aux hommes d’Etat israéliens et palestiniens: il faut bouger! Faisons-le tous ensemble. Hors de cela, il n’y a que le malheur comme perspective.

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23/10/2001