Interview pour l’Opinion du 29 décembre 2017

Le macronisme est-il un européisme ?

 


 

Le macronisme est-il un européisme ?

Pas seulement. Aux convictions personnelles d’Emmanuel Macron, exprimées dans différents textes ou discours, avant ou après son élection, s’ajoute maintenant son action en tant que président. Son inspiration est « européiste », assez proche, sur certains points, de la pensée du philosophe allemand Jürgen Habermas. Par exemple, il ne parle pas des états nations. Mais le macronisme présidentiel est plus vaste que cela, synthèse prometteuse entre une affirmation « européiste » de principe, enrichie d’un thème d’une autre nature, l' »Europe qui protège », et de la relance, à la fois pragmatique et ambitieuse, de dizaines d’idées, de projets, de propositions : il me semble que le macronisme présidentiel en action ambitionne de combiner tout cela.

L’Europe qui protège, n’est-ce pas un thème assez «védrinien»?

Certes mais avant moi, « l’Europe qui protège » est surtout la formule à laquelle François Mitterrand avait eu recours face à Philippe Séguin lors du débat sur le traité de Maastricht en 1992, après avoir constaté que les slogans classiques et un peu angéliques («L’Europe, c’est la paix, l’avenir, la jeunesse, etc…») ne portaient plus et même énervaient : « Une Europe forte nous protégera mieux ». Et pourtant l’intégration européenne et la mondialisation perturbatrice étaient moins avancées! En affichant cet objectif, je ne pense pas qu’Emmanuel Macron espère convaincre les vrais anti-européens, qui ne changeront pas, mais plutôt parler à tous les autres : les simples sceptiques, les déçus, les blasés, les allergiques à la « réglementation à outrance », très nombreux, et qui eux peuvent bouger à condition que l’on tienne un peu mieux compte de leur disponibilité à ce que l’Europe progresse si elle ne menace pas leurs identités, ne confisque pas la souveraineté restante et assure plus de sécurité. Concernant les projets, certains seront le fait des 27, d’autres de l’espace Schengen – ou de la zone euro. Sur le renforcement de cette dernière, le nécessaire débat relancé par les propositions du Président sera tout sauf simple, et pas uniquement du fait de l’Allemagne. Quant à la coopération militaire intensifiée (évitons de parler trop vite « d’Europe de la défense » pour ne pas faire renaître d’illusions, suivies d’inévitables désillusions), s’inscrira dans une « coopération structurée permanente », prévue par les traités. C’est positif, mais on ne pourra pas faire avancer d’un même pas tous les Etats membres qui y ont souscrit. Voilà comment je résumerais l’ambition politique et l’orientation de ce qui démarre sous nos yeux : un mélange d’européisme, d’ambition et de tactique réaliste.

La suite dépendra de beaucoup de choses, et notamment du prochain gouvernement allemand, mais pas uniquement. Emmanuel Macron a plus d’une carte dans son jeu, entre autres le levier des élections européennes de 2019. Et il ne va pas relâcher la pression.

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Interview pour l’Opinion du 29 décembre 2017

Hubert Vedrine

Le macronisme est-il un européisme ?

 


 

Le macronisme est-il un européisme ?

Pas seulement. Aux convictions personnelles d’Emmanuel Macron, exprimées dans différents textes ou discours, avant ou après son élection, s’ajoute maintenant son action en tant que président. Son inspiration est « européiste », assez proche, sur certains points, de la pensée du philosophe allemand Jürgen Habermas. Par exemple, il ne parle pas des états nations. Mais le macronisme présidentiel est plus vaste que cela, synthèse prometteuse entre une affirmation « européiste » de principe, enrichie d’un thème d’une autre nature, l' »Europe qui protège », et de la relance, à la fois pragmatique et ambitieuse, de dizaines d’idées, de projets, de propositions : il me semble que le macronisme présidentiel en action ambitionne de combiner tout cela.

L’Europe qui protège, n’est-ce pas un thème assez «védrinien»?

Certes mais avant moi, « l’Europe qui protège » est surtout la formule à laquelle François Mitterrand avait eu recours face à Philippe Séguin lors du débat sur le traité de Maastricht en 1992, après avoir constaté que les slogans classiques et un peu angéliques («L’Europe, c’est la paix, l’avenir, la jeunesse, etc…») ne portaient plus et même énervaient : « Une Europe forte nous protégera mieux ». Et pourtant l’intégration européenne et la mondialisation perturbatrice étaient moins avancées! En affichant cet objectif, je ne pense pas qu’Emmanuel Macron espère convaincre les vrais anti-européens, qui ne changeront pas, mais plutôt parler à tous les autres : les simples sceptiques, les déçus, les blasés, les allergiques à la « réglementation à outrance », très nombreux, et qui eux peuvent bouger à condition que l’on tienne un peu mieux compte de leur disponibilité à ce que l’Europe progresse si elle ne menace pas leurs identités, ne confisque pas la souveraineté restante et assure plus de sécurité. Concernant les projets, certains seront le fait des 27, d’autres de l’espace Schengen – ou de la zone euro. Sur le renforcement de cette dernière, le nécessaire débat relancé par les propositions du Président sera tout sauf simple, et pas uniquement du fait de l’Allemagne. Quant à la coopération militaire intensifiée (évitons de parler trop vite « d’Europe de la défense » pour ne pas faire renaître d’illusions, suivies d’inévitables désillusions), s’inscrira dans une « coopération structurée permanente », prévue par les traités. C’est positif, mais on ne pourra pas faire avancer d’un même pas tous les Etats membres qui y ont souscrit. Voilà comment je résumerais l’ambition politique et l’orientation de ce qui démarre sous nos yeux : un mélange d’européisme, d’ambition et de tactique réaliste.

La suite dépendra de beaucoup de choses, et notamment du prochain gouvernement allemand, mais pas uniquement. Emmanuel Macron a plus d’une carte dans son jeu, entre autres le levier des élections européennes de 2019. Et il ne va pas relâcher la pression.

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13/09/2018