À propos de Carnages de Pierre Péan

Un moment bouleversé par les accusations de «complicité de provocation à la haine raciale» et par l’action en justice intentée contre lui par SOS-Racisme (on se demande pourquoi cette association, que l’on a connue mieux inspirée, a été se fourvoyer ainsi), après son livre sur le drame rwandais(1), mais rasséréné ensuite et encouragé par deux jugements, celui du 7 novembre 2008 en première instance, puis celui du 18 novembre 2009 en appel, qui ont débouté ses détracteurs, Pierre Péan a ré-entrepris illico son infatigable travail d’enquêteur à l’anglo-saxonne (facts) sur l’Afrique. Le résultat en est un nouvel ouvrage, de 570 pages, publié sous le titre Carnages, avec en sous-titre Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique. Le terme «grandes puissances» au pluriel est important: sans l’omettre, Péan n’y parle qu’entre autres de la politique française en Afrique, qu’il n’a de cesse de replacer dans son contexte. Il a pour cela élargi son investigation méthodique aux politiques africaines des États-Unis, de la Grande-Bretagne, d’Israël, de la Chine. Démarche très éclairante, car une des manifestations fréquentes de l’ignorance dans la France d’aujourd’hui sur les questions africaines (ignorance qui n’est pas incompatible avec des jugements péremptoires, bien au contraire) est précisément la méconnaissance presque totale, voire la négation, de l’existence des politiques africaines des autres puissances. Sauf il y a trente ans, dans le contexte de la guerre froide, à l’époque où certains se faisaient peur en imaginant l’URSS mettre la main sur ce continent… Depuis, plus rien, sauf les alarmes économiques récentes à propos de la pénétration chinoise. Cette cécité est en partie volontaire: elle s’explique par la volonté de stigmatiser le principe même d’une politique africaine de la France, réduite à la fameuse «Francafrique» comme si seule la France avait une politique africaine, et comme si cela était condamnable en soi. Cela étant contradictoire avec l’existence de ces politiques africaines des autres, il faut pouvoir présenter toute évocation des politiques africaines des autres, notamment anglo-saxonnes, comme un fantasme, inspirée par la peur ridicule d’un «nouveau Fachoda». Pourtant, on ne peut pas comprendre ce qui s’est passé en Afrique depuis trente ans, notamment dans l’Afrique des Grands Lacs, sans les connaître ni les analyser. C’est l’objet du livre de Péan.
Péan revient d’abord – à l’excès jugeront certains, mais cela relève de la cohérence de sa démarche – sur la personnalité, le rôle et la stratégie de Paul Kagamé, le fondateur des FAR (Forces armées rwandaises), le vainqueur de 1994, le Président depuis lors du Rwanda. Il donne sa version de à qui il était utile avant sa prise de pouvoir, quant il était encore en Ouganda, et pourquoi. Il fait ainsi un gros plan sur l’Américain Roger Winter, homme d’influence et de réseaux, présenté comme le protecteur de Kagamé dès l’origine. Sur un autre plan, il attire l’attention sur les paradoxes des chiffres officiels rwandais sur le génocide. Il démonte ensuite, de façon plus articulée que dans son livre précédent, comment a été organisée l’»impunité» de Kagamé après que celui-ci a pris le pouvoir, le pays victime du génocide ne pouvant être soupçonné en rien. Il montre aussi comment cette impunité n’a reculé que très récemment devant l’accumulation des preuves de la façon dont Kagamé traite ses opposants, concurrents ou anciens compagnons d’aventure, et sur sa politique prédatrice dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), concurrente de celle de l’Ouganda.
Ces faits ont entraîné une lucidité tardive de la «communauté internationale» et ont permis au prudent secrétaire général de l’ONU, malgré les mises en garde de Kigali, de publier à l’automne 2010 un rapport terrible sur les exactions des armées de Kagamé et de Museweni au Nord et Sud Kivu en RDC, à partir de 1994. Ce rapport évalue de 3,5 à 4 millions de morts au moins le nombre des victimes directes et indirectes de cette politique de «lutte contre les génocidaires» et de pillage des ressources du sous-sol. La presse française, embarrassée, s’est fait l’écho de ce rapport, mais à minima.
Péan reste fidèle à sa méthode. Il porte des jugements, ses positions sont bien connues, mais plus encore il déterre des faits, des rapports — indigestes mais frappants – mis de côté, des déclarations oubliées, dans les différents pays concernés. Une des conséquences en est que ce que la France a tenté d’empêcher, au Rwanda, à partir de 1990 – le retour des massacres – et son échec final apparaissent sous un angle panoramique, qui éclaire les événements des années 1990 d’un jour nouveau.

En fait, plus encore que le Rwanda, le centre de cette vaste enquête est le Soudan, pièce manquante de la plupart des analyses françaises sur l’Afrique, et où un référendum à haut risque sur l’indépendance du Sud est programmé pour le 9 janvier2011. Les documents dont il fait état témoignent des volontés déjà anciennes des États-Unis, d’Israël, ainsi que de la Grande-Bretagne, et donc de leurs «services», de faire pression sur un Soudan arabe et islamiste, perçu par eux comme dangereux, «pays trop vaste qu’il convient de disloquer» selon les termes de Péan, en mettant à profit les bien réels et tragiques affrontements soudanais Nord/Sud et Est/Ouest. Sans ces données, on ne peut pas comprendre le soutien de ces pays à Museweni, président de l’Ouganda, pays voisin du Soudan, décrété «bon élève du FMI», parce que irremplaçable base arrière des politiques et opérations antisoudanaises, ce soutien s’étendant à son protégé — Kagamé — et à son projet: reprendre le pouvoir au Rwanda, à tout prix, fût-ce à partir d’un groupe d’exilés tutsi ultra-minoritaires. Contrairement à ce qu’avaient cru alors certains militaires français, ces politiques n’étaient pas conçues pour s’opposer à la France, à sa politique de compromis tutsi/hutu imposée à Arusha, et encore moins à la francophonie. Mais cette politique française se trouvait être de facto un obstacle pour les tenants de cette vaste entreprise. Les pièces dénichées par Pierre Péan illustrent à l’envi ces politiques, ces stratégies, ces tactiques, leurs coups bas, leurs hommes de l’ombre. Chacun est libre de trouver qu’elles ont leur logique et qu’après tout les États-Unis et Israël ont bien le droit d’avoir leur politique africaine. Mais alors les contempteurs français de la politique française en Afrique, mentalement enfermés dans le pré carré qu’ils dénoncent, qui ne les voient littéralement pas, et ne les analysent jamais doivent les prendre en compte aussi. Péan comble ce vide. L’histoire de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique soudanaise s’en trouve rééclaircie.
Il va de soi, cependant, que cet élargissement géographique, politique et historique du champ de vision, et cette approche comparative ne peuvent conduire ni à relativiser ni à justifier des politiques injustifiables et dépassées, y compris ce qui a pu être le fait de la France. Si le livre de Péan explique beaucoup de choses, il n’excuse rien. Ce n’est pas parce qu’il y a eu d’autres politiques africaines, dont le bilan a été désastreux (la belge, la portugaise, par exemple), que celle de la France a été continuellement excellente! Péan ne va d’ailleurs pas jusque-là! Il n’empêche qu’un tel travail devrait nous aider à refonder la réflexion sur la politique africaine de la France de l’avenir sur la base d’un inventaire rigoureux mais réel, et non pas sur des affirmations fantasmées, des réquisitoires quasi staliniens ou une repentance instrumentalisée.
Par ailleurs, d’un point de vue européen, il serait à courte vue de liquider le legs des politiques africaines de la France, de la Grande-Bretagne, de la Belgique et autres, de consentir à leur abandon pur et simple, fût-il accompli cyniquement sous le masque de la moralisation, ou encore d’une européanisation à vingt-sept introuvable (sauf pour l’aide au développement). Il vaut mieux assumer, continuer, changer.

L’importance de l’Afrique dans la mondialisation va croître. Aucune puissance ne pourra se permettre de faire l’impasse sur un continent au si vaste potentiel et d’ailleurs ni les États-Unis, ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil ne le font. Par repentance, fatigue ou naïveté, voulons-nous vraiment que cet avenir se dessine sans nous? Si nous refusons ce scénario, alors le mieux ne serait-il pas de consulter longuement les responsables africains politiques ou économiques, au pouvoir ou dans l’opposition, nationaux ou dans les institutions multilatérales, comme les artistes, les ONG,etc., sur ce qu’ils attendent de la France et de l’Europe, pour les vingt années à venir? Et de confronter leurs demandes, à nos propositions et nos possibilités? Pas sur un ton paternaliste – de toute façon anachronique — mais pour des raisons stratégiques. Peut-être verra-t-on alors qu’ils ne souhaitent pas n’avoir le choix, demain, qu’entre les États-Unis et la Chine, et qu’un vrai partenariat avec la France, comme avec l’Europe, reste souhaitédans une bonne part de l’Afrique. L’objectif devrait être, bien sûr, que les États africains deviennent assez modernes et assez forts pour que les «grandes puissances» ne puissent plus mener en Afrique, directement ou par intermédiaires interposés, leurs «guerres secrètes», et défendent eux-mêmes leur propre intérêt, au G20 et ailleurs.
Pour participer utilement à la construction de cette Afrique de 2030, commençons par dépasser le stade des convulsions franco-françaises qui opposent interminablement entre eux quelques spécialistes, militants, journalistes ou ONG, sur fond d’indifférence vaguement réprobatrice de l’opinion. Paradoxalement, en parlant autrement du passé, et bien que très marqué par l’histoire des relations franco-africaines des dernières décennies, Péan peut aider à dépasser la hargne stérile de ces milieux, à remobiliser l’opinion, à travailler avec l’Afrique d’aujourd’hui… Rien que pour cela, même s’il gêne ceux qui se sont enferrés depuis des années dans une dénonciation partiale de la seule politique française en Afrique, il faut le lire et le faire lire.

(1) Noires fureurs, Blancs menteurs: Rwanda 1990-1994, Mille et une nuits, 2005

À propos de Carnages de Pierre Péan

Hubert Vedrine

À propos de Carnages de Pierre Péan

Un moment bouleversé par les accusations de «complicité de provocation à la haine raciale» et par l’action en justice intentée contre lui par SOS-Racisme (on se demande pourquoi cette association, que l’on a connue mieux inspirée, a été se fourvoyer ainsi), après son livre sur le drame rwandais(1), mais rasséréné ensuite et encouragé par deux jugements, celui du 7 novembre 2008 en première instance, puis celui du 18 novembre 2009 en appel, qui ont débouté ses détracteurs, Pierre Péan a ré-entrepris illico son infatigable travail d’enquêteur à l’anglo-saxonne (facts) sur l’Afrique. Le résultat en est un nouvel ouvrage, de 570 pages, publié sous le titre Carnages, avec en sous-titre Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique. Le terme «grandes puissances» au pluriel est important: sans l’omettre, Péan n’y parle qu’entre autres de la politique française en Afrique, qu’il n’a de cesse de replacer dans son contexte. Il a pour cela élargi son investigation méthodique aux politiques africaines des États-Unis, de la Grande-Bretagne, d’Israël, de la Chine. Démarche très éclairante, car une des manifestations fréquentes de l’ignorance dans la France d’aujourd’hui sur les questions africaines (ignorance qui n’est pas incompatible avec des jugements péremptoires, bien au contraire) est précisément la méconnaissance presque totale, voire la négation, de l’existence des politiques africaines des autres puissances. Sauf il y a trente ans, dans le contexte de la guerre froide, à l’époque où certains se faisaient peur en imaginant l’URSS mettre la main sur ce continent… Depuis, plus rien, sauf les alarmes économiques récentes à propos de la pénétration chinoise. Cette cécité est en partie volontaire: elle s’explique par la volonté de stigmatiser le principe même d’une politique africaine de la France, réduite à la fameuse «Francafrique» comme si seule la France avait une politique africaine, et comme si cela était condamnable en soi. Cela étant contradictoire avec l’existence de ces politiques africaines des autres, il faut pouvoir présenter toute évocation des politiques africaines des autres, notamment anglo-saxonnes, comme un fantasme, inspirée par la peur ridicule d’un «nouveau Fachoda». Pourtant, on ne peut pas comprendre ce qui s’est passé en Afrique depuis trente ans, notamment dans l’Afrique des Grands Lacs, sans les connaître ni les analyser. C’est l’objet du livre de Péan.
Péan revient d’abord – à l’excès jugeront certains, mais cela relève de la cohérence de sa démarche – sur la personnalité, le rôle et la stratégie de Paul Kagamé, le fondateur des FAR (Forces armées rwandaises), le vainqueur de 1994, le Président depuis lors du Rwanda. Il donne sa version de à qui il était utile avant sa prise de pouvoir, quant il était encore en Ouganda, et pourquoi. Il fait ainsi un gros plan sur l’Américain Roger Winter, homme d’influence et de réseaux, présenté comme le protecteur de Kagamé dès l’origine. Sur un autre plan, il attire l’attention sur les paradoxes des chiffres officiels rwandais sur le génocide. Il démonte ensuite, de façon plus articulée que dans son livre précédent, comment a été organisée l’»impunité» de Kagamé après que celui-ci a pris le pouvoir, le pays victime du génocide ne pouvant être soupçonné en rien. Il montre aussi comment cette impunité n’a reculé que très récemment devant l’accumulation des preuves de la façon dont Kagamé traite ses opposants, concurrents ou anciens compagnons d’aventure, et sur sa politique prédatrice dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), concurrente de celle de l’Ouganda.
Ces faits ont entraîné une lucidité tardive de la «communauté internationale» et ont permis au prudent secrétaire général de l’ONU, malgré les mises en garde de Kigali, de publier à l’automne 2010 un rapport terrible sur les exactions des armées de Kagamé et de Museweni au Nord et Sud Kivu en RDC, à partir de 1994. Ce rapport évalue de 3,5 à 4 millions de morts au moins le nombre des victimes directes et indirectes de cette politique de «lutte contre les génocidaires» et de pillage des ressources du sous-sol. La presse française, embarrassée, s’est fait l’écho de ce rapport, mais à minima.
Péan reste fidèle à sa méthode. Il porte des jugements, ses positions sont bien connues, mais plus encore il déterre des faits, des rapports — indigestes mais frappants – mis de côté, des déclarations oubliées, dans les différents pays concernés. Une des conséquences en est que ce que la France a tenté d’empêcher, au Rwanda, à partir de 1990 – le retour des massacres – et son échec final apparaissent sous un angle panoramique, qui éclaire les événements des années 1990 d’un jour nouveau.

En fait, plus encore que le Rwanda, le centre de cette vaste enquête est le Soudan, pièce manquante de la plupart des analyses françaises sur l’Afrique, et où un référendum à haut risque sur l’indépendance du Sud est programmé pour le 9 janvier2011. Les documents dont il fait état témoignent des volontés déjà anciennes des États-Unis, d’Israël, ainsi que de la Grande-Bretagne, et donc de leurs «services», de faire pression sur un Soudan arabe et islamiste, perçu par eux comme dangereux, «pays trop vaste qu’il convient de disloquer» selon les termes de Péan, en mettant à profit les bien réels et tragiques affrontements soudanais Nord/Sud et Est/Ouest. Sans ces données, on ne peut pas comprendre le soutien de ces pays à Museweni, président de l’Ouganda, pays voisin du Soudan, décrété «bon élève du FMI», parce que irremplaçable base arrière des politiques et opérations antisoudanaises, ce soutien s’étendant à son protégé — Kagamé — et à son projet: reprendre le pouvoir au Rwanda, à tout prix, fût-ce à partir d’un groupe d’exilés tutsi ultra-minoritaires. Contrairement à ce qu’avaient cru alors certains militaires français, ces politiques n’étaient pas conçues pour s’opposer à la France, à sa politique de compromis tutsi/hutu imposée à Arusha, et encore moins à la francophonie. Mais cette politique française se trouvait être de facto un obstacle pour les tenants de cette vaste entreprise. Les pièces dénichées par Pierre Péan illustrent à l’envi ces politiques, ces stratégies, ces tactiques, leurs coups bas, leurs hommes de l’ombre. Chacun est libre de trouver qu’elles ont leur logique et qu’après tout les États-Unis et Israël ont bien le droit d’avoir leur politique africaine. Mais alors les contempteurs français de la politique française en Afrique, mentalement enfermés dans le pré carré qu’ils dénoncent, qui ne les voient littéralement pas, et ne les analysent jamais doivent les prendre en compte aussi. Péan comble ce vide. L’histoire de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique soudanaise s’en trouve rééclaircie.
Il va de soi, cependant, que cet élargissement géographique, politique et historique du champ de vision, et cette approche comparative ne peuvent conduire ni à relativiser ni à justifier des politiques injustifiables et dépassées, y compris ce qui a pu être le fait de la France. Si le livre de Péan explique beaucoup de choses, il n’excuse rien. Ce n’est pas parce qu’il y a eu d’autres politiques africaines, dont le bilan a été désastreux (la belge, la portugaise, par exemple), que celle de la France a été continuellement excellente! Péan ne va d’ailleurs pas jusque-là! Il n’empêche qu’un tel travail devrait nous aider à refonder la réflexion sur la politique africaine de la France de l’avenir sur la base d’un inventaire rigoureux mais réel, et non pas sur des affirmations fantasmées, des réquisitoires quasi staliniens ou une repentance instrumentalisée.
Par ailleurs, d’un point de vue européen, il serait à courte vue de liquider le legs des politiques africaines de la France, de la Grande-Bretagne, de la Belgique et autres, de consentir à leur abandon pur et simple, fût-il accompli cyniquement sous le masque de la moralisation, ou encore d’une européanisation à vingt-sept introuvable (sauf pour l’aide au développement). Il vaut mieux assumer, continuer, changer.

L’importance de l’Afrique dans la mondialisation va croître. Aucune puissance ne pourra se permettre de faire l’impasse sur un continent au si vaste potentiel et d’ailleurs ni les États-Unis, ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil ne le font. Par repentance, fatigue ou naïveté, voulons-nous vraiment que cet avenir se dessine sans nous? Si nous refusons ce scénario, alors le mieux ne serait-il pas de consulter longuement les responsables africains politiques ou économiques, au pouvoir ou dans l’opposition, nationaux ou dans les institutions multilatérales, comme les artistes, les ONG,etc., sur ce qu’ils attendent de la France et de l’Europe, pour les vingt années à venir? Et de confronter leurs demandes, à nos propositions et nos possibilités? Pas sur un ton paternaliste – de toute façon anachronique — mais pour des raisons stratégiques. Peut-être verra-t-on alors qu’ils ne souhaitent pas n’avoir le choix, demain, qu’entre les États-Unis et la Chine, et qu’un vrai partenariat avec la France, comme avec l’Europe, reste souhaitédans une bonne part de l’Afrique. L’objectif devrait être, bien sûr, que les États africains deviennent assez modernes et assez forts pour que les «grandes puissances» ne puissent plus mener en Afrique, directement ou par intermédiaires interposés, leurs «guerres secrètes», et défendent eux-mêmes leur propre intérêt, au G20 et ailleurs.
Pour participer utilement à la construction de cette Afrique de 2030, commençons par dépasser le stade des convulsions franco-françaises qui opposent interminablement entre eux quelques spécialistes, militants, journalistes ou ONG, sur fond d’indifférence vaguement réprobatrice de l’opinion. Paradoxalement, en parlant autrement du passé, et bien que très marqué par l’histoire des relations franco-africaines des dernières décennies, Péan peut aider à dépasser la hargne stérile de ces milieux, à remobiliser l’opinion, à travailler avec l’Afrique d’aujourd’hui… Rien que pour cela, même s’il gêne ceux qui se sont enferrés depuis des années dans une dénonciation partiale de la seule politique française en Afrique, il faut le lire et le faire lire.

(1) Noires fureurs, Blancs menteurs: Rwanda 1990-1994, Mille et une nuits, 2005

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01/11/2010