«L’Amérique restera l’hyperpuissance pour un bon moment»

Challenges. L’Amérique reste-t-elle l’hyperpuissance que vous avez décrite il y a une dizaine d’années?

Hubert VÉDRINE: Hyperpuissance pour moi veut dire plus grande puissance de tous les temps. Cela reste vrai, même si les Etats-Unis sont apparus vulnérables au terrorisme suicide, se sont fourvoyés en Irak et sont affaiblis par la faillite de la dérégulation. Ils vont être «challengés», mais aucune puissance ne va les supplanter avant longtemps.

La crise actuelle va pourtant accélérer le basculement du pouvoir économique et politique vers les pays émergents…

H.V.: Oui. Les Occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance et des valeurs: 50% de la richesse est produite hors de l’Occident. Et cela aura des conséquences politiques. Mais les pays émergents ne sont pas homogènes. Ils sont aussi en compétition entre eux, et l’alliance avec l’Occident restera préférable pour beaucoup d’entre eux.

Est-ce la fin du dollar roi?

H.V.: C’est sans doute la fin de la dérégulation casino. Mais la fin du dollar roi? Il faudrait pour cela un système monétaire mondial avec un panier de quatre grandes monnaies (dollar, euro, yuan, yen). Qui aura la force de le faire accepter par Washington?

Craignez-vous une réaction protectionniste?
H.V.: Globalement et systématiquement, non. Mais les Américains n’hésiteront pas à recourir à des protections, dans certains cas pendant un certain temps. Ils le faisaient déjà avant. On l’a vu avec le Port de Dubaï ou les avions ravitailleurs. Il n’y a pas un choix entre ouverture et protectionnisme.

Comment analysez-vous le malaise des Américains à l’égard de la globalisation?

H.V.: Il n’est pas propre aux Américains. Aucun peuple occidental n’a jugé majoritairement positive la globalisation. Rien de plus ridicule que la dénonciation rituelle par des élites de la prétendue «frilosité» des opinions. Il est normal que les peuples occidentaux, qui ont pas mal à perdre dans cette redistribution des cartes, demandent à leurs dirigeants de mieux défendre leurs intérêts. Les peuples émergents, eux, ont tout à gagner.

Comment l’Amérique peut-elle renouveler son leadership mondial?

H.V.: Le changement de président sera un choc positif. Et si ils veulent retrouver un leadership global, ou restaurer leur image, les Américains devront se libérer complètement du manichéisme, rebâtir une politique étrangère réaliste, notamment à l’égard du monde arabo-musulman, tenir compte de leurs alliés, réapprendre à négocier, même durement, avec leurs adversaires, prendre au sérieux la menace écologique.

Vont-ils se convertir au multilatéralisme?

H.V.: Ils n’ont jamais vraiment pratiqué le multilatéralisme tel que les Européens contemporains l’idéalisent, même s’ils ont conçu et parrainé les institutions de 1945. Mais ils pourraient à nouveau commencer par chercher un accord avec leurs alliés, comme le faisaient le premier président Bush, le président Clinton et Madeleine Albright avant de décider. Pour encourager ce mouvement et peser sur la décision, les Européens doivent accorder leurs violons. Ils ne retrouveront pas de sitôt une telle occasion.

«L’Amérique restera l’hyperpuissance pour un bon moment»

Hubert Vedrine

«L’Amérique restera l’hyperpuissance pour un bon moment»

Challenges. L’Amérique reste-t-elle l’hyperpuissance que vous avez décrite il y a une dizaine d’années?

Hubert VÉDRINE: Hyperpuissance pour moi veut dire plus grande puissance de tous les temps. Cela reste vrai, même si les Etats-Unis sont apparus vulnérables au terrorisme suicide, se sont fourvoyés en Irak et sont affaiblis par la faillite de la dérégulation. Ils vont être «challengés», mais aucune puissance ne va les supplanter avant longtemps.

La crise actuelle va pourtant accélérer le basculement du pouvoir économique et politique vers les pays émergents…

H.V.: Oui. Les Occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance et des valeurs: 50% de la richesse est produite hors de l’Occident. Et cela aura des conséquences politiques. Mais les pays émergents ne sont pas homogènes. Ils sont aussi en compétition entre eux, et l’alliance avec l’Occident restera préférable pour beaucoup d’entre eux.

Est-ce la fin du dollar roi?

H.V.: C’est sans doute la fin de la dérégulation casino. Mais la fin du dollar roi? Il faudrait pour cela un système monétaire mondial avec un panier de quatre grandes monnaies (dollar, euro, yuan, yen). Qui aura la force de le faire accepter par Washington?

Craignez-vous une réaction protectionniste?
H.V.: Globalement et systématiquement, non. Mais les Américains n’hésiteront pas à recourir à des protections, dans certains cas pendant un certain temps. Ils le faisaient déjà avant. On l’a vu avec le Port de Dubaï ou les avions ravitailleurs. Il n’y a pas un choix entre ouverture et protectionnisme.

Comment analysez-vous le malaise des Américains à l’égard de la globalisation?

H.V.: Il n’est pas propre aux Américains. Aucun peuple occidental n’a jugé majoritairement positive la globalisation. Rien de plus ridicule que la dénonciation rituelle par des élites de la prétendue «frilosité» des opinions. Il est normal que les peuples occidentaux, qui ont pas mal à perdre dans cette redistribution des cartes, demandent à leurs dirigeants de mieux défendre leurs intérêts. Les peuples émergents, eux, ont tout à gagner.

Comment l’Amérique peut-elle renouveler son leadership mondial?

H.V.: Le changement de président sera un choc positif. Et si ils veulent retrouver un leadership global, ou restaurer leur image, les Américains devront se libérer complètement du manichéisme, rebâtir une politique étrangère réaliste, notamment à l’égard du monde arabo-musulman, tenir compte de leurs alliés, réapprendre à négocier, même durement, avec leurs adversaires, prendre au sérieux la menace écologique.

Vont-ils se convertir au multilatéralisme?

H.V.: Ils n’ont jamais vraiment pratiqué le multilatéralisme tel que les Européens contemporains l’idéalisent, même s’ils ont conçu et parrainé les institutions de 1945. Mais ils pourraient à nouveau commencer par chercher un accord avec leurs alliés, comme le faisaient le premier président Bush, le président Clinton et Madeleine Albright avant de décider. Pour encourager ce mouvement et peser sur la décision, les Européens doivent accorder leurs violons. Ils ne retrouveront pas de sitôt une telle occasion.

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30/10/2008