«Chirac d’Arabie»

Voici un livre très intéressant et propice à la réflexion, mais qui soulève quelques questions.

Intéressant, il l’est d’abord par la vivacité du récit. Se concentrant sur la seule personne du président – le titre l’annonce –, insistant sur l’Irak, l’Algérie, le Maroc et le Liban, sur Saddam Hussein, Hassan II, Rafic Hariri ou Yasser Arafat, les deux auteurs font revivre les nombreux et riches chapitres de sa longue relation avec les dirigeants arabes. Ils ne retiennent pour l’essentiel que les aspects contestables ou controversés de sa politique: personnalisation excessive, émissaires en tous genres, négociations secrètes, liens économiques, calculs électoraux, embarras autour de la question palestinienne, embardées diplomatiques.

Facile. Presque trop. Qu’il y ait eu là un ton, des méthodes, des pratiques qui méritent d’être modifiées en profondeur et repensées à l’avenir, c’est l’évidence même. Mais là où le bât blesse, c’est de faire comme si Jacques Chirac était le seul dirigeant à avoir entretenu des relations avec les régimes arabes. Ce qui tourne alors à l’exercice de déconstruction de la politique arabe de la seule France, sans élément de comparaison, laisse songeur. N’est-ce pas plutôt la politique arabe de Georges Bush, ou celle qu’a menée trop longtemps le Likoud avec Begin, Shamir et Sharon, qui pose problème au monde? Quant aux remèdes – s’ouvrir plus «aux chiites, aux Kurdes, aux Berbères, aux opposants qu’aux dirigeants sunnites» – n’est-ce pas exactement ce qu’ont tenté, en vain, les puissances coloniales contre le nationalisme arabe en attisant tous les particularismes et en en jouant les uns contre les autres? (Il est vrai qu’ils ajoutent: «et aux femmes», ce qui est plus nouveau.)

Partager son expertise avec les partenaires européens? C’est une bonne idée, mais la France est-elle la seule à ne pas s’empresser de le faire?

Enfin, que pensent les Arabes eux-mêmes de cette fameuse politique française, opinions comme gouvernements? Ils craignent sans doute plus son abandon par une France fatiguée et suiviste que sa poursuite, même s’ils la souhaiteraient rénovée.

Les deux auteurs vont susciter un débat utile. Ils ont raison d’appeler à une politique arabe «moins tonitruante, plus efficace, nouvelle». Mais ne jetons pas l’enfant avec l’eau du bain.

«Chirac d’Arabie»

Hubert Vedrine

«Chirac d’Arabie»

Voici un livre très intéressant et propice à la réflexion, mais qui soulève quelques questions.

Intéressant, il l’est d’abord par la vivacité du récit. Se concentrant sur la seule personne du président – le titre l’annonce –, insistant sur l’Irak, l’Algérie, le Maroc et le Liban, sur Saddam Hussein, Hassan II, Rafic Hariri ou Yasser Arafat, les deux auteurs font revivre les nombreux et riches chapitres de sa longue relation avec les dirigeants arabes. Ils ne retiennent pour l’essentiel que les aspects contestables ou controversés de sa politique: personnalisation excessive, émissaires en tous genres, négociations secrètes, liens économiques, calculs électoraux, embarras autour de la question palestinienne, embardées diplomatiques.

Facile. Presque trop. Qu’il y ait eu là un ton, des méthodes, des pratiques qui méritent d’être modifiées en profondeur et repensées à l’avenir, c’est l’évidence même. Mais là où le bât blesse, c’est de faire comme si Jacques Chirac était le seul dirigeant à avoir entretenu des relations avec les régimes arabes. Ce qui tourne alors à l’exercice de déconstruction de la politique arabe de la seule France, sans élément de comparaison, laisse songeur. N’est-ce pas plutôt la politique arabe de Georges Bush, ou celle qu’a menée trop longtemps le Likoud avec Begin, Shamir et Sharon, qui pose problème au monde? Quant aux remèdes – s’ouvrir plus «aux chiites, aux Kurdes, aux Berbères, aux opposants qu’aux dirigeants sunnites» – n’est-ce pas exactement ce qu’ont tenté, en vain, les puissances coloniales contre le nationalisme arabe en attisant tous les particularismes et en en jouant les uns contre les autres? (Il est vrai qu’ils ajoutent: «et aux femmes», ce qui est plus nouveau.)

Partager son expertise avec les partenaires européens? C’est une bonne idée, mais la France est-elle la seule à ne pas s’empresser de le faire?

Enfin, que pensent les Arabes eux-mêmes de cette fameuse politique française, opinions comme gouvernements? Ils craignent sans doute plus son abandon par une France fatiguée et suiviste que sa poursuite, même s’ils la souhaiteraient rénovée.

Les deux auteurs vont susciter un débat utile. Ils ont raison d’appeler à une politique arabe «moins tonitruante, plus efficace, nouvelle». Mais ne jetons pas l’enfant avec l’eau du bain.

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12/10/2006