«Après le coup de gong, que faire?»

L’Europe doit- elle avoir peur de Trump?
D’abord pour Trump, comme pour Obama, l’Europe n’est pas le premier enjeu. Les Etats-Unis ont bien d’autres problèmes dans le monde. Prenons le bras de fer stratégique à long terme qu’ils ont avec la Chine: l’Europe n’apporte rien. Cela peut expliquer une relative distanciation à laquelle répondent les Européens ont réagi en pleurnichant. Ils font songer à Paul Valery qui, il y a cent ans, disait: «L’Europe aspire à être gouverné par une commission américaine». Ce n’est pas la bonne attitude.

N’est-ce pas l’occasion de faire une Europe de la défense?
Ne rêvons pas. Les Européens ne sont pas capables de se défendre entièrement par eux-mêmes. Et si Trump faisait ce qu’il a dit (je n’y crois pas) et se retirait de l’Otan ( que les américains financent à hauteur de 70%) ce serait la panique en Europe. Entraînerait-elle un sursaut? Je n’en suis pas sûr, je le dis à regret. Ce n’est pas le moment de faire miroiter une Europe de la défense. L’Europe souffre trop d’illusion: elle promet tout et à chaque fois ça ne se réalise pas. Tout cela alimente le sentiment d’une tromperie. Il y a mieux à faire.

Quelle est l’urgence?
Les Européens ne doivent attendre passivement, en proie à des angoisses puériles, l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche et la mise en place de son administration. Les européens doivent mettre à profit ce délai pour définir une position commune sur les engagements américains que le nouveau président américain pourrait remettre en cause. Je pense à la mise en œuvre de l’accord climat, la mise en œuvre de l’accord Iran. A la limite, il faut se donner les moyens juridiques et politiques de les mettre en œuvre même sans les Etats-Unis. C’est là, l’épreuve de vérité.

Qui du Traité transatlantique?
Trump s’est prononcé contre ce traité (même Hillary Clinton avait cessé de le soutenir) et de toutes façons, beaucoup de pays européens – Allemagne en tête- n’en voulaient plus sous cette forme. Il n’y a donc plus de sujet pour le moment.
La question de l’unilatéralisme judiciaire américaine est plus urgente. Il y a une aggravation constante de la prétention américaine à décider,à sanctionner et à juger le monde entier. Tout cela aggravé par le Congrès par le biais de juges qui abusent de leur indépendance. Ce n’est plus possible que les continuent à se cacher sous la table ou à réagir en ordre dispersé. Je vous renvoie à ce sujet au rapport Lellouche-Berger.

Poutine a-t-il désormais le champ libre à en Syrie?
C’était déjà le cas puisque les Occidentaux ont clairement échoué en Syrie. Mais Trump a dit qu’il ferait un deal avec Poutine. En principe, «deal», ça ne veut pas dire renonciation. Que considèrera-t-il comme vital en ce qui concerne la Syrie, en ce qui concerne l’Ukraine?On n’en sait rien. Sur quoi voudrait- il être ferme? Dissuasif? Coopératif? Voudra-t- il remettre en cause les politiques de sanctions contre la Russie, ce qui prendrait à contre-pied les Polonais et un peu la France? Sur es questions aussi, il s’agit de savoir ce que nous voulons.

Theresa May va-t-elle être tentée de renforcer ses liens avec l’Amérique?
Sans doute, mais c’est secondaire. Il n’y a plus, entre ces deux puissances, de relations privilégiées depuis très longtemps. C’est un mythe utile aux anglais comme, pour nous, le fait de croire que nos idées sont universelles. La carte de Madame May ce n’est pas celle d’un lien avec les Etats-Unis qui veulent limiter le libre-échange. Je ne sais pas si elle y parviendra mais elle veut jouer la carte de l’Inde, de Singapour, de l’Asie, et pas une carte américaine.

Quelle géopolitique pour Donald Trump?
Le plus frappant, c’est que dans ses discours, il rompt avec le wilsonisme américain, qu’il ne considère pas que l’Amérique ait à imposer le respect des droits de l’homme et de la démocratie partout. Obama déjà était en retrait sur ce point mais comme Trump disait les choses avec agressivité et Obama avec distinction, on n’a pas toujours fait le lien. Ce désengagement éventuel inquiète les pays les plus protégés. Et c’est pour les Européens idéalistes, interventionnistes, ceux qui pensent, comme souvent la France, qu’il est de leur devoir de civiliser le monde, que l’adaptation doit être la plus difficile.

L’Europe doit- elle profiter de l’élection de Donald Trump pour se relancer?
Cela serait une bonne choses! Mais cela fait longtemps- bien avant les élections américaines- que les peuples d’Europe ont commencé à décrocher du projet européen, et je ne parle pas de ceux qui sont anti-européen pour des raisons idéologiques mais de tous les autres: les déçus, les sceptiques, les allergiques. Ils pourraient retrouver une espérance commune si le système européen se réformait vraiment, se concentrait sur l’essentiel (aujourd’hui: la sécurité et donc un Schengen qui marche)plutôt que de faire des directives sur les concombres ou les chocolats. Cette relégitimation de l’Europe était déjà indispensable avant l’élection de Trump, les provocations de Poutine ou l’afflux des réfugiés et des immigrés.

L’élection américaine est-elle comparable au décrochage des peuples que vous décrivez dans votre dernier ouvrage Sauver l’Europe!
Il y a des éléments communs et des éléments distincts.
En premier lieu, dans toutes les démocraties installées (les démocraties dites représentatives) on peut observer une crise de la représentativité. De plus en plus, les gens élisent des dirigeants et très vite, ensuite, ils s’en défient. L’état de grâce dure une journée.
Face à cette défiance, la gauche invoque des raisons sociales. Elle pointe l’absence de croissance pour expliquer qu’il n’y a plus rien à redistribuer. C’est encore plus vrai depuis la crise de 2007. Le pacte social construit après la guerre s’est rompu et cela participe certainement de la fureur. Mais il y a d’autres explications. Le mépris des élites pour ce que les peuples demandent: conserver une certaine souveraineté, une certaine identité, être garanti sur le plan de la sécurité. Ce sont des demandes qui peuvent prendre des formes extrémistes, parfois choquantes ou absurdes, mais comme les élites les balayent, la colère des peuples n’en est que plus forte.
L’immigration, ensuite, joue de part et d’autre de l’atlantique. A tort ou à raison, elle réveille des angoisses identitaires défensives.
S’ajoutent à cela les habituels commentaires moralisateurs de la part des élites, à travers l’éloge mécanique des-valeurs-qui-sont-les-nôtres. Les incantations tout aussi mécaniques contre le «repli sur soi», ceux qui «jouent sur les peurs»- n’ont aucun effet sur ce genre d’électeurs. Les condamnations en bloc et en vrac, du «populisme» sont vaines. Le recours aux mots – «nauséabonds», «années noires» – n’est pas plus efficace que l’eau bénite contre les vampires. Il faut remonter aux causes du populisme pour les traiter.
Mais il y a aussi des éléments distincts. Hillary Clinton ne soulevait pas d’enthousiasme contrairement à Sanders (mais je ne crois pas qu’il aurait gagné pour autant). Trump a réussi à faire croire qu’il incarnait une réussite à l’Américaine, avec des hauts et des bas, une vie d’entrepreneur et de héros de télévision, un destin de milliardaire. Ce n’est pas du tout le cas de Marine Le Pen en France qui est une politicienne habile mais classique, à la fois haïe par le système et membre à part entière de ce même système.

Y-a-t-il une menace populiste en Europe?
Tout dépend de ce que l’on entend par populisme qui est un mot-avlise. De la part des élites ça veut dire contestation des libertés, de la démocratie, comparaison avec les années 1930. Le populisme, pourrait -on dire de façon plus banale, c’est la réaction violente de peuples qui se sentent abandonnés et méprisés. On pourrait même dire que dès lors qu’il y a peuple, il y a un risque de populisme. Les Etats où il n’y a pas de peuple, il n’y pas de risque de populisme: voyez Monaco ou le Qatar!
Plus sérieusement, il ne faut pas se servir de ce mot n’importe comment et ne pas traiter les causes comme s’il s’agissait d’une contagion idéologique. Il faut comprendre les causes du populisme et essayer de les désamorcer. Apporter une réponse raisonnable pour canaliser ces demandes qui, sinon, prendront des formes extrêmes. Mais si le système européen demeure incapable d’entendre ces demandes et de s’y adapter, tout peut arriver.

La mondialisation n’est plus heureuse?
A l’origine la mondialisation- cette gigantesque dérégulation, financiarisation-a été une réaction à l’ultra réglementation née des années Roosevelt et de la grande crise. Mais le retour de balancier est parti de trop loin. L’économie est devenue un gigantesque casino. On a assisté à des phénomènes d’enrichissements faramineux et sans cause. Il y a eu, parfois, quelque chose d’obscène dans l’avidité, la cupidité, quelque chose de vertigineux dans le fait que l’économie réelle est devenue marginale par rapport à l’économie financière qui se nourrit elle- même. La crise de 2007 n’a, malheureusement, pas déclenché une correction suffisante. La mondialisation heureuse ne l’a donc pas été pour tout le monde. Qu’est-ce qu’un fermier du Middle West peut en avoir à faire que la mondialisation ait amélioré la vie des dizaines de millions d’Asiatiques pauvres? La révolte est en marchedepuis des années. L’élection de Trump, c’est le coup de gong dans le système.

Comment faut-il parler aux peuples?
En ce qui concerne l’Europe, le risque de divorce remonte à longtemps. La prise de conscience, pour moi, c’est le très faible score du oui dans le résultat du référendum de Maastricht. Plus tard, il y a 15 ans déjà, lors d’un Conseil européen à Laaken, on reconnaissait déjà que certains citoyens européens avaient l’impression que leur identité était menacée par la construction européenne! Depuis, rien n’a changé. Mon essai «Sauver l’Europe!» est un appel pour réconcilier les peuples et l’Europe.
Pour cela, il faut une révolution mentale des élites qui ont voulu faire l’Europe par le haut et à marche forcée. Méditons ce qu’a dit récemment Wolfgang Schaüble : «Cala devient difficile de ne jamais tenir compte des peuples».
Les chefs d’Etats doivent donc prendre une initiative spectaculaire. Il faut montrer au peuple que l’on a entendu et pour cela, faire une pause. Organiser une conférence refondatrice qui commencerait sans les institutions européennes (Commission, Parlement, Cour de justice). Avec une déclaration solennelle qui affirmerait, en substance: nous ne serons plus une usine bureaucratique, notre principal objectif sera de garantir la survie du mode de vie européen dans le monde.On distinguerait mieux ce qui doit être traité au niveau européen et ce qui relève, encore ou à nouveau, de la souveraineté des Etats membres. Ce préalable permettrait, ensuite, l’organisation d’un nouveau référendum, en même temps, dans tous les pays qui accepteraient ce processus de relégitimation.

«Après le coup de gong, que faire?»

Hubert Vedrine

«Après le coup de gong, que faire?»

L’Europe doit- elle avoir peur de Trump?
D’abord pour Trump, comme pour Obama, l’Europe n’est pas le premier enjeu. Les Etats-Unis ont bien d’autres problèmes dans le monde. Prenons le bras de fer stratégique à long terme qu’ils ont avec la Chine: l’Europe n’apporte rien. Cela peut expliquer une relative distanciation à laquelle répondent les Européens ont réagi en pleurnichant. Ils font songer à Paul Valery qui, il y a cent ans, disait: «L’Europe aspire à être gouverné par une commission américaine». Ce n’est pas la bonne attitude.

N’est-ce pas l’occasion de faire une Europe de la défense?
Ne rêvons pas. Les Européens ne sont pas capables de se défendre entièrement par eux-mêmes. Et si Trump faisait ce qu’il a dit (je n’y crois pas) et se retirait de l’Otan ( que les américains financent à hauteur de 70%) ce serait la panique en Europe. Entraînerait-elle un sursaut? Je n’en suis pas sûr, je le dis à regret. Ce n’est pas le moment de faire miroiter une Europe de la défense. L’Europe souffre trop d’illusion: elle promet tout et à chaque fois ça ne se réalise pas. Tout cela alimente le sentiment d’une tromperie. Il y a mieux à faire.

Quelle est l’urgence?
Les Européens ne doivent attendre passivement, en proie à des angoisses puériles, l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche et la mise en place de son administration. Les européens doivent mettre à profit ce délai pour définir une position commune sur les engagements américains que le nouveau président américain pourrait remettre en cause. Je pense à la mise en œuvre de l’accord climat, la mise en œuvre de l’accord Iran. A la limite, il faut se donner les moyens juridiques et politiques de les mettre en œuvre même sans les Etats-Unis. C’est là, l’épreuve de vérité.

Qui du Traité transatlantique?
Trump s’est prononcé contre ce traité (même Hillary Clinton avait cessé de le soutenir) et de toutes façons, beaucoup de pays européens – Allemagne en tête- n’en voulaient plus sous cette forme. Il n’y a donc plus de sujet pour le moment.
La question de l’unilatéralisme judiciaire américaine est plus urgente. Il y a une aggravation constante de la prétention américaine à décider,à sanctionner et à juger le monde entier. Tout cela aggravé par le Congrès par le biais de juges qui abusent de leur indépendance. Ce n’est plus possible que les continuent à se cacher sous la table ou à réagir en ordre dispersé. Je vous renvoie à ce sujet au rapport Lellouche-Berger.

Poutine a-t-il désormais le champ libre à en Syrie?
C’était déjà le cas puisque les Occidentaux ont clairement échoué en Syrie. Mais Trump a dit qu’il ferait un deal avec Poutine. En principe, «deal», ça ne veut pas dire renonciation. Que considèrera-t-il comme vital en ce qui concerne la Syrie, en ce qui concerne l’Ukraine?On n’en sait rien. Sur quoi voudrait- il être ferme? Dissuasif? Coopératif? Voudra-t- il remettre en cause les politiques de sanctions contre la Russie, ce qui prendrait à contre-pied les Polonais et un peu la France? Sur es questions aussi, il s’agit de savoir ce que nous voulons.

Theresa May va-t-elle être tentée de renforcer ses liens avec l’Amérique?
Sans doute, mais c’est secondaire. Il n’y a plus, entre ces deux puissances, de relations privilégiées depuis très longtemps. C’est un mythe utile aux anglais comme, pour nous, le fait de croire que nos idées sont universelles. La carte de Madame May ce n’est pas celle d’un lien avec les Etats-Unis qui veulent limiter le libre-échange. Je ne sais pas si elle y parviendra mais elle veut jouer la carte de l’Inde, de Singapour, de l’Asie, et pas une carte américaine.

Quelle géopolitique pour Donald Trump?
Le plus frappant, c’est que dans ses discours, il rompt avec le wilsonisme américain, qu’il ne considère pas que l’Amérique ait à imposer le respect des droits de l’homme et de la démocratie partout. Obama déjà était en retrait sur ce point mais comme Trump disait les choses avec agressivité et Obama avec distinction, on n’a pas toujours fait le lien. Ce désengagement éventuel inquiète les pays les plus protégés. Et c’est pour les Européens idéalistes, interventionnistes, ceux qui pensent, comme souvent la France, qu’il est de leur devoir de civiliser le monde, que l’adaptation doit être la plus difficile.

L’Europe doit- elle profiter de l’élection de Donald Trump pour se relancer?
Cela serait une bonne choses! Mais cela fait longtemps- bien avant les élections américaines- que les peuples d’Europe ont commencé à décrocher du projet européen, et je ne parle pas de ceux qui sont anti-européen pour des raisons idéologiques mais de tous les autres: les déçus, les sceptiques, les allergiques. Ils pourraient retrouver une espérance commune si le système européen se réformait vraiment, se concentrait sur l’essentiel (aujourd’hui: la sécurité et donc un Schengen qui marche)plutôt que de faire des directives sur les concombres ou les chocolats. Cette relégitimation de l’Europe était déjà indispensable avant l’élection de Trump, les provocations de Poutine ou l’afflux des réfugiés et des immigrés.

L’élection américaine est-elle comparable au décrochage des peuples que vous décrivez dans votre dernier ouvrage Sauver l’Europe!
Il y a des éléments communs et des éléments distincts.
En premier lieu, dans toutes les démocraties installées (les démocraties dites représentatives) on peut observer une crise de la représentativité. De plus en plus, les gens élisent des dirigeants et très vite, ensuite, ils s’en défient. L’état de grâce dure une journée.
Face à cette défiance, la gauche invoque des raisons sociales. Elle pointe l’absence de croissance pour expliquer qu’il n’y a plus rien à redistribuer. C’est encore plus vrai depuis la crise de 2007. Le pacte social construit après la guerre s’est rompu et cela participe certainement de la fureur. Mais il y a d’autres explications. Le mépris des élites pour ce que les peuples demandent: conserver une certaine souveraineté, une certaine identité, être garanti sur le plan de la sécurité. Ce sont des demandes qui peuvent prendre des formes extrémistes, parfois choquantes ou absurdes, mais comme les élites les balayent, la colère des peuples n’en est que plus forte.
L’immigration, ensuite, joue de part et d’autre de l’atlantique. A tort ou à raison, elle réveille des angoisses identitaires défensives.
S’ajoutent à cela les habituels commentaires moralisateurs de la part des élites, à travers l’éloge mécanique des-valeurs-qui-sont-les-nôtres. Les incantations tout aussi mécaniques contre le «repli sur soi», ceux qui «jouent sur les peurs»- n’ont aucun effet sur ce genre d’électeurs. Les condamnations en bloc et en vrac, du «populisme» sont vaines. Le recours aux mots – «nauséabonds», «années noires» – n’est pas plus efficace que l’eau bénite contre les vampires. Il faut remonter aux causes du populisme pour les traiter.
Mais il y a aussi des éléments distincts. Hillary Clinton ne soulevait pas d’enthousiasme contrairement à Sanders (mais je ne crois pas qu’il aurait gagné pour autant). Trump a réussi à faire croire qu’il incarnait une réussite à l’Américaine, avec des hauts et des bas, une vie d’entrepreneur et de héros de télévision, un destin de milliardaire. Ce n’est pas du tout le cas de Marine Le Pen en France qui est une politicienne habile mais classique, à la fois haïe par le système et membre à part entière de ce même système.

Y-a-t-il une menace populiste en Europe?
Tout dépend de ce que l’on entend par populisme qui est un mot-avlise. De la part des élites ça veut dire contestation des libertés, de la démocratie, comparaison avec les années 1930. Le populisme, pourrait -on dire de façon plus banale, c’est la réaction violente de peuples qui se sentent abandonnés et méprisés. On pourrait même dire que dès lors qu’il y a peuple, il y a un risque de populisme. Les Etats où il n’y a pas de peuple, il n’y pas de risque de populisme: voyez Monaco ou le Qatar!
Plus sérieusement, il ne faut pas se servir de ce mot n’importe comment et ne pas traiter les causes comme s’il s’agissait d’une contagion idéologique. Il faut comprendre les causes du populisme et essayer de les désamorcer. Apporter une réponse raisonnable pour canaliser ces demandes qui, sinon, prendront des formes extrêmes. Mais si le système européen demeure incapable d’entendre ces demandes et de s’y adapter, tout peut arriver.

La mondialisation n’est plus heureuse?
A l’origine la mondialisation- cette gigantesque dérégulation, financiarisation-a été une réaction à l’ultra réglementation née des années Roosevelt et de la grande crise. Mais le retour de balancier est parti de trop loin. L’économie est devenue un gigantesque casino. On a assisté à des phénomènes d’enrichissements faramineux et sans cause. Il y a eu, parfois, quelque chose d’obscène dans l’avidité, la cupidité, quelque chose de vertigineux dans le fait que l’économie réelle est devenue marginale par rapport à l’économie financière qui se nourrit elle- même. La crise de 2007 n’a, malheureusement, pas déclenché une correction suffisante. La mondialisation heureuse ne l’a donc pas été pour tout le monde. Qu’est-ce qu’un fermier du Middle West peut en avoir à faire que la mondialisation ait amélioré la vie des dizaines de millions d’Asiatiques pauvres? La révolte est en marchedepuis des années. L’élection de Trump, c’est le coup de gong dans le système.

Comment faut-il parler aux peuples?
En ce qui concerne l’Europe, le risque de divorce remonte à longtemps. La prise de conscience, pour moi, c’est le très faible score du oui dans le résultat du référendum de Maastricht. Plus tard, il y a 15 ans déjà, lors d’un Conseil européen à Laaken, on reconnaissait déjà que certains citoyens européens avaient l’impression que leur identité était menacée par la construction européenne! Depuis, rien n’a changé. Mon essai «Sauver l’Europe!» est un appel pour réconcilier les peuples et l’Europe.
Pour cela, il faut une révolution mentale des élites qui ont voulu faire l’Europe par le haut et à marche forcée. Méditons ce qu’a dit récemment Wolfgang Schaüble : «Cala devient difficile de ne jamais tenir compte des peuples».
Les chefs d’Etats doivent donc prendre une initiative spectaculaire. Il faut montrer au peuple que l’on a entendu et pour cela, faire une pause. Organiser une conférence refondatrice qui commencerait sans les institutions européennes (Commission, Parlement, Cour de justice). Avec une déclaration solennelle qui affirmerait, en substance: nous ne serons plus une usine bureaucratique, notre principal objectif sera de garantir la survie du mode de vie européen dans le monde.On distinguerait mieux ce qui doit être traité au niveau européen et ce qui relève, encore ou à nouveau, de la souveraineté des Etats membres. Ce préalable permettrait, ensuite, l’organisation d’un nouveau référendum, en même temps, dans tous les pays qui accepteraient ce processus de relégitimation.

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15/11/2016